Interview. Adélaïde de Clermont-Tonnerre: «L’écriture est mon espace de liberté; c’est aussi ma manière de vivre d’autres vies que la mienne»

 

Adélaïde de Clermont-Tonnerre vient d’être récompensée par le Grand Prix du roman de l’Académie française pour son livre Le dernier des nôtres (Grasset). Onze ans séparent son prix de celui de Henriette Jelinek, si on remonte à la dernière femme à l’avoir reçu auparavant. Le talent de romancière d’Adélaïde de Clermont-Tonnerre avait déjà été remarqué dès la parution de son premier roman Fourrure (Stock, 2010). Aujourd’hui, elle savoure le succès de son deuxième roman, Le dernier des nôtres, qu’elle souhaite le faire partager avec tous les lecteurs amoureux de la pure fiction et de la liberté qu’elle retrouve elle-même dans l’acte de l’écriture.

Vous venez de recevoir, dès le premier tour, le Prix de l’Académie française pour votre roman Le dernier des nôtres. Comment avez-vous reçu cette nouvelle ?

Avec une immense joie ! C’est un honneur et un encouragement précieux parce que l’Académie, en choisissant ce livre, montre qu’il y a une place pour ce qu’Hélène Carrère d’Encausse a joliment appelé le roman d’imagination. En ce moment, le romanesque n’est pas toujours bien considéré. On lui préfère le fait réel, à la Truman Capote, ou l’autofiction qui donnent souvent de très beaux textes, mais pourquoi faudrait-il pour autant exclure la pure fiction ?

Après les finances que vous avez quittées et le journalisme que vous continuez en tant que directrice de la rédaction du Point de vue, vous voici couronnée en tant que romancière. Est-ce une raison suffisante de vous dire que cette dernière vocation est finalement celle qui parle le mieux de vous ?

Il est vrai qu’écrire des romans est ce que j’aime le plus faire, mais le journalisme est une vraie chance. C’est une école de la vie. J’aime passer du temps avec les gens formidables qui composent l’équipe de Point de Vue et le journalisme me permet aussi de rencontrer des artistes, des penseurs, des écrivains, des artisans, des dirigeants, des créateurs et d’avoir avec eux autant de conversations qui me donnent à chaque fois de nouveaux éléments pour comprendre cette énigme qu’est l’être humain.

Que représente pour vous l’écriture ?

Mon espace de liberté. Quand vous commencez une histoire tout est possible. Personne ne viendra vous dire comment l’écrire. C’est aussi ma manière de vivre d’autres vies que la mienne. De devenir tour à tour homme et femme, de me projeter dans l’avenir ou de retomber en enfance, de voyager, d’expérimenter, de vibrer. Écrire me protège d’une partie de la réalité que je n’aime pas et, à contrario, écrire me permet d’aller puiser dans le réel ce que je trouve beau. C’est mon bouclier et mon évasion.

Comment choisissez-vous les sujets de vos romans ?

Ils me viennent plus que je ne les choisis. J’ai commencé un nouveau livre et les scènes, les personnages font sans cesse irruption dans mes pensées. Ils m’envahissent.

Votre roman porte comme sous-titre Une histoire d’amour interdite, à l’époque où tout était permis. Pourquoi ?

Il y a eu un vent de liberté et de créativité assez inouï à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Je me suis demandé, dans ces années où le politiquement correct n’existait pas, où l’on pouvait boire, fumer à peu près tout, rouler très vite, avoir des relations sans arrière-pensée quel aurait été l’interdit suffisamment fort pour empêcher deux jeunes gens de s’aimer. Je l’ai trouvé.

Le dernier des nôtres est aussi un roman où l’histoire contemporaine traverse le destin de deux générations qui tentent de se réconcilier. Je vous propose de nous arrêter sur deux de ses thèmes : celui de la mémoire et celui de l’amour réparateur. Pourriez-vous commenter ces deux extraits tirés de votre livre ?

Le premier, prononcé par Werner :

Je voulais réveiller ma mémoire pour recueillir l’enfant que j’avais été, faire de cette image une part de moi, une première pierre sur laquelle me reconstruire. (p. 335)

Werner est orphelin, adopté et il ignore tout de ses origines. Il va se trouver contraint, par amour, d’enquêter sur les circonstances de sa naissance. J’ai voulu explorer la question de l’identité, de l’inné et de l’acquis, de la volonté et de la grâce, de ce qui nous fait avancer dans la vie.

