Fin 2013, lors d’une conversation avec le professeur Dr. Ion Ghinoiu, ethnologue roumain de renom, j’ai appris que le dernier volume de l’Atlas ethnographique roumain, un ouvrage important, structuré en cinq volumes, qui comprend un vaste matériel ethnographique, serait imprimé au cours de la première partie de l’année 2014. Avec ma collègue, Prof. Dr. Florica Mihuț-Bohîlțea, nous avons alors fait une incursion dans le sujet et surtout dans la réflexion sur l’énorme travail réalisé par les équipes de l’Institut d’Ethnographie et de Folklore pendant des dizaines d’années[1].
L’élaboration de l’Atlas ethnographique roumain est un objectif de l’Institut d’ethnographie et de folklore depuis les années 1960, mais la publication des résultats d’une activité de recherche d’environ huit décennies, à partir des enquêtes des campagnes monographiques gustiennes[2], ne s’est concrétisée qu’en 2003. Les cartes produites par les spécialistes de l’Institut d’ethnographie et de folklore « Constantin Brăiloiu » jusqu’en 1990 étaient très grandes et ne pouvaient pas être imprimées. Ce n’est qu’en 2002, grâce à l’évolution des équipements électroniques de traitement des données par le biais de logiciels et de matériels, qu’il a été possible de retravailler les cartes existantes à l’époque et de traiter le nouveau matériel de manière à ce que les données cartographiques et ethnographiques puissent être utilisées et mises en corrélation. Structuré en cinq volumes thématiques, l’Atlas ethnographique roumain comprend 630 cartes ethnographiques, 2900 photographies documentaires, dessins et croquis, organisant cartographiquement et en images la réalité ethnographique vivante décrite par 18 000 sujets, issus de 600 villages, sur la base d’un questionnaire de 1216 questions.
Les ethnographes de l’Institut d’ethnographie et de folklore, coordonnés par Romulus Vuia, Romulus Vulcănescu, Ion Vlăduțiu, Paul Petrescu et Ion Ghinoiu, ont assumé la responsabilité scientifique de l’élaboration de l’Atlas ethnographique. Ce n’était pas un travail facile, et encore moins confortable, étant donné le contexte politique des années au cours desquelles ce projet a été lancé. Le point de départ a été les archives de l’Institut social roumain, qui comprennent les recherches effectuées dans le cadre des campagnes monographiques menées par les équipes coordonnées par le professeur Dimitrie Gusti. L’idée de l’école Gusti de recherche interdisciplinaire a été maintenue. La tâche n’était pas facile, d’autant plus que pendant les années communistes, la sociologie était considérée comme une discipline dangereuse pour le régime et était mise en veilleuse, tandis que l’ethnologie n’était pas dans les bonnes grâces du pouvoir. La solution est expliquée par le professeur Mihai Pop : l’Institut d’ethnographie et de folklore a poursuivi ses recherches dans les limites du folklore[3]. C’est ainsi qu’a été recueilli, comme l’avoue le professeur Mihai Pop dans un dialogue avec le professeur Zoltan Rostas, « un matériel très important […] pour la réalisation de l’Atlas ethnographique de la Roumanie, c’est-à-dire qu’ils ont fait un questionnaire avec lequel ils se sont rendus, comme ils le font dans l’Atlas, dans un certain nombre de villages, et ont rempli ces questionnaires [4]», un vaste matériel qui a complété les archives mentionnées, constituées par les équipes coordonnées par le professeur Gusti, respectivement par Constantin Brăiloiu – en ce qui concerne le folklore musical. Les équipes de chercheurs ont complété ces archives par des enregistrements de littérature et de musique folkloriques, des témoignages enregistrés sur bandes magnétiques et des enregistrements vidéo concernant les coutumes et les danses. En fait, comme le dit le professeur Mihai Pop, « les ethnographes ont fait un très bon travail, comme ils l’ont fait dans toute l’Europe pour le folklore littéraire, ils ont fait des catalogues typologiques qui sont aussi faits dans d’autres pays, et un atlas ethnographique sur différents thèmes est aussi en train d’être fait »[5].
