Incroyable et splendide exercice, comme un saut périlleux dans la mémoire littéraire à peine fanée de deux grands noms de la littérature française auquel se livre Stéphane Barsacq dans son dernier livre Dominique suivi de Épectases de Sollers (Éd. Le clos jouve) !
Incroyable parce qu’il fallait avoir le courage et l’envie du témoignage et splendide parce que l’auteur possède l’élégance et l’art rare et noble de se mettre au service de ceux qu’il aime et qui furent ses amis. Cette solarité qui rime avec singularité accompagne son récit pour dire l’amitié, la complicité, la bienveillance envers ces êtres qu’il admire et auxquels il est lié par d’anciens attachements familiaux ou culturels.
Stéphane Barsacq sait mieux que quiconque illuminer le souvenir de ceux qu’il convoque sur la scène de l’histoire. Le secret ? Il faut avoir eu la chance d’une rencontre, ressentir l’intensité du moment, posséder l’intelligence pour comprendre et goûter à la joie du partage.
Il faut croire que ses origines et ses liens familiaux avec le monde de l’art, du théâtre et de la littérature font le reste. Et pourtant parler de soi-même sans brusquer ou franchir les frontières qui séparent l’émerveillement de la révérence n’est pas chose facile. Cela demande une humilité capable de faire de la distinction son signe de reconnaissance et de la modestie son étendard.
Cela permet de se positionner à la juste hauteur de ses interlocuteurs sans porter de l’ombre à leur splendeur.
D’abord, celle de Dominique Rolin, amie de longue date de la famille, et à qui André Barsacq, le grand-père, avait mis en scène L’Epouvantail, l’unique pièce de théâtre de l’écrivaine belge.
Êtes-vous heureux, Stéphane ? demandera-t-elle à chaque occasion, comme un bonjour enjoué, élégant, signe d’une gracieuse amitié.
Suivent des notes comme un journal qui marquent des conversations, des joies et des peines d’un quotidien où l’écriture et le souvenir des temps heureux se mêlent au réel de l’existence avec tout ce qu’elle a d’humain et de merveilleux.
Le travail d’écriture de cette infatigable auteure défie le saut dans le nouveau siècle qu’elle redoute tant et pose son empreinte sur sa vision de la vie. Écrire ? Oui, au fond, je raconte trente ou quarante fois les mêmes scènes, de façon différente – répond-elle à Stéphane Barsacq. Tout dépend de l’éclairage. Il y a un centre, qui varie, sans changer, en vertu des projecteurs que je place sur lui. Et lorsque son interlocuteur insiste sur la poésie de ses phrases, elle réplique avec une modestie enjouée : Arrêtez, Stéphane, vous allez me faire pleurer. Personne ne m’a jamais dit ça. Et de conclure : Les gens n’ose pas parler, ils sont conformistes.
N’est-ce pas le mot juste que Dominique Rolin utilise ici ?
Le livre de Stéphane Barsacq se veut justement un remède à ce conformisme qui refuse de voir et de dire la vie. Tout dépend de l’éclairage, pour reprendre la formule rolinienne. Or, l’éclairage de Stéphane Barsacq trouve la longueur d’onde adaptée d’une humanité juste et belle.
Il ajoutera pour couronner son portrait : Elle était d’une beauté, d’un éclat, d’un charisme rares, et, dotée du coup de baguette des fées, d’une extrême intelligence. […] Elle cultivait le genre vieille dame indigne avec la plus parfaite insolence.
De ces moments passés en sa compagnie, l’auteur retiendra ce mélange de coquetterie, d’élégance et de tendresse et puis ce conseil tellement merveilleux à en faire sa devise : Il faut se couper de tous les médiocres, de tout ce qui empêche d’être léger et aérien.
Sollers est présent déjà dans cette première partie du livre à travers l’amour qui le lie à Dominique Rolin. Et puis, il y réapparaît pleinement dans la deuxième partie qui lui est entièrement dédiée.
Sa devise, glanée chez un sage chinois : Le bonheur est plus léger qu’une plume : personne pour l’attraper ! Le malheur est plus lourd qu’une pierre : personne pour s’en délester !
Là encore, Stéphane Barsacq s’emploie avec minutie à rendre l’essentiel de l’amitié qui le relié à un homme comme Sollers dont l’importance capitale dans la littérature n’est plus à prouver. Dans Fragments d’un dialogue, on a devant nous l’homme amoureux de la musique et la liberté. J’aime l’enfance, la liberté – nous dit-il. Je ne suis peut-être plus jeune, mais mon enfance ne m’a jamais quitté, rajoutera-t-il un peu plus loin.
Son regard sur la jeunesse d’aujourd’hui est – on si attendait – assez tranché. Je ne la trouve pas assez affranchie, ni subversive. Pourrait-on se servir de cette affirmation pour tenter d’éclairer les engagements de la vie de Sollers. Stéphane Barsacq nous explique : Sollers a joué, il n’a pas gagné, mais qui aura été « sans défaut » au XXe siècle ? Il est écrit par ailleurs que nous le serons tous, à tour de rôle : pour avoir été trop ceci, pas assez cela, et alternativement, trop chrétien, pas assez chrétien, trop libertaire, pas assez libertaire.
Pour conclure – et laissons le plaisir aux lecteurs de découvrir le reste – cette image d’une sensible fulgurance de Sollers : Sur le fond, Sollers a été la queue d’une comète d’une civilisation où l’on pouvait postuler simultanément ce qu’il y a de plus haut et de plus bas, comme le lieu d’une expérience du langage, où l’ineffable joue avec l’impur, lui répond, le défait, l’interroge.
Dan Burcea©
©Toutes les photos utilisées dans cet article ont été généreusement mises à notre disposition par l’auteur.
Stéphane Barsacq, Dominique suivi de Épectases de Sollers, Éditions Le Clos Jouve, juin 2024, 112 pages.