Grand Entretien. Etienne Ruhaud en dialogue avec l’écrivain et éditeur Guillaume Basquin

 

 

Né en 1969 à Fontenay-aux-Roses, pilote de ligne mais aussi critique pour diverses revues (L’Infini, En attendant Nadeau, Médiapart…) Guillaume Basquin a fondé « Tinbad » en 2015. Aidé par sa compagne Christelle Mercier, l’homme opte, d’emblée, pour une forme de radicalité esthétique proche de l’ancien Tel Quel. Résolument expérimentaux, les livres de « Tinbad » s’éloignent délibérément des grosses machines éditoriales, du roman commercial comme de la poésie lyrique, vendeuse. Également essayiste, l’homme a, en outre, écrit deux livres, là aussi extrêmes, semblables à des cris proférés sur plusieurs centaines de pages : (L)ivre de papier (2016), et L’Histoire splendide (2022).

– Tu es d’abord pilote de ligne. Comment es-tu devenu éditeur, puis écrivain ? Ta profession a-t-elle une influence sur ta production ?

En fait, je n’ai jamais voulu devenir éditeur, ni même écrire. Cela s’est imposé à moi : « on m’a écrit ». Lorsque j’ai assisté à mes premières « projections » numériques HD de films, j’ai trouvé que c’était une telle catastrophe esthétique par rapport à la projection de type Lumière (à travers une pellicule argentique), que j’ai voulu d’abord empêcher que ça arrive… puis témoigner. Ce livre a été très dur à publier, parce que mon nom était totalement inconnu et le combat engagé déjà considéré comme perdu d’avance. Toutefois, au bout d’environ quarante refus et après avoir attendu neuf mois (une gestation !), j’ai fini par dégoter une excellente maison, Paris Expérimental. Immobilisé suite à une hernie discale, j’ai ensuite commencé un livre en forme de flux de conscience contre la numérisation et virtualisation du monde : (L)Ivre de papier. La forme est radicale, non ponctuée, sans alinéas ni chapitres ni majuscules, comme une sorte de refus de communication. Les éditeurs, à l’exception de Paris Expérimental, qui m’aida même à le corriger (mais ne pouvait pas en envisager la publication), refusaient de le lire… Jacques Henric, avec qui j’étais devenu ami, me dit que même Philippe Sollers, sans sa revue (Tel Quel), aurait probablement eu du mal à publier son Paradis en 1981. Un autre ami, Jean Durançon, venu de l’écriture sur le cinéma, essayait de m’aider, et m’avait mis en relation avec un certain Cyril Huot, qui était en train de monter une maison d’édition à Arles. Ce fut le premier « éditeur » ultra-enthousiaste de ce manuscrit… Très vite toutefois Huot m’annonça qu’il avait dû renoncer à monter sa maison faute d’avoir trouvé un diffuseur. Très dépité, je lui demandai ce qu’il avait comme texte à publier ; il m’envoya alors un impressionnant et excellent texte, Le spectre de Thomas Bernhard. Décision fut prise alors d’inverser les rôles : nous publierions, ma femme (Christelle Mercier) et moi, nos deux livres respectifs en même temps : Tinbad était né ! (On a, depuis, publié cinq livres de Cyril Huot, dont son chef-d’œuvre posthume, Caro Pasolini — Lettres à une brute, en 2023.)

Dans un article à charge, Marc-Édouard Nabe évoque le Sollers des années 80, de Tel Quel, pour parler de « Tinbad ». Le propos se veut blessant. Pour autant, force est de constater que tes publications s’inscrivent dans l’esprit expérimental, en partie initié par Sollers. Rejettes-tu l’écriture classique ? Qu’est-ce qui préside à tes choix ?