Le deuxième, ce sont les paroles de Rebecca s’adressant à Werner. Ces choses, j’ai voulu les ignorer. J’ai cru que nous pourrions faire semblant, comme avant, quand nous ne soupçonnions pas ce qui nous attirait si violemment l’un vers l’autre. Mais elles restent là, tapies, entre nous. J’avais beau tout faire pour les cacher, tu les sentais remuer en moi. J’ai essayé de me dérober. Encore et encore. Et puis, ce soir, j’ai compris que cette douleur fait partie de notre amour. Quand nous parviendrons à la dépasser, il n’y aura pas de plus belle histoire que la nôtre. Werner, si nos chemins se sont croisés, c’est parce que cette faute existe et que nous devons, toi et moi, la réparer. (p.320)

Au salon du livre de Nancy, un monsieur est venu me voir. Il m’a dit que sa femme lui avait demandé mon livre. Il s’est confié. Ses paroles m’ont marquée : « Ma femme est fille de déportés. Cela a détruit notre vie, celle de nos enfants, et cela atteint maintenant nos petits-enfants. » Ce bref aveu m’a beaucoup émue parce que j’ai aussi voulu écrire sur ce thème, celui de la mémoire et de la réparation. Celui du pardon et de la culpabilité. Alors que la violence vient de ressurgir avec une telle ampleur dans notre quotidien, il me semble qu’il faut aller chercher dans l’Histoire les moyens de nous reconstruire, mais aussi de lutter.
Comment voyez-vous à l’avenir le parcours de votre roman, après cette consécration ?

J’aimerais qu’il soit lu et traduit. Ce qui va d’ailleurs être le cas en Anglais, Allemand, Italien et Espagnol. Cela me réjouit au plus haut point. Werner, Rebecca et leur tribu vont voyager ! C’est magique…

Quel message aimeriez-vous adresser aux lecteurs francophones, et surtout aux cassandres de la déculturation prêts à parier sur la disparition du livre et de l’envie de lire de nos contemporains ?

Que l’être humain a toujours aimé les mythes, les légendes, les contes : en un mot les histoires. Que les plus grandes religions de la planète se fondent sur des livres qui sont sans doute les plus grands bestsellers de l’Histoire. Que, dans l’actuel engouement pour les séries, nombre d’entre elles sont nées d’un livre, à commencer par la plus populaire de toutes : Game of Thrones. Et qu’à l’heure des tablettes, des jeux vidéo et d’Internet, des millions d’enfants ont encore fait la queue le mois dernier pour acheter le dernier Harry Potter. Parmi ces enfants, il y a fort à parier qu’un bon nombre d’entre eux chercheront, plus tard, dans d’autres textes, ce plaisir merveilleux de la lecture qu’ils ont expérimenté avec le jeune sorcier. Qu’un best-seller au temps de Balzac c’était vingt-mille exemplaires vendus et qu’aujourd’hui c’est cent mille. Enfin le livre, notamment le poche, est un format déjà très compact, qui permet d’emporter avec soi beaucoup de contenu (pensez aussi à ce poche de luxe qu’est la pléiade) et qu’il n’est pas facile d’inventer un format beaucoup plus plaisant… Donc non seulement je continue à croire à la lecture, mais je crois aussi au papier, du moins récréatif, pendant encore un bon nombres d’années.

Que doit-on vous souhaitez pour l’avenir ?

Que les lecteurs aient envie de lire mes livres et que grâce à eux, les personnages qui m’ont accompagnée des mois durant puissent continuer d’exister. Que j’ai du temps pour écrire. C’est difficile parfois de voler ces heures sur le sommeil. Heureusement que la théine existe !

Est-il trop tôt pour vous interroger sur vos projets littéraires ?

Je travaille à un nouveau projet, mais comme à chaque fois, je n’ai pas encore les mots pour en parler. Avec Fourrure, comme avec Le dernier des nôtres, ce n’est qu’après l’impression, lorsqu’il a fallu les présenter aux libraires, puis aux lecteurs, que j’ai réussi à mettre des phrases sur mes histoires. Pour l’instant, j’en suis totalement incapable. Je ne saurais pas par où commencer…

Propos recueillis par Dan Burcea (03/11/2016)

Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Le Dernier des nôtres, Grasset, août 2016, 496 pages, 22 euros.

 

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