Galien Sarde, « Échec, et Mat » – une chronique de Cécilia Tarasco

 

Galien Sarde signe son premier roman, Échec, et Mat aux Éditions Fables fertiles, une maison d’édition à la ligne exigeante et ambitieuse. Récit hallucinatoire et fébrile d’une fuite en avant dans un monde dévasté, il met en scène deux personnages, le narrateur, Théo, et son guide, Mat, prêts à tout pour rejoindre l’Océan, but ultime de leur périple, et sa liberté fabuleuse. L’écriture ciselée de Galien Sarde porte ce récit d’un souffle électrique, comme une secousse.

Un roman post apocalyptique

Le roman s’ouvre sur l’urgence d’un départ, sur une course effrénée dans l’obscurité pour gagner le désert aveuglant et tracer vers l’ailleurs. On comprend rapidement que les personnages s’échappent d’un monde fermé et violent. Le lecteur, au fil des pages, reconstitue l’univers quitté par les deux héros, urbain, surveillé, rationné, dystopique, en un mot. La Cité est dirigée par un pouvoir unique qui, sous le couvert d’une entreprise chargée du ravitaillement en eau, dicte une loi implacable et contrôle la population, rendue léthargique. Revers de la surface que l’on imagine verticale, le monde souterrain, refuge des marginaux et des déserteurs, se présente comme un asile pour le narrateur aux désirs en expansion. Loin de la lumière du jour, dans des réseaux obscurs et labyrinthiques, grouille une vie exilée. Enfin, en pur contraste, les personnages émergent à la lumière, celle franche et aveuglante du désert. Galien Sarde excelle dans l’écriture de la lumière, de sa brûlure sensuelle. Les pages alternent entre obscurité et éclat, dans un effet stroboscopique des plus hallucinatoires. Comme le narrateur, le lecteur se laisse entraîner dans ce monde onirique à la frontière entre rêve et cauchemar.

Un souffle épique

Junie, Phèdre, Eurydice, autant de prénoms féminins aux résonances antiques qui attachent le roman au genre de l’épopée et, dans leurs sillages, éveillent nos imaginaires. Nos deux personnages, lancés à travers le désert dans leur jeep rutilante, ne sont pas sans évoquer ces héros antiques parcourant les mers, poursuivant des quêtes sublimes, menés par un destin obscur.

Mat me semble le personnage le plus fascinant. Son prénom me rappelle la carte du Mat, dans le tarot de Marseille. Le Mat, souvent lucide et courageux, est représenté sous la forme d’un homme solitaire qui marche vers l’inconnu, voyage, portant son fardeau. Le Mat indique qu’il est temps d’agir, de sortir de son sommeil et de gagner sa liberté.

Lorsque Mat est entré dans ma vie, je dormais profondément, en plein jour. (p. 19)

C’est ainsi que Mat apparaît au narrateur, en plein sommeil, pour le sortir de sa torpeur existentielle. Véritable psychopompe, il le guide vers le monde d’en bas. C’est ensemble qu’ils rejoindront Eurydice, figure fabuleuse, régnant sur le grand labyrinthe souterrain.

Alors on a marché, longtemps marché, au gré d’une géométrie troublante, bifurquant dans l’imprévu et des trappes verticales, descendant plus qu’on ne s’élevait, avec le sentiment de revenir sur nos pas ou de tourner en rond, de n’aller nulle part, dans le vide. (p. 130)

Le lecteur ne pourra s’empêcher ici de faire le lien entre cette descente incertaine et le mythe d’Orphée, poète divin, à la catabase vaine. Sur les indications de la jeune fille, nouveaux Thésées, ils trouveront la sortie de la Cité. Porté à vive allure vers le canyon où s’ouvrent les possibles, le narrateur abandonne son destin à la conduite de Mat.

L’éblouissement du désir

En pleine clarté, hautes et blanches, deux falaises étincelantes. En regard l’une de l’autre, elles forment une gorge vertigineuse vers laquelle nous montons en serrant des lacets qui bordent le vide. Aucune vie alentour, rien ne bouge, le ciel en avalanche pélagique. (p. 50)

Ce récit tendu, dans ces contrastes violents de verticalité, d’horizontalité, d’ombre et de lumière, à l’écriture heurtée, décrochée, qui donne le rythme du halètement, a quelque chose du road trip, du voyage initiatique et poétique. La peur, l’exaltation du franchissement, de l’affranchissement traversent le récit comme une onde de vie intense. Et le désir des personnages, dans leurs unions sensuelles, emprunte au désert et au canyon la métaphore lumineuse qui tisse le texte.

Le narrateur émerge de la torpeur d’une vie étriquée, et s’ouvre devant lui l’absolue et aveuglante lumière de la liberté. Le récit ne devient-il pas alors celui de l’écriture, qui sort l’écrivain de lui-même pour nous livrer son imaginaire ? A travers lui, il  nous révèle la vérité du désir, cet essor instinctif et éblouissant qui aiguillonne les hommes. Tout comme le poète qui poursuit à travers campagne et ville l’aube d’été, et qui, l’ayant embrassée, tombe au bas du bois, le roman s’achève sur un envol ou une chute, au bon vouloir du lecteur.

« Au réveil, il était midi »

Cécilia Tarasco

Galien Sarde, Échec, et Mat , Editions Fables fertiles, 2022, 168 pages.

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