L’histoire douce du Liban de Noha Baz : « De miel et de lait est avant tout une très belle aventure humaine ! »

 

 

séparateur-de-texte-png-6 - SOLE D'ITALIA

Avec De miel & de lait – Une histoire douce du Liban, Noha Baz nous offre 305 pages de plaisirs gustatifs et de preuves d’amour pour le Liban, pays du Levant, à travers un itinéraire gourmand rempli de douceurs et d’un bonheur qui se blottit, selon elle, dans les choses simples. « La lumière du Levant – nous dit-elle – est toujours une promesse. »

Médecin pédiatre et diplômée des hautes études du goût et de la gastronomie, auteure de nombreux ouvrages littéraires et gastronomiques, Noha Baz est une personne qui se nourrit d’humanité et de découvertes, de délectation et du don de soi pour soigner les enfants démunis vivant sur le sol libanais, sans faire aucune discrimination d’appartenance ethnique ou religieuse. Leurs souries à l’arrivée, elle les identifie comme « des petits soleils ».

À l’occasion de la parution de ce livre magnifiquement illustré par les photos de Milad Ayoub et préfacé par l’historien et éditeur Farouk Mardam Bey, Noha Baz a accepté de nous confier quelques secrets de sa passion et de l’amour inconditionnel qui l’anime pour cette terre et région du monde.

Chère Noha, je vous remercie d’avoir accepté de pour parler de votre nouveau livre, vraie symbiose entre les traditions et les coutumes, « sans modifier ni la générosité de l’accueil ni les sourires ». Quel lien y a-t-il chez vous entre cette terre et l’amour que vous exprimez à chaque fois lorsque vous parlez de ses traditions et de ses coutumes ? De quelles sources secrètes se nourrit-il ?

Nourrir est un acte d’amour, cher Dan, pétrir une pâte, confectionner un plat ou un gâteau pour l’offrir en partage est tellement rempli d’affection ! Les coutumes et les traditions sont là partout dans le monde pour nous rappeler que célébrer les fêtes c’est avant tout célébrer l’humain, saluer son savoir-faire et toute sa créativité. Longtemps le Liban était réduit au mont Liban, les villes sont arrivées plus tard au moment de l’indépendance pour constituer les 10452 m2 d’aujourd’hui. Dans les montagnes libanaises la nature offre des merveilles en paysages et en terroir. La créativité des habitants des lieux a su façonner la richesse de ce terroir en délices comme les fleurs de pâte d’amande, comme la confiture de figues au lentisque, comme les petits gâteaux de fêtes qui sont très présents dans le livre et dans toutes les régions libanaises. Aller à leur rencontre, comparer leurs différences a été passionnant !

Ce que confirme d’ailleurs le titre de votre beau livre qui renvoie à la notion de paradis, à l’image de l’abondance. Quelle place occupent dans la tradition culinaire et surtout dans la pâtisserie le miel et le lait, ces deux aliments primordiaux ?

L’histoire du Liban a commencé depuis plus de six mille ans. Sur ce qui était alors appelé Terre de Canaan, l’abondance et la prospérité de la nature étaient déjà présentes. Les Cananéens s’étaient installés entre mer et montagne et étaient connus pour leur gastronomie, la finesse de leurs préparations des mets et leur culture de la vigne. Cette Terre de Canaan a été plusieurs fois décrite dans la Bible comme une Terre de lait et de miel.

Au Liban la douceur que j’ai voulu retranscrire dans cet ouvrage est indissociable de celle de ces deux ingrédients. Si je devais choisir une image pour vous montrer cette douceur, ce serait celle de la crème ashta qui seule est déjà somptueuse ; recouverte de miel elle en devient divine ! Cette crème ashta habille multitude de desserts libanais et le miel rentre dans la composition de beaucoup d’entre eux aussi.

 

 

Pour rester dans cette lignée amoureuse, vous qualifiez la tradition culinaire libanaise comme étant bâtie sur de vrais « marqueurs de joie, associés aux fêtes ». J’ai beaucoup aimé la phrase que vous mettez en exergue et qui dit : « Une pensée pour les absents et un sourire pour le ciel… » Que dit cette magnifique métaphore sur ce pays et son peuple dont l’histoire est faite de tant de joies et de souffrances, d’émerveillements et de richesses?

Qui dit traditions dit transmission. Les célébrations et les fêtes ponctuent toute la vie et sont transmis de génération en générations. C’est toujours pour moi un grand moment d’émotions lorsque je reproduis un plat dont le tour de main m’a été transmis par mon grand-père, ma marraine, ma mère ou mon père ou par une des personnes qui aidaient mes parents à la maison et qui m’ont élevée. Souvent un plat est associé pour moi au souvenir d’une personne chère. En le reproduisant oui il m’arrive de sourire avec tendresse en repensant aux gestes, aux moments de partage parfois à la petite histoire du dessert ou du plat qui m’était racontée pendant la préparation.

Vous savez, la nostalgie heureuse est un baume extraordinaire et un levain joyeux, comme je le dis souvent !

Quant à l’histoire du peuple libanais elle est en effet émaillée de souffrances et de guerres mais ce peuple dont je fais également partie m’étonne tous les jours par sa résistance et sa détermination. Par son sens de la fête et du partage aussi !

Pendant la guerre, un des souvenirs les plus tenaces ce sont les baklavas que l’on offrait aux barrages encore criblés de balle pour saluer un cessez-le-feu ou une accalmie ! Époustouflant !