Nabe ici fait un éloge involontaire de nos éditions ; en privé il m’avait confié « adorer » le nom « Tinbad » dont il connaissait l’origine (« Sinbad the Sailor and Tinbad the Tailor » dans Ulysses de James Joyce, écrivain qu’il vénère) ; mais une fâcherie annexe (j’allais publier un essai sur Jacques Henric, l’un de ses ennemis jurés) a fait qu’il a tactiquement décidé de m’insulter. Sinon, je suis en effet un très grand admirateur des folles expérimentations formelles d’un courant qui débuterait, disons, avec Laurence Sterne, l’inoubliable auteur de Life and Opinions of Tristram Shandy, Gentleman, passerait par les folles machines littéraires rousseliennes, traverserait toute l’œuvre tardive de James Joyce (et en particulier le long monologue déponctué de Molly dans Ulysses, qui comme lecteur m’avait absolument bouleversé par son audace tant formelle que déclarative), et qui s’achèverait avec les deux Paradis de Philippe Sollers. Tous textes qui m’ont mis dans un état intérieur d’excitation maximale. Comme j’ai commencé à écrire très tard (après quarante ans, soit à l’âge à peu près où Sollers publia son Paradis 1), je me suis vite dit que je n’allais pas débuter par du vieux style dixneuviémiste pour établir mon nom de plume, mais que je devais aller au cœur de mon beau souci : aller aussi loin, si possible, que ces monuments ; ou tout du moins me confronter à eux…

Comme éditeur, j’ai à peu près la même exigence : est-ce que l’écriture de tel ou tel auteur s’essaie à inventer une forme ? Une voix intérieure (sa musique), toutefois, peut suffire à me convaincre.

(L)ivre de papier se présente comme un assez long texte, sans ponctuation, écrit en caractères gras. Pourquoi avoir choisi cette forme ?

J’ai en partie déjà répondu ; mais j’ajoute ceci : après la quasi-disparition de la pellicule argentique de film, j’ai cru (en 2012-2013) que l’imprimé en général allait lui aussi disparaître. Très déprimé et angoissé, j’ai alors décider d’écrire déponctué. Cela constituait en soi une sorte de refus de communication, par « illisibilité ». Ironiquement, il s’agissait aussi de composer un gigantesque tweet de plus de 230 pages : to tweet or not to tweet that is the (new) question !…

D’autre part, ayant les nombreuses analyses de Paradis, je savais que la Bible, en hébreu, avait, elle aussi, été rédigée sans ponctuation. Je connaissais aussi bien sûr l’existence des rouleaux de Qumran. Armé de ce savoir nouveau, j’estimais qu’écrire ainsi (c’est-à-dire sous forme de rouleau textuel) semblait parfaitement approprié à un texte de type prophétique : Tu n’assassineras point le livre !…

– Se mêle un entrelac de références érudites, clairement revendiquées et assumées. On sait que tu es d’abord essayiste, puisque tu as consacré plusieurs livres au cinéma, aux images et à la littérature (Fondu au noir, Paris expérimental, 2013, Jacques Henri entre image et texte, Tinbad, 2015, et Jean-Jacques Schuhl, du dandysme en littérature, Honoré Champion, 2016). Dans Palimpsestes (Le Seuil, 1982), Gérard Genette établit les rapports de transtextualité, sous-entendant que chaque texte est d’abord réécriture. Qu’en penses-tu ?

Je suis un grand admirateur des théories de Genette, non seulement de cette idée de réécriture transtextuelle (en quelque sorte, j’ai réécrit Paradis… en y ajoutant toutefois le montage cinématographique, par tout un jeu de gras et non gras ; le non gras étant utilisé pour le montage, ou suture, dans mon rouleau ivre de papier), mais aussi de son espoir dans un renouveau de l’écriture, qui ne passerait plus par le roman-roman : « Le roman (ou texte) ne sera plus l’écriture d’une aventure, mais l’aventure d’une écriture. » D’autre part, ayant lu tout Proust et presque tout Borges, je suis entièrement d’accord avec eux : chaque écrivain nouveau s’insère dans une grande chaîne, celle de ses prédécesseurs, dont il ne constitue qu’un maillon (dans le meilleur des cas). Mon (L)ivre de papier est un immense jeu intertextuel : sous chacune de mes phrases ou presque se dessine un autre écrit, ou dire, que le mien… Citons Jean-Jacques Schuhl, à qui j’ai comme tu l’as rappelé consacré un essai : Moins il y a de moi dans une phrase et plus je suis content !…

– Le livre tout entier forme un long monologue intérieur, et, partiellement, une glossolalie. Tu cites également abondamment Joyce, et on sait que le nom de ta maison (« Tinbad »), renvoie à Joyce même. Peut-on parler de texte joycien, ou même d’hommage direct à Joyce ?

