Portrait en Lettres Capitales : Muriel Augry

 

Qui êtes-vous, où êtes-vous née, où habitez-vous ?

Je m’appelle Muriel Augry, je suis Française, née à Paris. Je suis poète, essayiste, nouvelliste. Je partage actuellement ma vie entre Paris et Rome. En fait, j’ai toujours vécu entre une résidence et une autre et c’est pour moi un équilibre : une demeure en France et une autre à l’étranger, c’est une bonne solution pour maintenir une ouverture d’esprit, pour relativiser aussi. Je n’aime pas vivre dans un cadre exigu et j’ai besoin de constants voyages, d’échanges avec l’autre. Le dialogue, la confrontation sont pour moi essentiels. Mais je sais aussi savourer le « dolce farniente » et je fais de la « rêverie » un art de vivre.

Vivez-vous du métier d’écrivain(e) ou, sinon, quel métier exercez-vous ?

Rares sont ceux qui arrivent à vivre du métier d’écrivain, j’ai été professeure, j’ai enseigné à l’Université en Italie, à Turin, puis j’ai occupé des fonctions passionnantes dans les services culturels de l’Ambassade de France dans différents pays comme l’Italie, le Maroc, la Roumanie. J’ai été directrice d’Instituts français, ce qui m’a permis d’inviter, dans le cadre de la promotion de la langue française, de très nombreux écrivains et d’avoir des échanges d’une grande qualité. Je suis, comme de nombreux écrivains, très souvent invitée dans des salons et festivals en France et à l’étranger et donne des lectures et conférences. Si des cachets sont versés, il s’agit en effet d’une juste reconnaissance de ce qu’est le métier d’écrivain.

Comment est née votre passion pour la littérature et surtout pour l’écriture ?

J’ai toujours aimé la littérature, depuis que je suis enfant. J’allais dans des bibliothèques de quartier et dévorais des classiques. Je me rappelle qu’on avait droit à trois ouvrages pour quinze jours et j’avais toujours fini avant la période. Bien sûr j’ai suivi des études littéraires dès le lycée, puis en Lettres supérieures jusqu’au Doctorat à la Sorbonne. Lire était pour moi une nécessité, une évasion aussi. Tout naturellement, j’ai glissé vers l’écriture, mais il s’est agi d’abord de rédactions d’articles critiques dans le cadre de mes études universitaires. Je n’ai jamais écrit de poèmes, comme on le fait souvent à l’adolescence ; non la poésie, qui est désormais mon genre privilégié, est venue au contraire à l’âge adulte. J’ai toujours été assez observatrice et j’ai vite remarqué que le quotidien offrait son lot de surprises : j’ai donc écrit des nouvelles, un genre court, qui est d’une grande exigence et dans lequel je me sentais très à l’aise. Puis j’ai alterné entre prose et écriture poétique.

Quel est l’auteur/le livre qui vous ont marqué le plus dans la vie ?

J’ai lu Stendhal en classe de seconde, plus précisément la Chartreuse de Parme et ce fut le coup de foudre. La découverte de l’Italie, le romantisme, des intrigues complexes, des histoires à l’intérieur de l’Histoire, bref une passion. De vie ou de de mort. Et j’ai été fidèle toute ma vie à Stendhal. J’ai découvert ses nouvelles beaucoup moins connues, comme Mina de Vanghel, ou le Rose et le Vert ou encore Don Pardo. J’ai rédigé une thèse Le cosmopolitisme dans les textes courts de Stendhal et Mérimée. J’ai rédigé des articles sur Stendhal, consul dans le port de Civitavecchia. Je trouve que Stendhal réussit à merveille à allier un romantisme exacerbé avec une forme de cartésianisme, ceci grâce à une langue d’un grand classicisme ; et je dis souvent à mes amis étrangers de lire l‘essai De l’Amour s’ils veulent pénétrer les méandres de l’esprit français avec ses aspirations et contradictions.

Quel genre littéraire pratiquez-vous (roman, poésie, essai) ? Passez-vous facilement d’un genre littéraire à un autre ?

Le roman demande d’avoir du temps à disposition. Je suis beaucoup plus à l’aise dans les formes courtes que je peux conjuguer avec une activité professionnelle. J’écris des essais dans le cadre de commandes ou pour m’exprimer sur un fait de société. Les nouvelles sont pour moi un exercice de rigueur et de construction que j’aime beaucoup et j’y laisse aller toute ma fantaisie, à partir d’un événement du quotidien. Je m’amuse beaucoup à écrire des nouvelles. Quant à la poésie, il s’agit d’un souffle, d’une respiration qui m’est nécessaire. Ecrire de la poésie, c’est me retrouver avec moi-même, c’est prendre le temps, c’est pénétrer dans un univers plus confidentiel. Il s’agit donc de genres bien distincts pour moi que je pratique selon les demandes que l’on peut me faire ou plus simplement selon mon état d’esprit. Et je passe très facilement d’un genre à l’autre.

Comment écrivez-vous – d’un trait, avec des reprises, à la première personne, à la troisième ?

