Écrire – être écrivain : Deux textes de Joëlle Petillot

 

Écrire

Écrire me modifie. 
Les mots sortent d’un puits que j’ignore au dedans. On trace des contours, c’est presqu’une œuvre peinte. Ils dessinent un inconnu connu, un soi qui s’étale. 
Il y a de la complaisance à se grandir ainsi.

Écrire est œuvre d’approximations. On raye, rature, ratifie, c’est selon. On sculpte et dégage les scories, on déteste, on y revient, on s’aime et on se hait d’avoir ce besoin-là, cette morsure qui carillonne, ce petit serpent sous la peau.

Parfois, tout part à l’eau de la mémoire, se brouille ; pas grave, “je” n’a jamais rien voulu dire, c’est même le masque le plus répandu. 
Écrire, être sincère toujours, tout en cherchant à plaire… Oh, le plus vieux pari au monde, et combien de nuits sans dormir, pour enfin toucher à la liberté d’être. 
S’affranchir est un mot d’esclave. 
Comment couper le lien serré entre le lecteur et moi, ce regard sans lequel mes mots ne seront plus que défroques ?

Écrire allégée de cette recherche qui nous fait petits.

Page blanche, rivière soiffarde où se noient nos dévastations. 
C’est soûlant, d’écrire. Au sens du tournis, de l’oscillation.

Je ne sais pas de meilleur sentier, de plus abrupt, de plus casse-gueule, pour ces pieds tremblotants d’inconnu dans lesquels je distingue, parfois, un éclat, une couleur, un semblant de chaussure qui m’irait sans blesser.

Il y a aussi, certains matins qu’on voit pointer, des minutes brèves où tout coule, et la rivière s’apaise un peu. 
Il importe que ça ne dure pas. 
La facilité, c’est l’ennemi.

Écrire est un travail de patiente impatience, d’exil dans notre propre peau.

Un boulot d’archiviste de vies diverses, la nôtre, celles qu’on crée, pourvu qu’on soit un peu conteur. Je ne vois pas de poésie sans cet impérieux statut. Les conteurs parlent à l’air, au ciel, à la mort.

Écrire me modifie. Pas toujours en bien, sans doute. Mais quand on s’y donne comme on se noie, on devient cet être à mille visages qui donne à voir.

Je tends vers. C’est au moins cela.

La brève éternité

La poésie convoque la beauté des choses, ploie le temps au regard.

Elle a ce pouvoir de figer tout en parlant de mobilité.

J’écris un vol d’oiseaux passés. En l’écrivant, je l’aiguille au papier comme un papillon le subit d’un collectionneur. Sauf que mes oiseaux vivront à jamais.

Elle est un grand cri noir qui git en nous depuis le début. Dans ces ténèbres–là il y a fort à défaire. Je m’ensommeille vissée au sol, amputée de voyages pour mieux demeurer. Mais si je me fais gisante, qu’aura valu ce règne ?

Il faut donner à en tomber de vertige.

Toute cette peau que je t’offre, comment entrer dedans sans les affres des choses tues, sans l’absence et sa déchirure ? À retourner les chemins comme des gants pour ne plus marcher où on voulait, il y a comme une symphonie d’attente. Je ne veux surtout pas m’appartenir, car comment écouter, après ?

L’enfant en moi,  ce résultat et lui seulement, ce puits de ressemblance né de deux histoires croisées, ce reflet appétant, ne restera qu’une ombre portée qui bougera à peine. Je devrai la lâcher en long désapprentissage.

De la première seconde de vie à l’ultime, on ne fait que se quitter.  

La poésie grandit de cette distorsion.

Naître, c’est déjà leurrer le monde.

Joëlle Petillot

 

 

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