Pendant 11 ans, entre 1972 et 1983, des spécialistes de l’Institut d’ethnographie et de folklore ont mené des campagnes de terrain. Selon le professeur Ion Ghinoiu[6], dernier coordinateur des volumes publiés sous l’égide de l’Académie roumaine, les chercheurs se déplaçaient par tous les moyens de transport possibles pour atteindre les hameaux les plus isolés afin d’obtenir une image réelle de la culture populaire roumaine à l’époque de l’enquête. L’Institut d’ethnographie et de folklore (aujourd’hui Institut d’ethnographie et de folklore « Constantin Brăiloiu») a également fait appel aux ethnographes du réseau des musées, institutions dépendant du même ministère : le Conseil de la culture et de l’éducation socialiste.
En 2003, le premier volume de l’Atlas ethnographique roumain a été publié, et dix ans plus tard, le dernier a été achevé, après un long travail. L’ouvrage est structuré en cinq volumes thématiques : Habitats ; Professions ; Techniques populaires ; Art populaire et costumes ; Fêtes, coutumes et mythologie – l’information ethnographique est présentée par des symboles cartographiques sur 630 cartes ethnographiques en couleur. Chaque volume de l’Atlas contient cependant une autre série de livres qui reproduisent in extenso les réponses reçues des sujets enquêtés, classées par thèmes : « Célébrations et coutumes. Réponses aux questionnaires de l’Atlas ethnographique roumain ». Ils seront publiés en six séries et totaliseront 30 volumes, dont plusieurs ont déjà été publiés, d’abord aux Éditions Enciclopedica, puis aux Éditions Ethnologiques. Le travail titanesque des chercheurs de l’Institut d’ethnographie et de folklore « Constantin Brăiloiu » est loin d’être achevé pour compléter cette importante collection. Selon l’ethnologue Emil Țîrcomnicu[7], les recherches se sont également étendues aux communautés roumaines à l’extérieur du pays, comme celles de Bulgarie, de la République de Moldavie, de Hongrie, d’Ukraine et de Russie, les premières études ayant été réalisées en Bulgarie.
L’Atlas, ouvrage d’une grande complexité scientifique et technique, apporte des améliorations significatives à la méthodologie utilisée par les autres pays européens ; il présente la matière la plus riche et la plus variée et est le seul ouvrage de ce type publié dans trois langues internationales : l’anglais, le français et l’allemand. Pour ces raisons, il a déjà trouvé sa place dans plus de 30 grandes bibliothèques universitaires à travers le monde. En termes de nombre de villages étudiés et de documents archivés, l’Atlas ethnographique roumain dépasse les archives de terrain de l’école de sociologie de Bucarest. Ce qui a été accompli jusqu’à présent et ce qui est encore en cours rend l’Atlas ethnographique roumain unique[8] (contrairement aux réalisations d’autres pays européens) par la complexité du sujet, la précision des cartes et les documents qui accompagnent les volumes principaux. Commencé presque simultanément avec des travaux similaires dans les pays européens et en URSS, l’Atlas ethnographique roumain a été publié tardivement, tandis que dans d’autres pays, les plans initiaux pour sa publication ont été abandonnés ou fortement réduits : L’Atlas ethnographique de l’Europe est interrompu après la parution du premier volume, « Le feu à travers l’année » (1979), l’Atlas ethnographique de la Yougoslavie n’a plus de sens dans l’ancienne conception, l’Atlas ethnographique polonais (Varsovie, 1964) insiste sur les occupations agraires, en Hongrie les réalisations ne sont que régionales (1975), en Finlande des travaux sur l’habitat et le logement apparaissent (1976)[9].
Bibliographie :
- Alexandru Tiberiu., „Al IX-lea festival cultural din Guineea” [Neuvième festival culturel guinéen], în REF, t. 18, nr. 4/1973, pp. 315-318.
- Ceaușescu N., Cuvântare la Conferința Națională a Cercetării Științifice și Proiectării, [Discours à la Conférence nationale sur la recherche et la conception scientifiques] Ed. Pol., Buc., 1974.
- Comarnici Germina, „Aspecte privind cercetarea culturii populare în RSF Iugoslavia” [Aspects de la recherche sur la culture populaire en République fédérale de Yougoslavie] în REF, t. 26, nr. 2/1981, 219-222.
- Cucu Laurenţiu., „Sesiunea publică de comunicări cu tema: probleme actuale ale folclorului și etnografiei românești” [Session publique de communications sur le thème : « Problèmes actuels du folklore et de l’ethnographie roumains ».] în REF, t. 26, nr. 2/1981, pp. 217-219.
