Interview. Bénédicte Rousset : « L’écriture est à mi-chemin entre la jouissance et la torture »

 

Après Rue sombre (2017), Piège à Bragny (2018) et Le Lis des teinturiers (2018), Bénédicte Rousset publie Romilda, un polar dont l’intrigue se construit autour de l’assassinat de la petite Rosa Barloti un après-midi de juin 1912, dans le village de Piolenc dans le Vaucluse. Plus de cent ans après, ce drame non-résolu à l’époque refait surface en 2018, suite à des fouilles qui font remonter à la surface le squelette d’une enfant. L’enquête est confiée à l’équipe du commissaire Adrian Berthier, personnage présent dans tous les autres romans de l’auteure. Parallèlement, Romilda, une traductrice littéraire trentenaire, fait la découverte inattendue dans la cave de la maison parentale d’un paquet de lettres anciennes qui semblent offrir une clé sérieuse dans le déroulement de l’enquête. Que va-t-elle découvrir et comment va réagir Ange Barloti, héritier de la lignée corse ayant juré vengeance après la disparition tragique de Rosa ? Le suspense reste entier jusqu’à la fin de ce livre très bien écrit et riche en personnages très forts.

D’où vient votre passion pour les romans et, plus précisément, pour les romans policiers ?

Bonjour, et grand merci pour votre accueil et ces mots chaleureux autour de mon dernier roman ! J’ai toujours aimé les histoires où l’on mène une enquête, qu’elle soit policière ou pas. Enquête et quête sont proches dans ce que j’aime lire : la recherche d’un coupable ou d’un criminel est un bon prétexte à la recherche de soi, qu’on l’ait voulu ou non ! Ensuite, les faits divers et l’insolite me passionnent. Ce moment où l’Homme bascule, se montre inventif dans son côté le plus sombre : toujours en lien avec la recherche de son identité. J’avoue que j’ai toujours été friande des Columbo. C’est à la manière de Columbo d’ailleurs que j’ai voulu structurer mon deuxième roman : Le Lis des teinturiers (on connait l’assassin au départ et l’intérêt de l’enquête ne réside pas vraiment dans son interpellation).

Dans le cas de Romilda, de quel fait divers s’agit-il ?

Cette fois, pour Romilda, c’est presque un fait divers qui m’a portée vers cette forme de récit (épistolaire et enquête mêlés). En effet, quand j’ai vraiment retrouvé ces lettres – authentiques, donc – de la Première guerre mondiale, dans la cave de ma demeure familiale pendant les inondations au début des années deux mille, je me suis dit que c’était un trésor historique incroyable et j’ai ressenti le besoin de le faire partager en le pimentant d’amour et de vengeance, parce qu’au fond, on écrit peut-être ce qu’on a envie de lire !

Deux plans narratifs s’entremêlent dans les pages de votre livre : le crime commis en juin 1912 et une enquête de 2018 censée faire la lumière sur les faits commis un siècle auparavant. Arrêtons-nous d’abord à ce qui s’est passé le 15 juin 1912 dans la propriété des Barloti, viticulteurs d’origine corse d’où Rosa était d’ailleurs venue avec ses parents pour assister à une fête de famille. Que pouvez-vous nous dire à propos de ce fait tragique ?

C’est le déclencheur de l’histoire. Au-delà de la disparition de Rosa, ce qui permet à l’histoire d’exister, ce sont ces valeurs profondes et inter générationnelles qui lient les Corses (les miens en tout cas, dans le roman !) Sans ce besoin de laver leur honneur, il n’y a pas d’intrigue. J’essaie de créer des personnages forts, comme ce vigneron, Ange Barloti, dernier descendant de la lignée qui doit venger Rosa. J’habite une petite ville du Vaucluse où la terre et le vin ont leur importance. J’avais envie de créer un personnage passionné par son métier de vigneron depuis des générations. Un homme qui vive au rythme du temps qu’il fera et de ce que la nature lui souffle au fur et à mesure des saisons.

Ce fait, donc, est tragique, parce qu’il ne détermine pas l’avenir d’une seule famille mais de plusieurs.

En 2018 l’enquête est confiée au commissaire Berthier. C’est un personnage présent dans tous vos autres romans. Pouvez-vous nous le présenter une nouvelle fois ? Quelle est sa tâche à une époque où la science de l’investigation a évolué ?

Mon commissaire est un homme compétent mais aussi impétueux et entier. Il peut lui arriver de se situer en dehors des procédures et cela coûte cher ! Ce défaut peut le desservir, surtout quand il s’agit des gens qui comptent pour lui. Il a des difficultés et des interrogations, comme nous tous, je crois : son couple, un manque certain de confiance en lui, l’impression d’être à côté de ce qu’on attend de lui. Professionnellement il est très bon mais je l’aime beaucoup justement à cause de ses doutes au niveau personnel. En fait, j’aime tout court les gens qui doutent.

Entre 1912 et aujourd’hui, la police scientifique a connu des avancées majeures (Bertillon, etc). Berthier a des moyens que n’avaient pas les policiers au début du siècle. Mais l’avancée technologique ne fait pas tout : la corruption, elle n’a pas changé. Les méthodes sont les mêmes, les dégâts identiques. Dans mon roman, je veux montrer aussi que le côté scientifique ne peut pas tout résoudre.

