Portrait en Lettres Capitales : Catherine École-Boivin

 

Qui êtes-vous, où êtes-vous née, où habitez-vous ?

Je suis une femme qui essaie de voir et d’entendre derrière les choses, une écrivaine qui se perd sur les chemins, s’interroge devant les bosquets des mots, ceux qui racontent la vie. Je suis faite de pierres, de falaises et de vents, puisque née et conçue sur une presqu’île. Donc pas tout à fait îlienne, mais tout à fait à bout de souffle lorsque je suis séparée d’un paysage dépourvu d’eaux. Celles qui grondent comme dans la Hague mon pays de naissance, celles du Lac Léman où l’une de mes filles vit maintenant. La Suisse dont je suis tombée en amour.

J’habite désormais dans un marais de la baie de Bretagne, dans un pays de légende où les esprits soufflent encore la cornemuse. Mais à la vérité, partout où je vais, je suis habitée par les paysages du lieu où j’ai été conçue dans la presqu’île de la Hague. C’est vraiment cela, je suis habitée plus que je n’habite mon pays de naissance, notamment par la baie d’Ecalgrain, où mes cendres le jour et la nuit de ma mort, seront éparpillées. C’est ce lieu qui est ma véritable maison. Je m’y transporte souvent même lorsque j’en suis éloignée, tout près de la voix de ma mère. Une voix rieuse qui résonne encore sur la plage de galets. Ma mère qui est morte d’un cancer en 2000.

Comment est née votre passion pour la littérature et surtout pour l’écriture ?

C’est à sa mort que j’ai commencé à écrire la vie, non pas des stars mais la vie en général, la vie en vérité de ceux et celles qui nous ont donné la vie. En écrivant j’ai voulu donner du sens à l’histoire universelle racontée, non pas par ceux qui ne l’ont pas vécue mais par ses témoins.

Quel est l’auteur/le livre qui vous ont marqué le plus dans la vie ?

J’ai été marquée par de nombreux écrivains et écrivaines, notamment Romain Gary, Thierry Metz, Colette et de nombreux philosophes, dont actuellement David Le Breton. Celle qui est selon moi la plus écrivaine des écrivaines et écrivains, c’est Charlotte Delbo. Je ne peux pas lire les passages de ses livres à mes élèves sans émotion et souvent encore en la relisant, il m’arrive de pleurer devant la beauté et l’intelligence de son écriture.

Quel genre littéraire pratiquez-vous (roman, poésie, essai) ? Passez-vous facilement d’un genre littéraire à un autre ?

J’aime l’écriture poétique de René Char, de Gaston Bachelard par exemple. J’ai aussi échangé des courriers avec Julien Gracq juste avant sa mort. L’écriture qui dit plus qu’elle ne dit avec ses mots, m’interroge, l’agencement inventé pour émouvoir me fascine. Je lis beaucoup d’essais, notamment de Jean-François Chiantarreto qui fait des recherches fascinantes sur l’écriture de soi.

Comment écrivez-vous – d’un trait, avec des reprises, à la première personne, à la troisième ?

J’écris par émotion, par bourrasque, d’un trait à perdre le temps et le souffle parfois. Souvent au présent, aux temps simples. Un livre me tient le corps et la pensée neuf mois, parce qu’avant d’être écrivaine je suis mère, de 4 adultes maintenant, bientôt grand-mère pour la première fois. Écrire a à voir avec la maternité selon moi, c’est un ancrage, un lieu secret en soi, un mystère jamais tout à fait révélé car les mots gardent en eux un peu de sacré, portent en eux une trace invisible mais présente de ceux qui les ont créés, transformés pour qu’ils viennent jusqu’à nous.

D’où puisez-vous les sujets de vos livres, et combien de temps est nécessaire pour qu’il prenne vie comme œuvre de fiction ?

En mettant en scène les mots je leur donne à mon tour naissance, dans une sorte de généalogie énigmatique. Ils charrient tous une histoire complexe à décrypter, ils viennent d’un pays parfois que je ne connais pas, d’un pays et paysage et je les mélange avec d’autres dont l’origine ne m’est pas plus accessible et cela donne un livre dont je peux revendiquer la maternité. C’est assez incroyable d’écrire, c’est un acte qui porte les voix millénaires, les accents de la nature, les bruits qui n’existent plus et qui pourtant sont encore là, c’est un bruissement de feuilles et de murmures. Tous mots qui apparaissent et prennent sens soudain sont selon moi les fantômes d’autres qui se sont longtemps tus et veulent se dire par la littérature, qui est un lieu entre deux, entre le vivant animé des êtres et celui animé des pages.

Choisissez-vous d’abord le titre de l’ouvrage avant le développement narratif ? Quel rôle joue pour vous le titre de votre œuvre ?

C’est par le titre, comme un prénom que je rentre dans l’écriture, c’est un moment émouvant. Il est arrivé par trois fois qu’un éditeur me refuse un titre et j’ai été blessée par cela, comme dépossédée de mon œuvre. Comme une mère abandonnée par son enfant !

Parlez-nous de votre dernier ouvrage et de vos projets.

J’écris plusieurs livres actuellement, des romans et une biographie d’un moine bouddhiste d’origine tibétaine.

La photo-biographie du paysan Paul Bedel, préfacée par Serge Joncour, chez Albin Michel vient d’être rééditée pour ce Noël 2021. Mes autres manuscrits sont en attente d’édition et reportés du fait de la crise sanitaire.

  

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