Événement littéraire à Bucarest: entretien avec Lydie Salvayre à l’occasion de la parution en roumain de son roman «Pas pleurer»

 

 

Le 9 septembre 2015 paraissait à Bucarest la traduction en roumain du roman de Lydie Salvayre « Pas pleurer », prix Goncourt 2014. Plusieurs manifestations culturelles ont salué cet événement éditorial dans la capitale roumaine. Parmi elles, cet entretien qu’elle nous a accordé avec la gentillesse et la disponibilité habituelles, et que nous partageons avec grand plaisir.

Alors que le monde littéraire se prépare pour la nouvelle rentrée, on garde encore en mémoire la vive émotion, le bonheur jusqu’aux larmes que vous exprimiez lors de la cérémonie du Goncourt de l’année dernière. Ce bonheur est-il présent encore aujourd’hui au plus profond de vous-même ?

Pour vous répondre avec franchise, mon bonheur n’était pas sans mélanges, car deux événements se sont produits en même temps : l’obtention du Prix Goncourt et la découverte en moi d’un cancer, autrement dit : la plus grande joie associée à la plus grande peine. Je pense aujourd’hui qu’il a résulté de tout cela un assez bel équilibre, et que le Goncourt a été mis ainsi à sa juste place.

Était-il, sans doute, multiplié par un nombre infini par le souvenir de votre maman, l’héroïne de votre roman ?

Ma mère, j’en suis sûre, aurait été éperdue de fierté. Quant à mes sœurs, elles n’ont pas atterri pendant près d’une semaine, tant elles étaient portées, soulevées par la joie. Tout comme les gens de ma Maison d’Edition, laquelle n’avait pas obtenu le Goncourt depuis 26 ans. Je garde un souvenir inoubliable de cette joie collective.

Vous avez déclaré en parlant de l’intention de l’écriture de votre roman, « J’ai offert un au-delà à ma mère ». Pourrait-on parler, dans ce sens, du sentiment du devoir accompli ?

Je n’emploierai pas le mot de devoir. Le livre s’est imposé à moi, non pas comme un devoir à accomplir, avec ce que ce mot de devoir comporte de sérieux et de volontaire, mais comme une façon, plutôt joyeuse, de redonner vie à ma mère, comme une façon de “mettre en sûreté”, dans un roman, son nom et tout ce qu’elle m’avait appris, comme une forme aussi de protestation contre sa mort et contre l’oubli. Je me suis évidemment aperçu, le livre achevé, qu’aucun écrit au monde ne pouvait remplacer la présence vivante d’un autre.

La critique a tracé plusieurs pistes, en parlant du message du « Pas pleurer » : roman historique, roman autobiographique, de l’évocation, roman de la mémoire. Laquelle de toutes ces directions retiendriez-vous ?

Je dirai que le roman emprunte à tous les genres que vous évoquez: il trace des vies minuscules qui sont en prise avec la Grande Histoire (ici la guerre civile dans l’Espagne de 36); il s’abreuve à la biographie (celle de ma mère) tout en y incluant une grande part de fiction; il dit à la fois les vertus de la mémoire et de ses résonances dans le présent, mais il dit tout autant les vertus de l’oubli, l’oubli dont Nietzsche affirmait qu’il était la condition du bonheur.

Le public roumain vous découvre aujourd’hui par le biais de ce roman. De toute votre œuvre, si riche et si particulière par son style et sa manière de traiter la réalité, « Pas pleurer » est le premier à être traduit dans cette langue. Quel sentiment vous inspire le fait de savoir que votre œuvre accueille, par le biais de la traduction, une vie nouvelle, un nouveau destin en quelque sorte ?

Je me réjouis d’autant que la traduction du roman, m’a-t-on dit, est de grande qualité. De plus, la réception d’un livre, hors du pays où il s’est écrit, me semble très intéressante, dégagée de toute mondanité, regardée avec des yeux neufs. Vous avez tout-à-fait raison de parler de vie nouvelle. C’est exactement ça.

Avez-vous un message particulier à adresser à ces lecteurs roumains, familiers désormais d’une partie de votre vie secrète et de votre univers littéraire ?

Peut-être leur dirai-je de s’intéresser à l’écrivain Georges Bernanos dont l’œuvre, je suppose, est mal connue ou méconnue en Roumanie, comme elle est méconnue d’ailleurs dans tous les pays étrangers, Georges Bernanos dont le courage et l’indépendance d’esprit étaient remarquables et qui savait accueillir la vérité d’où qu’elle vienne.

Propos recueillis par Dan Burcea (16.09.2015)

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