Un autre personnage assez pittoresque est Romilda. J’ose la qualifier de votre alter ego, tout en gardant la distance de l’acte d’écriture. Je prends comme argument deux de vos affirmations : la première qui dit « Il y a de moi dans chacun de mes personnages » et la seconde qui atteste leur authenticité telle que vous la décrivez dans les notes de la fin de votre livre. Qui est donc Romilda et quel est son rôle dans l’économie du roman, surtout si l’on tient compte des curieuses lettres qu’elle découvre dans la demeure familiale ?

Il y a de moi parce que j’ai vraiment retrouvé des lettres de mon arrière-arrière-grand-père (1914-1918). Il y a de moi parce que comme tout le monde, je suis déçue par certaines personnes en qui j’ai placé ma confiance. Il y a de moi peut-être parce que l’écriture est un révélateur de parties ignorées de moi-même. Mais pas plus ! Romilda est un personnage qui, à mon sens, évolue et vit en dehors de toute ressemblance avec moi ! En vérité, mais chut, c’est un secret, le personnage féminin auquel je m’identifie le plus, c’est Laura : j’aimerais être aussi vraie qu’elle, aussi spontanée, aussi bienveillante envers ceux qui lui sont chers. Elle affiche un style moderne et décalé, sans se soucier du qu’en-dira-t-on : elle me plait beaucoup !

On ne dira rien de Laura… Revenons donc à Romilda. Peut-on dire qu’elle est grapho-addicte ? Comment expliquer ce phénomène qui prend chez-elle des formes addictives ?

Je crois qu’on peut parler d’addiction quand tout notre quotidien, toute notre vie, tourne autour de de la satisfaction des centres d’intérêts de cette addiction. Cet itinéraire, ce chemin pour s’en sortir passe par une réconciliation avec soi-même. On a besoin pour cela de faire du regard de l’autre le refuge de notre liberté. En bref, ce phénomène qu’est la dépendance de Romilda à l’écriture découle d’un mal-être profond. C’est ce mal-être qu’elle doit soigner pour guérir de son addiction. (Il y a pire, je trouve, comme dépendance !). Il est important de dire aussi que, paradoxalement, l’écriture la libère d’elle-même, la rend libre, belle, en réconciliation avec elle-même, justement.

Je suis confrontée, depuis longtemps et par quelqu’un de très proche, à ce phénomène d’addiction (l’alcool). C’est un sujet dont je veux parler, parce qu’il touche beaucoup de monde. Peu importe la forme que prend l’addiction. Les dommages collatéraux pour les proches sont les mêmes.

Que dire de la lignée familiale des Barloti, qui se transmet en héritage un devoir, voire un honneur de vengeance ? « L’honneur est une religion sacrée », s’exclame le père de famille.

J’ai vécu dans une famille où les valeurs sont essentielles mais aussi parfois hypocrites malgré tout. J’ai voulu soulever cette dualité : on est attaché à des principes forts qui peuvent, dans une certaine mesure, nous détruire, à force de contrarier notre naturel. Je suis sensible aux gens qui sont très attachés à leur famille. Nous fonctionnons ainsi chez moi et c’est un équilibre fondamental. Attention tout de même, l’héritage de ces mêmes valeurs est parfois très lourd à porter.

Si l’honneur a une valeur particulière, celle de la vérité face au mensonge est tout aussi forte. Que pouvez-vous nous dire sur ces valeurs ?

Comme je le dis dans Romilda, le mensonge tue, la vérité fait disparaître. Et, oui, à mes yeux, il vaut mieux disparaître que mourir ! Je veux dire par là, plus sérieusement, que la vérité prime, même si elle est douloureuse et qu’elle semble impossible à montrer où à formuler sur le moment.

Que représente pour vous l’écriture et sur quels projets travaillez-vous en ce moment ?

L’écriture est à mi-chemin entre la jouissance et la torture. J’en ai besoin comme il me faut manger, boire, dormir, aimer. L’écriture donne un sens à ma vie, même si je la pensais déjà bien remplie, avec mon mari, trois filles et mon métier d’enseignante ! L’écriture est une passion. J’aime tordre les phrases pour en faire une musique agréable à l’oreille. C’est beaucoup de travail et j’ai des progrès à faire.

Mes projets ? je prépare une nouvelle pour le Tome 8 du recueil qui sera publié en octobre aux éditions Le Caïman, en partenariat avec l’association Dora-Suarez, que j’affectionne beaucoup.

Je travaille aussi sur un roman dans lequel on ne retrouve pas, pour la première fois, le commissaire Berthier (il travaille quand même et vous réserve d’autres enquêtes !).

Dans ce roman, que j’aimerais intituler L’Épaisseur de l’enfance, il est question des conséquences des pressions familiales. Comment vit-on, dans la peur de décevoir ses parents ? Combien de temps tient-on dans le mensonge ? Combien de temps garde-t-on un lourd secret et que fait-on s’il est dévoilé alors qu’on ne s’y attendait pas ? C’est un roman plus attaché à la terre, aux traditions, je le saupoudre d’un parfum d’antan et le peaufine avant que vous l’ayez entre les mains !

Tadaaaaam, à suivre…

Interview réalisée par Dan Burcea

Bénédicte Rousset, « Romilda », Éditions La Trace, 2019, 268 pages.

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