- Culea H., Broché C., „Tehnici de prelucrare statistică a informației AER: indexarea analitică și indexarea sintetică” [« Techniques de traitement statistique des informations de l’ARE : indexation analytique et synthétique »], în Buletinul AER, nr. 3/1978, pp. 59-72.
- Ghinoiu I., Drogeanu P., „Probleme ale valorificării materialului etnografic cu ajutorul hărții” [« Problèmes de valorisation du matériel ethnographique à l’aide de cartes »], în Buletinul AER, nr. 3/1978, pp. 31-35.
- Ghinoiu I., coord. „Atlasul Etnografic Român”, Vol. I, „Habitatul” [« Atlas ethnographique roumain », Vol. I, « Habitat »], Bucureşti, Editura Academiei Române şi Editura Monitorul Oficial, 2003; Idem, Vol. II, „Ocupaţiile”, Bucureşti, Editura Academiei Române, 2005; Idem, Vol. III, „Tehnica populară. Alimentaţia”, Bucureşti, Editura Academiei Române, 2008; Idem, Vol. IV, „Portul şi arta populară”, Bucureşti, Editura Academiei Române, 2011; Idem, Vol. V, „Sărbători, obiceiuri, mitologie”, Bucureşti, Editura Academiei Române, 2013.
- Hentea C., „Ghiveciul propagandistic comunist, iluzia libertăţii şi «şopârlele» studenţeşti” la adresa web:
http://www.historia.ro/exclusiv_web/general/articol/ghiveciul-propagandistic-comunist-iluzia-libertatii- soparlele-studentes accesat la data de 4.03.2014.
- Jozef Gajek (redaktor), „Polski Atlas Etnograficzny”, Zeszyt Probny, Mapy 1-57, Wroklaw, Institut Historii Kultury Materialnej, Polskiej Akademii Nauk,
- –, „Polski Atlas Etnograficzny”, Zeszyt I, Mapy 1-57, Warszawa, Institut Historii Kultury Materialnej, Polskiej Akademii Nauk,
- Ispir M, „Aspecte ale locuinței țărănești în județul Bacău” [« Aspects de l’habitat paysan dans le département de Bacau”], în REF, t. 25, nr. 1/1980, pp. 115-127.
- Maxim Elena, „Elemente arhaice de cultură populară românească în județul Mehedinți” [« Éléments archaïques de la culture populaire roumaine dans le département de Mehedinți »], în REF, t. 28, nr. 1/1983, pp. 85-86.
- Niculescu R., „Aspecte actuale ale cercetărilor de cultură populară din Republica Federală Germania” [« Aspects actuels de la recherche sur la culture populaire en République fédérale d’Allemagne »], în REF, t. 16, nr. 5/1971, pp. 399-404.
- — „Aspecte ale problematicii actuale a folclorului. Realități și perspective” [« Aspects des questions folkloriques actuelles. Réalités et perspectives »], în REF, t. 22, nr. 1/1977, pp. 95-99.
- Olariu Fl.- Teodor, Olariu Veronica, „O sută de ani de cartografie lingvistică românească – un bilanţ deschis” [« Cent ans de cartographie linguistique roumaine – un bilan ouvert »] în Philologica Jassyensia, An VI, Nr. 1 (11) / 2010, pp. 89–118.
- Petrescu P., „Sistematizarea și prelucrarea informațiilor – fază importantă între ancheta de teren și elaborarea hărților și a comentariilor” [« La systématisation et le traitement de l’information – une phase importante entre l’enquête sur le terrain et la préparation des cartes et des commentaires ».] în Buletinul AER, nr. 3/1978, pp. 3-8.
- Pop M., „Arhiva de folclor… la şura de fân” [« Archives folkloriques… au grenier à foin”], în Zoltan Rostas, Sala luminoasă, București, Editura Paideea, 2003, pp. 261- 360.
- Popescu Al., „Actualități etnografice din RFG”, în REF, t. 27, nr. 2/1982, pp. 172-174.
- Raportul Final al Comisiei Prezidențiale pentru analiza dictaturii comuniste în România [Rapport final de la Commission présidentielle pour l’analyse de la dictature communiste en Roumanie], București, 2006, document accesat la adresa http://www.presidency.ro/static/ordine/RAPORT_FINAL_CPADCR.pdf, la data de 3.03.2014.