Ce qu’on inscrit sur la 4e de couverture de chacun de nos numéros de notre revue, Les Cahiers de Tinbad, « Sinbad the Sailor ans Tinbad the Tailor », répond à cette question. À propos, cette anecdote : je voulais d’abord donner le nom de Sinbad à notre maison d’édition, en hommage aux marins-écrivains (et puisque j’étais moi-même pilote de ligne, soit un marin de marine marchande d’aujourd’hui), en particulier aux grands écrivains de langue anglaise l’ayant été : Conrad et Melville. Hélas, la marque était déjà prise par une filiale d’Actes Sud, Sindbad. Tinbad étant un tailleur (de mots), cela convenait parfaitement, bien qu’involontairement.

J’ajoute aussi que Joyce, pour moi, est un héros absolu des Lettres : sa probité extrême, son refus de tout compromis… Tout cela a fait qu’il a dû attendre quasiment dix ans pour la publication intégrale de chacun de ses livres. Je me demande même comment il n’a pas fini fou ou suicidé : sa vie, son œuvre, constituent une énigme absolue…

La couverture est par ailleurs ornée d’un idéogramme. Peux-tu nous en dire davantage sur sa signification ? S’agit-il d’un hommage indirect cette fois à un contemporain de Joyce, le très controversé Ezra Pound (qui reproduisait des idéogrammes dans ses Cantos) ?

En effet : j’ai « volé » à Ezra Pound cette suite d’idéogrammes, trouvée dans ses Cantos, et signifiant : « ce qui vient avant / ce qui vient après ». Pour moi, ce détournement programmatique a un double sens : d’une part il s’agit d’un défi littéraire : ce qui vient avant, c’est Sollers ; ce qui vient après, c’est moi… D’autre part j’ai très vite su que Pound avait vu dans les idéogrammes chinois, et tout comme un Eisenstein ou un Koulechov (deux cinéastes russes), un système précurseur du montage cinématographique. En ce sens qu’un idéogramme placé après un autre peut en modifier ou en compléter le sens ; aussi devais-je annoncer la couleur sur la couverture de mon livre : Ceci est un livre de montage ! Plus tard, on appellerait même cet effet de changement du sens d’un plan par collage d’un autre plan « l’effet Koulechov ». Il s’agit ici d’un livre à effet Koulechov généralisé !

– Le titre même du livre t’inscrit dans une sorte de refus, à l’égard du livre numérique. Pourquoi ? Tu ne publies pas d’e-books, par ailleurs…

J’avais été tellement traumatisé par l’entière numérisation de la chaîne du cinématographe qu’il me fallait à tout prix refuser d’y participer dans celle du livre ; dès que j’entends « numérique », j’ai envie de répondre, comme Bartleby (le personnage du livre éponyme de Melville) : « I would prefer not to… » Pour moi, un livre doit être un objet réel, avec son colophon : tel livre est imprimé à tant d’exemplaires, en tel caractère de tel corps, sur les presses de telle imprimerie, etc. Dans le système de l’e-book, tu sais que le lecteur peut choisir la taille de son caractère ; pour cette simple raison, un livre numérique n’existe tout simplement pas ! (Même si des informations sur le livre référent persistent : sa story…)

– À l’heure de la plus grande folie technologique, un narrateur lit, regarde des œuvres d’art, visionne des films avant disparition, écoute des musiques, se déplace très vite dans le temps et dans l’espace réel, lisons-nous en quatrième de couverture. Penses-tu que les œuvres vont disparaître ? Es-tu pessimiste ? À ce titre, l’ouvrage constitue-t-il une sorte de témoignage ?

Dans un livre publié chez Flammarion titré L’Hiver de la culture, le critique d’art et commissaire d’exposition Jean Clair en appelle presque à remplacer les tableaux du Louvre et d’Orsay par des copies numériques 3D, pour les protéger, comme la grotte de Lascaux, du CO2 des « sales » touristes chinois et américains. Il me fallait donc lutter sur tous les fronts contre une telle abomination esthétique et morale (assassinat de tout aura d’une œuvre d’art, au sens benjaminien). Au moment de la rédaction de mon rouleau ivre de papier (2012-2015), j’étais angoissé à l’idée que le livre imprimé subisse le même sort que la pellicule de film : abandon par les forces de l’argent, puis effondrement. Il n’en a rien été pour l’instant, la part de marché du e-book restant relativement modeste : je me suis trompé sur ce point, et j’en suis très heureux ! En tout état de cause, j’aurai témoigné, dans mon (L)ivre de papier, des dernières projections argentiques de nombre de chefs-d’œuvre du patrimoine cinématographique — de ce que cela faisait à la rétine —, et avant disparition (un nombre conséquent de ces films ne sont plus visibles comme films, en France).

