Je suis une collectionneuse de stylos plume
On se sent toujours seul devant une feuille blanche.
Comme à la naissance.
Comme au moment du grand départ.
Je pose minutieusement et avec patience sur mon bureau tout ce qu’il me faut pour écrire : ma tasse bleu à café, ma photo avec T, le bocal rempli de coquillages pour avoir la mer à portée de main, mon stylo plume à capuchon vert. En parlant de cela, il faut que je vous dise que je suis une collectionneuse de stylos à plume simples, anciens, de différentes couleurs, peints ou couverts de broderies, à la plume dorée ou argentée, reçus à diverses occasions, pour mon anniversaire ou à des festivals.
Entre tous ces stylos, j’en ai un qui est mon préféré. Il me rappelle des temps anciens. Je l’avais acheté dans une brocante, chez un vieil Italien qui portait un chapeau en paille. Le stylo se trouvait dans un panier, couvert de poussière aux côtés d’un collier de perles, une broche hibou et de toutes sortes de petits miroirs, d’aimants pour frigos et d’autres objets tout aussi poussiéreux que lui. J’avais été interpellée par la lettre A gravée sur son capuchon. J’ai pensé à la réplique de la Cantatrice chauve d’Ionesco : Comme c’est curieux ! comme c’est bizarre ! et quelle coïncidence ! …
À qui a-t-il appartenu ? Qui l’aurait utilisé pour écrire ? Peut-être une vieille dame galeriste qui tenait sa comptabilité ou un acteur notant ses répliques, peut-être une comtesse dont le prénom commençait par la lettre A et qui écrivait de merveilleuses lettres d’amour à son amant, ou encore à un poète de passage à Cavaillon qui l’aurait utilisé pour écrire une épitaphe adressée à l’humanité entière.
Qui sait ?
Mon stylo m’attend sagement tous les jours pour le sortir de la routine qu’il subit entre d’autres stylos bille, des crayons, des gommes magiques face auxquels il est de toute façon supérieur. Cette supériorité, je la ressens lorsque la feuille blanche devant moi attend que j’inscrive le premier mot : Tu vois ? Tu ne peux rien sans moi ! – semble-t-il me dire. La lettre gravée sur mon capuchon est toujours présente dans ta tête, vas-y, arrête de pinailler !
Brusquement, les mots commencent à dégringoler, à trotter, à sauter dans une marelle, à former une sarabande folle, se libérant pour ensuite flotter dans le vent comme les mouettes au-dessus de la mer.
Te souviens-tu de la soirée où nous avons bu à deux une bouteille de vin et où tu m’as dit que j’étais la femme la plus belle du monde, et moi j’avais réussi à dompter le goéland blanc ? Il a picoré dans ma main et je l’avais porté sur mon épaule jusqu’à la fin de l’équinoxe. Non, je ne me plains pas ! La mer est toujours là, avec ses vagues, ses coquillages, ses hippocampes, ses méduses couleur bleu et nos pas dans le sable. Rien n’a changé. Je t’attendais chaque jour au même endroit, et nous continuions d’avoir toujours soif de l’immensité du ciel. Les vacances étaient trop courtes et nous prolongions autant que nous le pouvions l’été indien, tout en le savourant soigneusement et patiemment, en gardant un bout pour le lendemain, comme si on goûtait un marlenka frais. Le goût du miel et du sel marin ne pouvaient plus quitter mon palais et ma chair.
Mon stylo est un peu fatigué, il me dit qu’il veut dormir et, de tout façon, il faut que je réalimente son chargeur d’encre. Il me dit qu’il n’a plus mal au dos ni à sa tête-capuchon, et qu’il a appris à regarder paisible le sable qui coule dans la clepsydre posée sur mon bureau.
C’est en tout cas la joie que je lui offre quotidiennement…
Angela BACIU, Mamaia, Roumanie, septembre 2020
Angela BACIU – est une auteure, journaliste et formatrice roumaine, membre de l’Union des écrivains et du Pen Club de Roumanie. Elle a publié plus d’une vingtaine de livres dont : Maci în noiembrie (1997), Trei zile din acel septembrie (2003), Tinereţe cu o singură ieşire (2004), De mîine pînă mai ieri alaltăieri (2007), Mărturii dintre milenii (2012), Despre cum nu am ratat o literatură grozavă (2015), 4 zile cu nora (2015), Mai drăguț decît dostoievski (2017)- livre coécrit avec Nora Iuga, Hotel Camberi (2017), Charli. Rue Sainte – Catherine 34 (2017). “Mic dejun la Frida” (2020).
Elle est l’auteure d’une pièce de théâtre Mai drăguț decît dostoievski (2018, Editura Polirom), adaptation du poème dramatique homonyme de Nora Iuga et Angela Baciu, donné dans le cadre du Festival international de théâtre indépendant “Undercloud” 2018, Bucarest.
Elle est la lauréate de plusieurs prix :
- 2008, Le prix de l’Union des écrivains de Roumanie, Filiale de Iasi pour essai et journalisme pour le volume „Mărturii dintre milenii”
- 2014 – Le titre de Poète de la ville de Iasi, décerné par la Mairie de la ville de Iași.
- 2015 – Le prix de journalisme au Concours littéraire de création littéraire “Vasile Voiculescu” (Buzău).
- 2016 – Grand Prix du Festival international de littérature „Lucian Blaga” ( à Sebeş‑Lancrăm)
- 2016, septembrie – le Prix BALCANICA de poésie roumaine au „Festival des poètes des Balkans , Xe éd., Roumanie‑Turquie.
- 2017 – Premier prix au Concours national de poésie “Lidia Vianu Translates” qui a abouti à la publication du volume de poésies “Charli. Rue Sainte-Catherine 34”, édition roomaino-anglaise.
- 2018, noiembrie – Le prix de l’Union des écrivains de Roumanie, Filiale de Iasi „Prix pour la qualité de son oeuvre et de son activité d’écrivaine”
- 2019, 18 mai – Titre de „Poet al Capitalei Istorice a României” offert par la Mairie de la ville de Iași
Elle a publié des interviews avec des personalités comme Laurenţiu Ulici, Radu G. Ţeposu, Eugen Simion, Mircea Sântimbreanu, Mircea Zaciu, Cornel Regman, Mircea Horia Simionescu, Nora Iuga, Ana Blandiana, Nicolae Breban, Barbu Cioculescu, Alexandru George, Cezar Ivănescu, Emil Manu, Nina Cassian, Fănuş Neagu, Leo Butnaru, Adrian Alui Gheorghe, Liviu Ioan Stoiciu, Constantin Abăluţă et autres.
Depuis une dizaine d’années elle participe à des actions humanitaires et sociales en faveur des personnes âgées, des enfants ou des personnes handicapées.
(Traduit du roumain par Dan Burcea)
Crédit photo : Adrian Mociulschi