De la hauteur de ses seulement 21 ans, la jeune violoniste roumaine Mălina Ciobanu enchante un public désormais entièrement conquis à son talent et à sa virtuosité. Née en 1998 à Iasi, elle débute ses études de violon avec le professeur Bujor Prelipceanu. En 2017 elle intègre l’Académie Baremboim-Said et continue ses études avec la professeure Mihaela Martin. Pendant tout ce temps, elle participe à de nombreux master-class avec des musiciens comme Igor Oistrakh, Pierre Amoyal, Mihaela Martin, Zakhar Bron, Ida Haendel, Eugen Sârbu. Elle est la lauréate de nombreux prix comme Young Talents with the Orchestra (Italie), EMCY Fa. H. Wanka au Concours international Kloster Schontal, au Concours international Concertino Praga, Premier prix au Concours international «Erich Bergel», Grand Prix aux Concours internationaux « Remember Enescu» et «Paul Constantinescu». Son chemin de virtuose ne fait que commencer, mais son talent lui assure déjà un succès prometteur.
Avant tout, dites-nous où vous vous trouvez en ce moment ?
En ce moment je me trouve à Berlin, je viens juste de rentrer d’Aurora Musikfestivaler où j’ai passé une dizaine de jours très intenses, remplis de musique et où j’ai eu la chance de travailler avec des musiciens extraordinaires comme Johannes Gustavsson, Jukka-Pekka Saraste ou Leonidas Kavakos. J’ai soutenu ensuite un concert à Dresde avec Junge Philharmonie Berlin. Je me prépare en ce moment pour ce qui va suivre.
Quelques mots sur vous ?
Je m’appelle Mălina Ciobanu, je suis née à Iasi où j’ai suivi mes études au Conservatoire National d’Art Octav Bancila sous la direction du professeur Calistrat Cataragiu et ensuite sous celle du professeur universitaire, le docteur Bujor Prelipceanu jusqu’à l’âge de 18 ans. En 2017, j’ai été admise à la Barenboim-Said Akademie de Berlin où je continue à étudier avec la violoniste Mihaela Martin.
Depuis quand étudiez-vous la musique ?
La musique a joué depuis toujours un rôle très important dans ma vie, je dirais même depuis que je n’étais pas vraiment consciente de cette réalité. Lorsque j’évoque à présent cette période, je le fais à travers les souvenirs partagés par mes parents. Bien-sûr, à l’âge de 2 ans, par exemple, ma passion pour la musique ne visait pas un instrument ou un compositeur, mais tout ce que la musique peut offrir à une enfant – quelque chose de général, capable de lui donner du réconfort. Je dois vous dire qu’avant de commencer à étudier le violon, je n’étais pas une passionnée de la musique classique. Tout a commencé par curiosité ; ce sont des choses tout-à-fait normales pour une enfant qui souvent expérimente ce type de choses par simple curiosité. Cela n’aboutit pas toujours, mais pour moi, cela a été un cas heureux, car, avec le temps, mon désir de découvrir les secrets de cet instrument ne m’a jamais quittée. Le violon sur lequel je joue est un Baldantoni qui m’a été prêté généreusement par Bears International Violin Society.
On sait très bien que derrière l’image virtuose d’un artiste, il y a une immense quantité de travail. Quel est votre rythme quotidien, combien de temps travaillez-vous le violon?
Sans aucune hésitation, pas autant que je voudrais. Je dis cela car, malheureusement, je dois m’occuper aussi des aspects administratifs. Je suis obligée d’être à la fois manager, de promouvoir ma carrière, etc. Mais, comme toutes ces occupations concernent la musique, je peux dire que je travaille au moins 6 heures par jour pour mon développement en tant que musicienne. Quand je ne travaille pas, j’écoute beaucoup de musique, pour pouvoir ouvrir de nouvelles portes dans ma carrière et pour trouver de nouveaux moyens de développement artistique. J’accorde également beaucoup d’importance et de temps à l’étude d’autres disciplines comme la littérature et la philosophie. Je crois fortement que tous les artistes doivent étudier ses disciplines pour améliorer leur développement intellectuel et élargir leur horizon culturel. Quant à la musique, on ne peut jamais se dire que l’on est arrivé au bout de ses études, de ses découvertes personnelles. Il s’agit d’un domaine si complexe que personne ne pourra se croire arriver au bout, même si nous sommes tous d’accord qu’il est extrêmement motivant de se dire que, grâce à tant de travail, l’on arrive à y voir plus clair dans sa carrière.
Vous avez reçu plusieurs prix prestigieux. Que représentent-ils pour vous ?
Le grand Georges Enesco avait bien raison de dire que tout accomplissement artistique impliquait 10% de talent et 90% de travail. Pour moi, la performance signifie assumer le sacrifice et la force de donner aux autres. Ce n’est pas chose facile, mais ce n’est pas impossible non plus. Je l’ai fait par mes propres forces, à côté des gens exceptionnels auprès desquels j’ai essayé d’absorber comme une éponge des informations pour pouvoir les insérer ensuite dans mon style de vie et dans ma manière interprétative. Tous ces résultats et toutes ces expériences me motivent beaucoup. Je suis très étonnée quand les gens me demandent quel est le secret de ma réussite. Il n’y a pas de secret. En fait, la réussite est faite de plusieurs éléments qui nous sont très connus, mais que peu de gens mettent en pratique. Le travail, la ténacité, la persévérance et l’ouverture vers des choses et des visions nouvelles sont autant de clés, tout comme la chance de pouvoir bénéficier de piliers capables de t’aider à te développer et à t’encourager, comme le sont la famille, les profs, des gens généreux qui t’accompagnent et, non pas en dernier lieu, un petite dose de chance.