– On est également frappé, tout naturellement, par le mélange des disciplines : littérature, évidemment, cinéma, musique, arts plastiques, donc. Souhaitais-tu, comme Jean-Luc Godard, amateur de cut-up, créer une sorte d’œuvre totale ?

Oui, bien sûr ! Godard est assurément l’artiste le plus présent dans ce livre après Sollers. Ses Histoire(s) du cinéma, par leur caractère polyphonique, sont pour moi un modèle absolu : atteindre à l’historialité par (re)montage polyphonique de l’entièreté du corpus l’Histoire des arts, tel doit être le grand projet esthétique contemporain. Par ailleurs, je suis un fervent admirateur de l’œuvre de Jean-Jacques Schuhl, faite presque exclusivement de cut-up : moins il y a de moi dans une phrase et plus etc. (Rires.) L’idée d’œuvre totale me séduit bien, car les mots sont en eux-mêmes assez pauvres, par rapport à un tableau peint, une sonate interprétée sur clavecin, ou un plan de cinématographe projet : il faut les mettre en mouvement ! Ayant vu un nombre assez considérable d’œuvres d’art dans ma vie, j’essaie de rendre ce que la vie m’a offert en jouant avec les mots, comme un enfant qui jouerait là-haut dans l’Aiôn.

– Publiée six ans après (L)ivre de papier, L’Histoire splendide semble plus expérimentale encore. La parole se déploie en phrases rageuses, en invectives qui évoquent par moments Guyotat, ou le dernier Céline. Pourquoi pareille radicalisation stylistique ? S’agissait-il d’exprimer de la colère ?

Le traitement politique de la crise Covid-19, où pour moi l’homme a été rabaissé à l’état de bête de troupeau, m’a mis dans une telle colère qu’en effet je me suis à nouveau exprimé dans un style prophétique. Un bon ami écrivain, Georges Sebbag, m’a écrit avoir ressenti ceci à la lecture de ce livre : « La colère de Dieu. » C’est tout à fait cela : comme le Dieu de l’Ancien Testament (absolument mécontent du comportement pervers de ses créatures), j’ai envoyé un déluge de mots, plutôt que de pluie. Je voulais protester contre le manque de courage de mes contemporains (et hormis les Suédois) face à un modeste virus de type grippal (dès la mi-mars 2020, on en pouvait connaître la faible létalité si l’on se renseignait chez les bons chercheurs tel John Ioannidis, de Stanford, l’un des épidémiologistes les plus réputés au monde). Je savais intimement qu’on se sortirait de cette (modeste) épidémie par immunité de groupe naturellement acquise, comme du reste on s’en sort depuis Adam et Ève (que celui qui peut prouver le contraire me jette la première pierre !…). Cette histoire splendide est devenue alors mon arche de sauvetage. J’ai voulu sauver ce qui pouvait encore être sauvé : l’ancienne dignité de l’homme, et celle de la presse…

J’ajoute ici que, pour la forme de mon Histoire splendide, je me suis inspiré du chef-d’œuvre de Jacques Henric, Carrousels (« Tel Quel », 1979, republié par Tinbad en 2015) : chaque chapitre ayant sa typographie particulière, et son système propre de ponctuation non classique.

– Cette même Histoire splendide est aussi un cri de révolte. Une protestation contre la politique sanitaire gouvernementale initiée depuis 2020, et la crise du COVID. Le narrateur écrit en effet depuis son appartement parisien, en plein confinement. Penses-tu que l’écriture soit nécessairement engagée ? Qu’elle ait une mission sociale ?

En temps de crise grave, oui, l’écrivain doit s’engager ! J’ai appris autrefois, dans Le Monde diplomatique, que les seules revues à s’être indignées des zoos humains à Vincennes lors de l’Exposition coloniale de 1931 furent celles des Surréalistes. Ce n’est bien sûr pas un hasard : les écrivains en prise directe avec l’art de leur temps sont aussi ceux qui sont sensibles, tels des sismographes, à l’abjection politique de leur époque. Pour la mission sociale, je suis plus réservé : que dire des écrits du réalisme soviétique ? Des livres d’un François Bégaudeau ou d’une Annie Ernaux ? Ont-ils ou auront-ils une influence durable sur l’art de leur temps ? Je ne le crois pas…

– Le ton même de cette Histoire splendide a quelque chose de prophétique. Tu évoques Dieu, YHWH. Te sens-tu parfois mystique ? Lis-tu les mystiques ?

