Portrait en Lettres Capitales : Gabriela Toma

 

 

Qui êtes-vous, où êtes-vous née, où habitez-vous ?

J’habite à Bucarest, une ville idéale pour contempler le monde. Un autre endroit complémentaire, dirais-je, est pour moi celui de Xalapa, au Mexique, ou Nepantla, celui imaginé dans mon roman Posh. Je vis dans un état de bien-être, celui que j’ai hérité de ma grand-mère, Mia, et dans le monde fabuleux de l’amitié, absolument vital, qui me relie à trois personnes incroyables, dont je dois citer ici les noms : Răzvan Vasile, Gabriela Voicu et Luna Gaspar, au lieu de mon enfance (Dragomirești Vale) et aux grâces et défis de la vie. J’ai vécu pendant un certain temps à Cluj, où j’ai fait mes études, ville dont la beauté a été renouvelée à travers l’amitié que j’ai nouée avec Andrei et Arpika. En d’autres termes, je vis là où il y a des gens qui me fascinent. Je suis une femme troubadour, une Trobairitz roumaine qui cherche l’histoire qui correspond le mieux à mon imagination.  

Vivez-vous du métier d’écrivaine ou, sinon, quel métier exercez-vous ?

En tant qu’écrivain, je pense qu’il est nécessaire, voire obligatoire, de faire l’expérience de différents métiers, de vivre dans des milieux différents et de recueillir les témoignages des gens. Pour donner un exemple, T. S. Eliot travaillait dans une banque de 9 h 15 à 17 h 30, si je me souviens bien. Erza Pound lui a reproché cette chose et a essayé de le persuader d’abandonner ce travail, arguant que cela affectait son écriture et la prolificité de son œuvre. Pound était également prêt à attirer certains donateurs qui auraient aidé Eliot dans sa carrière de poète. C’était absurde !  Eliot savait très bien ce qu’il faisait.  Mais prenons un autre exemple venant de Roumanie, celui de Panait Istrati. Il a commencé par travailler dans un magasin, comme portier, infirmier, peintre, portier, voyageur clandestin dans les contrées les plus lointaines. C’est un auteur que j’admire beaucoup et qui s’est fait un nom dans la culture française. J’ai eu de nombreuses expériences avant de travailler dans la presse, puis comme bibliothécaire et muséographe. Il est vrai qu’elles étaient liées à l’art d’écrire et de raconter des histoires, mais j’ai également exercé d’autres métiers qui m’ont fait découvrir d’autres mondes et d’autres perspectives, ce qui m’a énormément aidée. Le bénévolat à la Young Initiative Association m’a fait prendre conscience de l’importance d’être présent dans la vie des gens, de s’impliquer. Après tout, c’est de cela qu’il s’agit : découvrir son talent et le mettre au service des autres. C’est ce que font les écrivains, et ce sont eux qui savent le mieux quel est le pouvoir d’une histoire ou comment elle peut être transmise au monde. La commodité de gagner sa vie grâce à l’écriture a ses avantages, mais aussi sus trampas, comme disent les Mexicains, ses pièges.

Comment est née votre passion pour la littérature et surtout pour l’écriture ?

Les livres ont été et demeurent un complément parfait à tout ce que je vis, une intersection où j’aime croire qu’il y a un nouveau départ. Ma nature curieuse m’a amenée à croire en un monde imaginaire aussi réel que possible, à le rechercher, à le chasser.

Quel est l’auteur/le livre qui vous ont marqué le plus dans la vie ?

Chaque étape de ma vie a été marquée par un voyage ou une découverte. Je n’ai pas d’auteur préféré, j’ai une liste à laquelle je reviens sans cesse : Le Petit Prince, L’Épopée de Gilgamesh, Pedro Páramo, Le Désert des Tartares, Cent ans de solitude, La Montagne magique, La Mort et la boussole, En attendant Godot, ce serait la liste la plus courte, et, le dernier roman qui m’a marquée, Le Sauvage de Guillermo Arriaga. Si je devais choisir un livre, ce serait sans aucun doute Pedro Páramo de Juan Rulfo.

Quel genre littéraire pratiquez-vous (roman, poésie, essai) ? Passez-vous facilement d’un genre littéraire à un autre ?

