À Max Porter
Peut-être qu’ailleurs le chagrin serait une chose ailée
un ange mesquin facile à décrire une poupée chrétienne
pas du tout un marécage avec beaucoup de cornes et trois sabots
qui écrase, boit et avale
jusqu’à la dernière goutte de lumière
ne me dites pas que c’est facile de pleurer les morts enfermés dans les livres
derrière la porte d’un célèbre hôpital ou palais
sur les traces d’une démence sénile dans les tons d’un classique tableau
avez-vous égorgé un animal fantastique l’avez-vous noyé
dans l’orgueil marécageux l’avez-vous écrasé comme un œuf
pour voir comment coule un sang assaillant et sombre
de haut en bas et de bas en haut du Mont Ararat
jusque dans mon village ?
Pour ceux qui attendent la résurrection de la dernière page
tout reste encore à tenter
Ce que tu préjuges
Une ombre parle toute seule
sur l’étagère de la bibliothèque
et tu t’accroches à ce que tu préjuges
le mensonge exige que tu te repentes il avale les significations
ouvrant grand ses griffes
sur tout ce que tu as voulu faire ressortir
alors assieds-toi dans l’obscurité de l’éternel présumé
dans la cave des chagrins des autres
parmi les bouquets de basilic
et les pots de miel
seule avec ton mot de passe
vers les rêves de ta propre mère
de l’enfant que tu n’as jamais voulu mettre au monde
et qui gazouille dans ses bras
dans une crèche en plastique à défaut de la lumière
assieds-toi et attends le bon moment
pour pouvoir gouter cette scène
de près et paisiblement
C’est ainsi que tout s’est passé
On ne sait plus par qui elles ont été comptées
de droite à gauche ou dans le désordre
les semelles de la folie les boutons bariolés
qui se tissaient sur l’éclat de la bourbe globale
à travers les âges elle se sont emparés de tout
sur les montagnes dans le désert d’une mer à l’autre
dans des maisons sans fenêtre se seraient cachées les créatures
pour chercher leur remède pour trouver dans le mensonge leur salut
tenir des paris maudire le destin chanter des odes
aux aïeuls et aïeules d’une autre couleur
avec leur vie sur le feu de détresse avec les lumières des yeux
des faussetés éternellement piétinées par d’autres faussetés
À la chasse
Le cœur entre les dents
Chasser les Pokémons
sont partis aujourd’hui
deux anges gardiens (prosateurs)
Je sais que sont tapies derrière les grilles
des vieilles à la recherche de leur grand amour
et des trépassés indignés d’avoir été écrit sur eux
des âneries seulement
je sais et je détourne mon regard
accroupie au milieu de la nuit comme dans le cerneau d’une noix
voguant sans entrave sous la coquille
qui va l’emporter
de torrent en torrent dans une autre (sur)réalité
que celle où les deux chassent épaule contre épaule
jusqu’à ce qu’un mur tout entier soit rempli, quelque part parmi les nuages
du sang de la nouvelle espèce
Elena Ștefoï est une écrivaine roumaine, docteur en philosophie à l’Université de Bucarest et membre depuis 1990 de l’Union des Écrivains de Roumanie.
Elle a fait partie de l’équipe qui a fondé la revue « Contrapunct » en qualité de secrétaire de rédaction et a été rédactrice-en-chef de l’hebdomadaire Dilema et du mensuel L’Invitation publié par l’Institut français de Bucarest. Elle a été correspondant permanent de Radio France International et rédactrice associée du trimestriel East European Constitutional Review de la Chicago Law Scool (1993-1997) et invitée spéciale des emissions culturelles et politique de BBC (1991-1997).
Elle a publié des articles éditoriaux, des commentaires et des analyses dans des revues comme Contrapunct, Dilema, Epoca, 22, România liberă, Luceafărul, Sfera Politicii, Lettre Internationale, Cronica română, Lumea. Elle a également publié des poésies dans des revues ou volumes collectifs aux Etats-Unis, en Grande Bretagne, en France, en Allemagne, au Luxembourg, en Pologne, dans l’ex-Yougoslavie, en Hongrie, en Suisse, en République Tchèque et au Canada.
Entre 1999 et 2001, elle a été Consul général de Roumanie à Montréal. De 2005 à 2012, elle a été Ambassadrice de Roumanie au Canada et Représentante de la Roumanie auprès de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale. Entre novembre 2016 et mars 2020 elle occupe des postes d’Ambassadrice en République du Sénégal et dans 7 autres États d’Afrique occidentale.
Volumes publiés :
- Opera Poetică [Oeuvre poétique], Éditions Paralela 45, 2016
- A Grammar of Tower of Babel. Parallel texts, traduction d’Ana Olos, préface de Lidia Vianu, Éditions MTTL, 2014
- Raport de etapă [Rapport d’étape] , recueil de poésies, Éditions Cartea Românească, 2011
- Undeva, în alt plan/ Somewhere in a different realm, recueil de poésies, édition bilingue, Éditions Paralela 45, 2007;
- În urma învingătorilor [Derrière les conquérants], anthologie, Éditions Paralela 45, 2005;
- Transformări, inerții, dezordini [Transformations, ineties, désordres], dialogue avec Andrei Pleșu et Petre Roman, Éditions Polirom, 2002;
- Drept minoritar, spaime naționale [Droit minoritaire, peurs nationales], dialogue avec le sénateur Gyorgy Frunda, Éditions Kriterion, 1997;
- Alinierea la start [Sur la ligne de départ], recueil de poésies, Éditions Cartea Românească, 1996;
- Câteva amănunte [Quelques détails], recueil de poésies, Éditions Albatros, 1990;
- Schițe și povestiri [Esquisses et histoires ] recueil de poésies, Éditions Cartea Românească, 1989;
- Repetiție zilnică [Recueil journaliers], recueil de poésies, Éditions Eminescu, 1986;
- Linia de plutire [Ligne de flottement], recueil de poésies, Éditions Cartea Românească, 1983.
- De toate cele [Poèmes divers], Éditions Scrisul românesc, 2022.
Elle a été récompensée par plusieurs prix et distinctions comme le Prix du premier volume de l’Union des Écrivains de Roumanie en 1983 et d’autres médailles diplomatiques dont la Médaille de l’Ordre diplomatique (2006) et la Médaille du Corps diplomatique du Canada (2012).
(Traduit du roumain par Dan Burcea)