J’ai déjà répondu en partie à cette question. Je voudrais parfois que l’homme soit meilleur qu’il n’est… Ne pouvant le corriger (rires) dans le réel, j’écris… Sinon, j’ai lu autrefois les écrits de sainte Thérèse d’Avila et ceux de saint Jean de la Croix, pour répondre à ta question…

– Dans (L)ivre de papier comme dans L’Histoire splendide, on a parfois le sentiment d’avoir affaire à de la poésie. D’ailleurs tu rejettes explicitement le roman classique. L’Histoire splendide contient en son sein son propre art littéraire. Peux-tu nous en dire davantage ? Lis-tu beaucoup de poésie ? Te sens-tu poète ? On notera au passage que L’Histoire splendide est une expression rimbaldienne.

J’ai beaucoup lu Pierre Guyotat, qui récusait le terme classique d’« écrivain » (ou pire, « d’homme de Lettres »), lui préférant celui « d’artiste ». Cela peut paraître fort prétentieux, mais je pense comme lui : être écrivain ne me suffit pas : je veux être plus : prophète ou que sais-je ?… Ayant traversé plusieurs saisons en Enfer (le génocide, organisé et voulu, de la pellicule de film ; le Grand Enfermement individuel (masque) et collectif (confinement) durant la crise Covid-19), il m’a fallu en faire le récit, parce que je n’avais tout simplement pas le choix. J’ai écrit à la fois pour témoigner et pour sortir de cet Enfer (comme disait Artaud). Question lectures, je lis de tout, en variant le plus possible les genres et les époques, sinon je m’ennuie vite. Pour ce qui est de la poésie, je suis très « classique » : Dante, Lautréamont, Rimbaud, Michaux, Artaud, Hölderlin, Pleynet, en bref toute la « modernité » poétique que j’ai appris à aimer via Tel Quel… Concernant Rimbaud, le titre même de mon dernier ouvrage emprunte à un projet de livre par lui abandonné, qui devait être « la grande histoire », quasi encyclopédique, tel qu’il le rapporte dans une lettre assez récemment retrouvée.

– Marqué par des élisions, des anacoluthes, le style de L’Histoire splendide a quelque chose d’oral. Déclames-tu tes textes ? Comment s’opère le travail de la langue (par rature, réécriture…) ? S’agit-il d’un texte à dire, à crier peut-être, d’un texte déclamatif ? 

Dans l’idéal, oui, j’aimerais que ce texte soit fait pour être lu à haute voix ; mais les occasions de le faire sont rares (rires). J’espère que le lecteur entend mon cri (« ed ora ha Basquin il grido », pour paraphraser Dante…) en lisant à haute voix intérieure, ce que j’essaie de faire en me relisant. Le travail de ma langue procède par remontage continuel, jusqu’à l’édition princeps : tout est permutable de façon très souple, puisqu’il s’agit d’une écriture en rhizome où n’importe quel fragment peut être connecté avec n’importe quel autre, via tout un système d’enracinement caché (au lecteur).

– La tristesse, le pessimisme (cf. plus haut), semblent dominer (L)ivre de papier. On pourrait plutôt parler de colère, de rage, dans L’Histoire splendide. L’écriture peut-elle rendre heureux ? Te sens-tu heureux, ou du moins délivré, quand tu écris, ou après avoir écrit ?

Heureux, je ne sais pas, je ne crois pas ; mais délivré, oui : c’est certain ! Oh ma plume, délivre-moi du Mal ! comme tu en as délivré tant d’autres avant moi… Personne n’a jamais composé, écrit, sculpté, peint, que pour sortir de l’Enfer, en fait (Artaud toujours).

BIBLIOGRAPHIE :

  • Fondu au noir, Paris expérimental, 2013.
  • Jacques Henric entre image et texte, Tinbad, 2015.
  • Jean-Jacques Schulh, du dandysme en littérature, Honoré Champion, 2016.
  • (L)Ivre de papier, Tinbad, 2016.
  • L’Histoire splendide, Tinbad, 2016.

Propos recueillis par Etienne Ruhaud

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