La poésie vient quand elle veut, elle vous abandonne, elle revient, c’est l’amour le plus capricieux que l’on puisse connaître. En revanche, j’ai écrit mon premier roman fantastique pour enfants, adolescents et parents curieux, Posh, comme une dictée, entre le 4 mars et le 8 août 2023. Je me suis assise devant mon ordinateur portable et j’ai écrit. Des essais, j’en ai écrit beaucoup, surtout pendant mes années d’études, comme une partie d’échecs en huit coups et demi pour parler des films de Fellini.

Comment écrivez-vous – d’un trait, avec des reprises, à la première personne, à la troisième ?

Dans ma littérature en prose, j’ai un personnage qui s’appelle Lara, c’est ma projection d’adolescente idéale, qui vit dans un monde totalement différent de celui dans lequel il m’a été donné de vivre. Je lui confie tout ce que j’aurais voulu lire et vivre à l’âge de 12 ans, pour trouver mon chemin depuis le treacălume[1] et jusqu’à Nepantla. Les mots viennent pendant un trajet en tramway, dans un café ou dans la file d’attente d’un supermarché. Pour le genre de fiction, il faut s’exercer à écrire après avoir couru 10 kilomètres par jour, comme Haruki Murakami. Certains disent qu’il n’y a pas de formule, mais il y a un triangle sacré : l’auteur, les personnages et le lecteur, il y a, ce qu’Aristote disait nécessaire, une triade, dans l’écriture d’une pièce de théâtre parlée dans l’agora et au-delà : la compassion pour le personnage, la peur et la catharsis.

D’où puisez-vous les sujets de vos livres, et combien de temps est nécessaire pour qu’il prenne vie comme œuvre de fiction ?

J’aime observer les gens, écouter leurs histoires. Pour cela, il faut voyager, s’imprégner, savoir être présent dans le monde des gens authentiques, ce qui est rare de nos jours, ou s’isoler dans une chambre capitonnée comme Marcel Proust. 

Choisissez-vous d’abord le titre de l’ouvrage avant le développement narratif ? Quel rôle joue pour vous le titre de votre œuvre ?

Je choisis toujours le titre à la fin. C’est un symbole et une marque qui permet de décoder l’ensemble du volume. Dans Cântecul geamănului[2], je ne parle pas de jumeaux, mais de la dualité existence-mort mexicaine, qui est la vie elle-même, et le Crivac[3] est un outil d’exploration du sens. Dans Posh, le personnage-titre est un personnage subtil, un véritable guide.

Quel rapport entretenez-vous avec vos personnages et comment les inventez-vous ?

J’aime à penser qu’ils sont aussi réels que ceux que Guille pensait de Marry Poppins, dans le roman d’Alejandro Palomas. Je pense que tout véritable écrivain imagine ses personnages marchant sur le trottoir, attendant aux feux de circulation, même les plus extravagants, entrant dans un magasin ou attendant de récupérer leur passeport. Dans l’écriture, on a cette liberté absolument unique de transformer n’importe quel être réel en être fictif. Ikatel et Lenoi, dans mon roman fantastique Posh, sont des personnages inspirés de ma tante et de mon oncle. De nombreux lecteurs se retrouvent dans le chapitre qui leur est consacré.

Parlez-nous de votre dernier ouvrage et de vos projets.

Posh est mon roman le plus récent. Il s’agit d’une œuvre fantastique où les personnages ne connaissent pas la mort, mais seulement la transformation, où il existe trois niveaux du mal, où la réalité peut être modelée et imaginée. Qu’est-ce que cela ferait d’avoir à portée de main un espace de passage imaginaire dans sa propre maison, où l’on pourrait s’échapper quand on le souhaite ou quand les personnages de fiction ont besoin de nous ? C’est à cela que ressemble vraiment la vie pour moi. Je travaille sur un livre de poésie et un livre d’entretiens, intitulé Dialogue avec Ohtli, c’est-à-dire avec moi-même. En fait, je me pose les questions auxquelles j’aurais aimé répondre dans une interview rêvée ou imaginée.

(Traduit du roumain par Dan Burcea)

[1] Detroit en contraste avec La Voie de la Chauve-Souris Rouge, un univers fantastique, plein de personnages fabuleux, dans lequel le personnage de Lara pénètre à travers différents espaces, n.d.tr.

[2] Le Chant des jumeaux, n.d.tr.

[3] Baritel des mines, n.d.tr.

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