Que veut dire être interprète pour vous ?
Pour moi, l’interprète est une synthèse d’informations, d’expériences et d’originalité. Pour arriver à sa plus complexe interprétation, l’artiste doit exercer une recherche et une analyse continuelles – je ne parle pas ici seulement de ses explorations professionnelles, mais aussi personnelles.
Ce que nous transmettons à travers l’art provient en grande partie de nos expériences personnelles. Au-delà de tout ce que l’on apprend à l’école, de toute tentative personnelle de donner forme à ces choses, l’expression artistique doit avoir sa source en toi-même, car l’originalité n’est autre que la synthèse dont chacun de nous est capable d’en faire. Pour pouvoir aller au-delà de ce qui se trouve dans une partition, l’interprète doit faire une synthèse de tous ces éléments avec sagesse et émotion ; j’adore me retrouver dans une telle situation et d’avoir la chance de pouvoir faire tant d’expérimentations.
Peut-on parler de liberté d’interprétation lorsque l’on prend en compte d’un côté la technique et de l’autre l’originalité ?
Certainement, il est plus que nécessaire de bénéficier de liberté dans notre interprétation, c’est un souhait général, mais nous devons être extrêmement vigilants et faire grande attention à la frontière très subtile entre liberté et mauvais goût. Quelqu’un me disait qu’interpréter des œuvres de J.S. Bach peut donner l’impression de quelque chose d’inconfortable à cause de l’incapacité de comprendre la partition ou de l’impossibilité de retrouver la liberté nécessaire dans ce lieu ressenti comme étant hermétique, comme une boîte fermée. Les connaissances acquises peuvent aider dans l’acquisition de la liberté dans l’interprétation, mais elles peuvent aussi être un frein, si elles ne sont pas gérées convenablement ; tout dépend de chaque interprète et de la manière dont celui-ci utilise sa capacité de raisonner – on peut être tellement hanté par la performance technique et les éléments théorique que l’on risque d’oublier l’essentiel – transfigurer une suite de notes en une histoire.
Quel est votre compositeur préféré ?
Sans aucune hésitation Beethoven et, si je pense bien, c’est à lui que je dois la conviction et le don de soi dans tout ce que je fais aujourd’hui. Je me souviens qu’à l’âge de 12 ans j’écoutais la Neuvième Symphonie et je m’étais dit : « Oui, c’est ça que je veux faire dans ma vie ». Aujourd’hui j’ai la chance d’être une médiatrice entre un compositeur et le public et non pas seulement une auditrice qui aime la musique.
Quels sont vos projets dans le proche avenir ?
En ce moment, je suis animée par un fort désir de connaissances, j’étudie en permanence des valeurs nouvelles dans les cultures que je rencontre. Je souhaite retourner en Roumanie avec une vision renouvelée et mettre au profit de tous d’une manière positive tout ce que j’ai appris ici. Le fait que j’étudie aux côtés de milliers d’étudiants venus de tous les coins du monde me donne l’occasion de m’imprégner de leur culture, ce qui est une chose très intéressante pour une roumaine qui tente à s’habituer avec cette diversité. Tout ce qui m’arrive me rend très heureuse. C’est la raison pour laquelle je ne pense pas retourner définitivement en Roumanie pour le moment. À part cela, j’ai toute une série de projets durant l’année qui vient, tous ceux qui me suivent le sauront au moment venu.
Avez-vous un message pour les jeunes d’aujourd’hui ?
Je voudrais que les jeunes prennent conscience que la musique classique est à la base de tout genre musical. Personnellement, je crois que cette musique est extrêmement importante dans notre vie et, que l’on aime ou pas, que l’on fait ou non son métier, rien de négatif n’interviendra si l’on accepte de lui accorder une petite chance. Même s’il ne s’agit pas d’un amour à la première audition, comme c’est le cas de nombreuses fois, l’on doit insister, ne s’agissant pas d’un genre musical qui « prend » tout de suite. Ce que je veux dire par là c’est que la musique classique sera toujours bénéfique pour notre vie ; je ne dis pas cela par subjectivité, tant d’études scientifiques réconfortent cette idée. Sinon, vivez et réjouissez-vous du temps présent.
Interview et traduction du roumain, Dan Burcea
Photo : Dușa Ozolin
Nota bene: Le texte original en roumain est à retrouver sur le site de la revue “Suplimentul de cultura” http://suplimentuldecultura.ro/28473/interviu-cu-violonista-malina-ciobanu-performanta-inseamna-o-insumare-a-sacrificiului-si-a-puterii-de-a-darui/?fbclid=IwAR1Qlh8jeZqZU9tmRZIhBfAhnshmjx-CqnYUuT08V4YZHrmAg7ZPkbnxsEg