Une biographie «à pas de plomb et de laine» : Richelieu, de Sylvie Taussig

 

Pour écrire la biographie du cardinal de Richelieu, Sylvie Taussig fait le choix de « s’éloigner du décryptage psychologique de l’homme pour se concentrer sur sa contribution inestimable à l’histoire du pays ». Ainsi, en donnant à la « connaissance minutieuse des événements » le titre de moyen par excellence pour la compréhension de l’Histoire, elle saisit la complexité comme « marque des vies humaines » pour se livrer à un exercice beaucoup plus secret qui est celui de repeindre la vie d’Armand Jean du Plessis de Richelieu comme « une élévation » vers un destin tissé de hasards décisifs, de pas providentiels, semblable à ce que Descartes appelle un voyage dont on ne change pas le cap au gré « de faibles raisons ». L’exercice est familier à Sylvie Taussig, spécialiste de l’histoire des idées au XVIIe siècle et des processus de sécularisation, chargée de recherches au CNRS, auteure de plusieurs livres sur Pierre Gassendi et traductrice d’Hannah Arendt. Son érudition l’aide à la fois à saisir le tumulte de l’Histoire et à donner sens aux légendes, ces témoins des destins des grands hommes. C’est le cas ici du cardinal Richelieu, né sous la brutalité des guerres de Religion dont « les tensions confessionnelles, politiques et guerrières » n’ont pas épargné l’enfance et ont contribué à façonner sa personnalité.

Dès lors, il ne nous reste, quant à nous, que de suivre le fil conducteur de cette biographie, et d’y extraire la fulgurance des moments les plus marquants de cette vie exceptionnelle dont on peut dire qu’elle fut une quête inlassable d’équilibre entre les devoirs envers l’Église et l’État, deux entités « ordonné(e)s au service de Dieu ». Ce travail d’équilibriste et de fin stratège finira par lui affubler la renommée de tyran dès les débuts de sa carrière ecclésiastique, une tyrannie justement « dictée par des raisons à la fois morales et spirituelles » mais surtout basée sur « la connaissance du fonctionnement des pouvoirs en France ». Et c’est précisément cette intelligence qui le guidera, dès son jeune âge et tout au long de sa vie, à « se constituer une clientèle » et à choisir des hommes familiers ou proches « sans lesquels l’action politique eût été impossible ». À cela, il faut rajouter le sens dont il dispose pour maîtriser les événements.

Prenons, pour illustrer toutes ces qualités, quelques exemples de sa vie. Début décembre 1608, l’évêque Armand-Jean fait une entrée solennelle à Luçon dans une carrosse « un véhicule extrêmement rare à l’époque et assurément inaccessible à ses finances ». Le fait peut paraître anodin à première vue. Il n’en est rien pour cet homme qui connaît la très grande pauvreté des gens de la région et qui veut, par ce geste, rétablir la réputation de sa famille et celle de sa fonction d’évêque et surtout il veut rétablir la paix avec les chanoines auxquels il propose une « amnistie d’oubliance ». Le même sens de l’Histoire se manifeste chez lui y compris dans les grands moments de sa vie. Sylvie Taussig n’oublie pas de le rappeler : « Toute l’existence politique de Richelieu est placée sous le signe de la menace de la chute ; jamais il ne fut installé comme un puissant, gouvernant impassiblement les destinées de la France et mettant froidement en branle la raison d’État […] ». On l’a déjà dit, les temps sont cruels et coulent au gré des régicides, de l’instabilité, des révoltes des princes et du peuple. Aux côtés de la noblesse de robe et d’épée, le clergé se voit accorder, du temps de Marie de Médicis, le titre de conseillers d’État. Le cardinal de Richelieu illustre cette présence, en l’élevant au titre de premier ministre pouvant prétendre au pouvoir de décision par excellence et marquant ainsi le règne de Louis XIII.

Nous pourrions continuer à ponctuer le parcours de cet homme d’exception dont on a dit, suite à une probable autopsie, qu’il avait des protubérances inhabituelles au cerveau. Le livre de Sylvie Taussig ne se réduit pas en revanche à ce simple inventaire. Le regard de la biographe est beaucoup plus ample et fait appel à sa connaissance parfaites de l’évolution des dogmes, des réalités politiques et religieuses, des combats, souvent cruels, pour le pouvoir. On peut donc dire que l’art de cette biographie consiste justement en cette maîtrise de placer l’Histoire dans l’océan des réalités qui la façonne et dont elle subit en même temps les conséquences.

En cela, le pari de Sylvie Taussig est parfaitement réussi. Son succès vient d’une synergie absolument maîtrisée entre son talent de romancière, sa rigueur d’historienne des idées et ses travaux sur le sacré, le pouvoir et l’imagination, tout cela, comme l’indique son éditeur, « dans une perspective de réflexion sur la question de la sécularisation ».

Avec cette biographie inédite du cardinal de Richelieu, le lecteur trouvera le bonheur de connaître le destin d’un homme tout en éprouvant le plaisir de partager avec son auteure les délices d’une érudition qui donne à l’information de la substance, de l’intérêt et à la lecture le plaisir du partage.

Un livre qui nous mène loin des sentiers battus et que je recommande chaleureusement !

Dan Burcea

Sylvie Taussig, Richelieu – inédit, Editions Gallimard, 2017, 352 p., format poche, 9,40 euro.

 

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