La façon d’écrire, les plages horaires dépendent du genre. Pour une nouvelle ou un essai, je vais avoir tendance à écrire de façon continue, à mon bureau, face à mon ordinateur. Pour la poésie, c’est allongée sur mon canapé le soir ou à la terrasse d’un café, il ne doit y avoir aucune contrainte. La poésie s’impose ou ne s’impose pas. Je ne peux que très rarement répondre à une commande en poésie, comme dans le cadre d’un ouvrage collectif. Si je le fais, cela me demande un effort supplémentaire. J’écris beaucoup plus à la troisième personne, très rarement à la première. J’ai une forme d’écriture pudique, qui dit, mais entre les lignes ; je reprends ce que mes lecteurs ou critiques littéraires m’ont confié ressentir. Mais cette pudeur ou réserve n’empêche pas l’aveu. La force des mots, celle des images sont là ; en fait elles demandent au lecteur de faire un effort et ainsi de partager avec moi un moment précis, une émotion.

D’où puisez-vous les sujets de vos livres, et combien de temps est nécessaire pour qu’il prenne vie comme œuvre de fiction ?

Les sujets de mes nouvelles sont devant moi, devant nous tous, dans la rue, à la télévision, dans le métro. Ils font partie de notre vie de tous les jours et, par caractère certainement, je saisis souvent ceux qui sont à la base cocasses et que je vais arranger à ma manière. J’écris une nouvelle en quelques heures, d’une traite. Pour la poésie, il n’y a pas de temps qui puisse être affiché. Je peux ressentir une émotion et la transposer quasi immédiatement ou elle peut être enfouie pendant des jours, des mois et ressortir lorsque je ne m’y attends pas. Il n’y a, pour moi aucun contrôle sur l’écriture poétique. C’est ce qui en fait son authenticité, sa force.

Choisissez-vous d’abord le titre de l’ouvrage avant le développement narratif ? Quel rôle joue pour vous le titre de votre œuvre ?

Le titre est capital, c’est l’identité du livre. Il doit être en parfaite adéquation avec le contenu. J’ai eu la chance avec mes éditeurs de n’avoir jamais dû changer le titre de mes livres. Parfois le titre s’impose de suite, parfois cela nécessite plus de maturation. Publiant en France, mais aussi à l’étranger, je me dois d’être attentive à la compréhension immédiate, mais aussi à l’euphonie. Lorsque vous avez des enfants issus d’un mariage mixte, vous faites attention à ce que les grands-parents n’écorchent pas le nom de leurs petits-enfants. Et bien pour un titre, c’est pareil ! Et le titre doit aussi pouvoir avoir un équivalent dans la langue de traduction, lorsqu’ il s’agit d’un recueil bilingue.  Et là bien sûr, j’en parle avec le traducteur et nous trouvons ensemble le meilleur titre.

Quel rapport entretenez-vous avec vos personnages et comment les inventez-vous ?

Je vais parler des personnages de mes nouvelles. Je les « croque » tel un peintre. Je les vois, les dessine dans ma tête. Ils sont mes amis ou ennemis le temps de l’écriture et lorsque je relis mes récits quelques mois ou années après, j’ai l’impression de retrouver de vieilles connaissances. J’ai beaucoup d’imagination, je les fabrique donc très facilement. Je pars en effet à partir d’un détail, d’un fait divers, mais après je déshabille mes personnages et leur fait endosser le costume que je veux. C’est moi qui tire les ficelles. J’ai souvent aussi beaucoup de tendresse pour certains, les « égarés de la vie » ou tout simplement les distraits et beaucoup d’admiration pour les femmes qui savent trouver par elles -mêmes leur chemin.

Parlez-nous de votre dernier ouvrage et de vos projets.

Je viens d’achever un ouvrage qui me tenait à cœur depuis longtemps. Il s’agit d’un recueil de poésies intitulé Paris, Rome, impressions jumelles qui va paraître cet automne en Roumanie, à Iasi, dans la maison d’édition Junimea. Ce volume est publié en version bilingue avec une traduction en langue roumaine par Simona Modreanu. Le choix de la thématique Paris/ Rome repose sur le fait que ces deux capitales sont les deux seules au monde à avoir un jumelage et ce depuis 68 ans. Cela m’a donc attirée. Et comme je le disais en début d’entretien, j’habite entre les deux villes, deux superbes capitales liées par l’histoire, l’art, la littérature. Je les connais très bien toutes deux, les fréquente depuis des années et me sens aussi parisienne de naissance que romaine d’adoption et de cœur. Ce livre voit le jour grâce à la collaboration avec deux peintres jumeaux Slobodan et Vladimir Peškirević, avec lesquels, nous avons travaillé de façon croisée, à savoir que j’ai écrit des poèmes sur des toiles qu’ils réalisaient sur Paris et qu’ils ont créé des toiles sur Rome à partir de mes écrits. Ce ne sont nullement des illustrations, mais il s’agit d’échos. Le résultat est surprenant. J’ai en chantier un autre ouvrage, une anthologie de mes poèmes intitulée Comme un parfum d’errance, traduit cette fois en langue arabe par Mounir Serhani et Hassan Najmi qui paraîtra avant la fin 2024 chez Virgule Editions, au Maroc, à Tanger.

Cette grande diversité géographique, linguistique me comble. Elle répond à l’universalité de la littérature.

(Crédit photo du portrait de Muriel Augry : © Alain Barbero)

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