Votre livre repose sur plusieurs piliers. J’en décèle plusieurs sur lesquels j’aimerais vous interroger. Le premier celui de la richesse gastronomique que vous rassemblez dans ses pages. Comment avez-vous réussi à réunir tant de recettes et en faire, comme vous l’écrivez, « une histoire gourmande du Liban » ? Combien de temps vous a-t-il fallu pour réussir ce défi et par quels moyens, à travers de recherches et de pérégrinations ?

Ce livre est l’aboutissement de trois années de travail et de recherches. J’en ai d’abord établi le plan. Par régions comme un tour gastronomique gourmand en allant de Beyrouth vers le sud puis dans la Bekaa pour remonter ensuite vers le nord. J’ai suivi la géographie mais également la piste de l’histoire. L’historique des desserts est toujours amusant parce que les desserts comme je vous l’ai dit couronnent un repas et c’est le souvenir que l’on emporte souvent avec soi d’un repas. Il y a eu les recherches livresques bien sûr pour le côté historique mais pour les petites histoires et les anecdotes le meilleur livre d’histoire ce sont les anciens d’un village. J’ai adoré aller vers eux, partager leurs moissons, leurs préparations et leurs fêtes. En vous racontant cela je revois beaucoup de sourires et de moments de joie. En plein confinement et en pleine déliquescence du pays à la suite de la crise économique, ces moments-là étaient d’une richesse extraordinaire. Les personnes prenaient conscience de ce trésor que constitue la gastronomie d’un pays et qu’ils étalent surtout riches de cela.

 

 

Des grands-mères aux visages parcheminés de soleil et de labeur avaient les yeux qui s’illuminaient lorsqu’elles parlaient des desserts de leur enfance.

De miel et de lait est avant tout une très belle aventure humaine ! Toutes ces personnes sont devenues des personnages d’importance puisque tout le village était souvent réuni autour du héros ou de l’héroïne du jour qui transmettait sa recette. La bonne humeur et le partage étaient au rendez-vous. Le stylisme des photos la mise en place des objets les plats choisis tout cela est ma propre initiative et le talent photographique de Milad a fait le reste.

Le second est celui de la diversité. Est-ce que cette notion est appropriée pour définir cette richesse de la pâtisserie, y a-t-il des différences d’une région à l’autre, chacune avec des trésors de civilisation passée qui parle encore aujourd’hui de cette richesse ?

La diversité certes est présente puisque les régions montagneuses les villages et les villes ont chacune ses caractéristiques. Mais je parlerais plutôt de nuances. La même recette de kaak par exemple. Le mot en arabe veut dire gâteau. « Kaak el 3eid » : le gâteau de la fête était réinterprété en très petites nuances d’une région à une autre. Plus de nigelle dans le sud, plus de fenouil dans le nord, plus de lentisque ou de meskeh à Beyrouth.

Faire prendre conscience à un peuple de sa communion malgré ses différences est essentiel et là le sujet était tout trouvé.

 

 

Vous ne faites pas que reproduire des recettes, vous leur donnez vie en les contextualisant, voire en les améliorant. Peut-on parler d’un vrai travail d’ethnographie culinaire dans le sens noble du terme ?

Pour ce qui est de la contextualisation elle est essentielle pour comprendre l’évolution de la préparation. Les mamelouks à Tripoli ont remplacé dans plusieurs recettes le miel et la mélasse de fruit utilisée jusqu’alors par le sucre de canne et ont ouvert la porte à la confection en quantité de ce qui était jusqu’alors seulement artisanal.

J’ai diminué la quantité du sucre pour certaines recettes, inventé une Tatin de nèfles qui est devenue le gâteau de la doctora à Tyr par exemple, mais je n’ai absolument pas touché à la plupart des recettes que l’on m’a transmises.

Un autre aspect très intéressant est celui de la double étendue de votre démarche, à la fois territoriale et historique. On peut même parler d’une carte qui s’étend par des similitudes en Syrie, en Palestine, en Grèce, à Chypre, etc. mais aussi d’une origine temporaire lointaine qui se conjugue avec l’histoire. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

 

 

C’est ce que l’on appelle la terre levantine en partage. C’est formidable de constater que ces traditions alimentaires peuvent être un véritable ferment d’union.

Nous laisserons aux futurs lecteurs de votre magnifique histoire douce du Liban le plaisir de la découverte et le délice des papilles et des yeux.  «Il faut le lire de bout en bout», nous conseille votre préfacier. Pourtant, s’il fallait en choisir votre préféré, ce serait lequel ?

Difficile pour moi de choisir mais j’adore la bekaa et j’ai une véritable histoire d’amour avec le Sud comme je l’ai écrit parce que j’en connais mieux les traditions.

Nous passions enfants nos vacances dans une maison à Jezzine, qui était tout l’été pétrie de goûts et de Mouneh avec une cuisinière locale que j’adore et qui m’a appris tellement de choses dans la cuisine libanaise … Mais pour moi Tout le Liban du Nord au Sud est une histoire d’amour finalement ! Comment ne pas aimer déguster les bras de la dame en regardant le coucher de soleil devant le mur phénicien de la ville de Batroun ? Comment ne pas se promener à Tripoli et déguster dans les labyrinthes de ses souls des chmaysseh extraordinaires ? Ne pas apprécier les loukoums à la mandarine de Saida parfumés de fleur d’oranger ?

Si je devais choisir un seul dessert ce serait le halewet el jebn.

Qui réunit le lait le miel, le lentisque et la fleur d’oranger.

Propos recueillis par Dan Burcea

Crédits photo © Milad Ayoub

Noha Baz, De miel & de lait – Une histoire douce du Liban, 2024.

 

 

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