- Simionescu P., „Hărțile tipologice și fișele de sinteză în cercetarea etnografică” [« Cartes typologiques et fiches de synthèse dans la recherche ethnographique »] în Buletinul AER, nr. 3/1978, 36-43.
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- Sulițeanu Gabriela, „Al XIX-lea Congres al Asociației folcloriștilor din Iugoslavia” [« 19e Congrès de l’Association folklorique yougoslave ».], în REF, t. 19, nr. 1/1973, 71-72.
- Szabo Laszlo, Csalog Zsolt, „Szolnok megye neprajzi atlasza”, (Szmna) 1/2, Szolnok, 1975.
- Țîrcomnicu E., Atlasul Etnografic Român. Cercetări în comunitățile istorice românești din nordul Bulgariei [« Atlas ethnographique roumain. Recherche dans les communautés historiques roumaines du nord de la Bulgarie »], 2010, la adresa http://www.philippide.ro/cultura_2010/67TIRCOMNICU%20Emil%20final , pdf accesat la 14.02.2014.
- Văduva Ofelia, „Posibilități de prelucrare a datelor culese pentru AER” [« Possibilités de traitement des données collectées pour l’ARE »], în Buletinul AER, nr. 3/1978, pp. 44-58.
- Vlăduțiu I. „Principii și metode de realizare a Atlasului Etnografic al României”, în REF, t. 16, nr. 6/1971, pp. 433-472.
Photos des archives de l’Institut d’ethnographie et de folklore « Constantin Brăiloiu »
Dr. Petronela-Luminița Tucă
Chercheure en ethnologie, anthropologie culturelle et ethnomusicologie
Traduction du roumain par Dan Burcea
[1] Une partie des informations contenues dans ce document a été publiée dans l’article L’Atlas ethnographique roumain-une recherche à long terme sur la civilisation et la culture populaire, coauteurs Petronela-Luminița Ciobanu (Tucă), Florica Bohîlțea (Mihuț), in Bucarest Student Letters Colloquia, coordinatrice Laura Mesina, Colloques des étudiants de la Faculté des Lettres, volume I, BESTLetters Colloquia 2014, Éditions de l’Université de Bucarest, 2015, pp. 255-264, ISSN : 293-588X ;
[2] En référence à Dimitrie Gusti, sociologue, ethnologue, historien, et professeur à l’Université de Bucarest, 1932–1933, il a été ministre de l’Éducation de Roumanie. Gusti a été élu membre de l’Académie roumaine en 1919, et en fut le président entre 1944 et 1946. Il a été le principal contributeur à la création d’une nouvelle école roumaine de sociologie.
[3] Mihai Pop, ” Folklore archive […] la șura de fân “, in Zoltan Rostas, Sala luminoasă, București, Paideea, 2003, pp. 261-360 , p. 320.
[4] Idem, p. 319.
[5] Ibidem, p. 343.
[6] Atlas ethnographique roumain, coord. Ion Ghinoiu : Vol. I, Habitatul, Bucarest, Romanian Academy Publishing House et Monitorul Oficial Publishing House, 2003 ; Idem, Vol. II, Occupations, Bucarest, Maison d’édition de l’Académie roumaine, 2005 ; Idem, Vol. III, Technique populaire. Alimentația, București, Editura Academiei Române, 2008 ; Idem, Vol. IV, Portul și arta populară, București, Editura Academiei Române, 2011 ; Idem, Vol. V, Célébrations, coutumes, mythologie, Bucarest, Editura Academiei Române, 2013.
[7] Emil Țîrcomnicu, Atlas ethnographique roumain – Recherche sur les communautés roumaines historiques du nord de la Bulgarie “, à l’adresse : http://www.philippide.ro/cultura_2010/67TIRCOMNICU%20Emil%20final , pdf consulté le 14.02.2014.
[8] Comme mentionné plus haut, sous l’égide des travaux de l’Atlas ethnographique roumain, les études zonales sur les communautés roumaines dans les États voisins se poursuivent, voir E. Țîrcomnicu, art. cit.
[9] On retrouve les mêmes aspects dans les travaux des spécialistes belges et néerlandais : P. J. Meertens, Maurits De Meyer, “Volkskunde-Atlas”, Alfevering II, Uitgeversmij N.V. Standaard-Boekhandel, Antwerpen, 1965 ; Idem, ,,Volkskunde-Atlas”, Alfevering IV, Standaard Wetenschappelijke Uitgeverij, Antwerpen – Utrecht, 1969.