Béatrice Pailler – Poèmes extraits du recueil inédit « D’un pas de luciole » (2021)

 

 

D’un pas de luciole

Mouvements pour ombres en Lumière

Staccato vivace, regain d’une marche perdue. Dans le pas du monde survivent les absents. Libres d’horizon, ils déambulent, nus du jour, vêtus du temps.

Ces passants du lointain, présences d’hier, à l’inverse du monde, des heures, à rebours du vif, du sang, sont, par l’invisible, à nous-mêmes liés.. Ils sont, sur nos doutes, pareils à de petits crépuscules qui tantôt les éclaircissent ou les assombrissent.

Lento y sostenuto,  la voix du vent dérange à peine le silence des ombres, celles du monde, celles des absents. Senteur sépia, un parfum d’inespéré se lie au vent et se réinvente dans la lenteur du soir. C’était hier et le voile de sa chevelure ombrait sa nuque chaude. C’était hier et le col de sa chemise était de sel et de sucre.

La lumière reste en mémoire, celle d’une peau tatouée du mouvement des feuillages, celle d’un regard lent, buvant le soir. L’instant perle et la nuit venant se glisse dans mes yeux.

Le ciel murmure sa supplique lointaine, un chant vaste de feu et de ténèbres. Pour dire l’étoile, tant et tant d’années, voyage la lumière. Pour nous-mêmes, voyageurs fugaces, si peu d’instants sont à vivre, mais tous feront chair et seront le dire de ce qui fut.

Dans nos corps murmure un chant de lucioles, la  braise d’hier : des souvenirs, telles des lueurs, réfutant l’absence, con forza y fuoco.

 

Vert dire

Intimité, au creux des branches un nœud irradie. Libre écoute où s’étanchent les soifs. La couleur dit la lumière. Trait pour trait, nous traversent les verts. Montent en nous des mots de sève, des mots de source. Éclot l’inconnu d’images invues, se tracent des chemins denses au départ de feux. Un éclat de vers perce le bourgeon des lèvres, la phrase s’inscrit sur le ciel en mémoire.

Hier était l’écorce et sous l’écaille l’attente. Mais que tombe le gris, s’offre le bleu, nu. Alors, s’opèrent de douces conversions. Le sombre en lumière consume l’attente, un vent solaire précipite, couvrant l’écorce d’un feu clair. Sur la cendre et le froid naît le chœur du printemps, une langue, verte, clameur du jouir. Ainsi, corps caressés du soleil, les bougeons éveillés délivrent leurs rêves, un chemin de sève pour un avenir de ciel.

Arbres et hommes reposant sous le jour, s’écoule  la source libre du doute. Et la lumière en bouquet dit la couleur, une ramure, un vitrail, chuchotant à nos veines sa parole nouvelle.

 

Couleur vie

Le temps façonne les saisons où jaunes et verts disent la fécondité.

Assouplis de l’été, les saules cherchent un rêve. Ils tendent à l’éternel et vont à la tentation. Ils vont aux lèvres fraîches, bouche d’un remous d’eau et de vent. Ce baiser les comble, d’un autre visage, d’une autre vie. Corps baigné, chevelure d’abandon, le rêve s’affirme, partagé, et la graine, confiée à l’onde, cherche sa terre.

Aqua, teinte des feuillages, colorée du ciel. Aqua troublée du vivant, une vie s’échappe, une autre guette. Tu es ventre, à la verte odeur, vif des gestes du vent, enceint d’infini. Tu es corps, chair et peau de lumière, souffle aux veines du monde.

Aqua, belle d’un temps inassouvi, soleil et silence fécondent ton éternité.

 

Les saisons et le vent feront le reste

Le temps : une éternité de terre, mais à l’homme : sable où demain se dérobe. Les saisons qui cernent n’y peuvent rien ni même le vent. Que donner à ce passant si ce n’est des voix animales, des poèmes sauvages, tohu-bohu du vivre et mourir. De sa juste mesure, le temps avance. Il est sans besoin d’être et son pas à force loi. Face à lui, l’homme a si peu, juste le nécessaire, parfois moins, un moins qui le ronge.

Prête à sourdre des arbres : la langue de ce qui n’existe plus. Les saisons et le vent feront le reste, accueillant seuls les oiseaux.

L’arbre éclot ses bourgeons en pluie, vague d’argent tombant au sol. Le saule se couvre de plumes. Le silence a ses trilles, traces aiguës du jour. Un chant pour un cri. Un matin pour une naissance.

Corps, d’ombre, de lumière, du premier au dernier, tous, parcelles de ce qui fut perdu. Être le bourgeon, l’écorce, la plume. Être la barque, quittant pour trouver. Prendre le parti du voyage. Vivre l’éternité de la terre, cet horizon de l’homme où le temps est un fleuve.

 Accueillant tous les chants, les saisons et le vent feront le reste.

 

Ombres sur le jour

Le vent écrase le bleu en une longue traîne tisonnée de soleil. Pareil à la pierre du lavoir, le ciel a la transparence d’un ruisseau proche du sec. Aucune ombre sur le jour seul le zénith. Aucune manne sur la faim, seul un pain de soif.

Ramassé sur lui-même, le pays tend le dos. Il n’a jamais eu de trop. Il est de peu. Nul n’aura raison de lui ni le vent ni le soleil. Face à ce qui le dévore, il est de silence. De jour en jour, il abandonne ses parures, rassemble ses forces, sacrifie jusqu’à son corps désormais poussière. Alors, pour demain et ses fruits, à la terre, retourne son sang et se mêle au sommeil de l’eau.

Nous-mêmes sans et de peu, peau d’écorché sur le maigre des os. Pétris à sable et à cendre, assaillis du vent, brûlés du soleil, nous allons. Parfois, nos regards se brisent d’une révolte. Alors, maudissant le temps, tranchant au bleu du ciel le lien, nous courons à l’épuisement dans l’ignorance de nous-mêmes et de demain. Infertiles sont nos larmes, infertile est notre sang, loin du sommeil de l’eau, nos rêves s’égarent.

Ombres sur le jour, ombres pesantes de leur peu, ce poids de vie qui les hante, nous-mêmes : Sisyphe, nous allons obsédant le monde de nos pas.

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