Les «Errances et autres nouvelles» d’Adriana Langer

 

 

Adriana Langer publie Errances et autres nouvelles aux Éditions David Reinharc. Il s’agit de son troisième volume qui met à l’honneur ce genre littéraire, après Ne respirez pas (2013) et Oui et non (2017) et la publication d’un roman Aude en 2020.

Lors d’une interview qu’elle nous avait accordée après la publication de son roman, Aude, en 2020, Adriana Langer nous avait confié un secret si bien formulé dans une très belle phrase : « Je suis comme Aude, je garde un contact proche avec mes rêves ». Elle renouvelle dans son nouveau recueil cette même appartenance à un univers onirique qui n’est autre qu’un mélange de nostalgie envers le temps qui passe et d’étonnement devant la beauté fulgurante du monde. Ses personnages, presque toutes féminins et s’adressant à la première personne, son attirés par des expériences qui les mettent devant des situations uniques censées reproduire l’imagerie secrète de leur rêves déjà annoncés et les aider à mieux comprendre leur unicité. La tache paraît facile pour le médecin radiologue qu’est Adriana Langer, même si franchir le pas vers la littérature lui demande plus d’imagination que de précision. En cela, son talent est authentique, comme l’attestent ses débuts littéraires et surtout l’écriture de ce dernier recueil de nouvelles très abouti, d’une impressionnante unité de style et d’une fine observation dans la construction de ses personnages.

Pour mieux comprendre à la fois la substance narrative de ses nouvelles et le périmètre où celles-ci se déploient, il faudrait peut-être commencer par consigner la nuance de durée qu’elle opère par la substantivisation plurielle de certains verbes qui sont les murs porteurs de ses récits. Naître devient ainsi naissances, errer devient Errances – nuances auxquelles elle rajoute des précisions aussi nécessaires que décisives : naître quelque part – errer d’une étape de vie à l’autre, d’une terre natale à l’autre, comme un voyage à la fois initiatique et rétrospectif de la vie.

Le regard que l’auteure jette sur ce qui se passe dans ses récits a – redisons-le – quelques chose de précis, d’attentif aux détails, scrutant les deux territoires objectifs et subjectifs de leur réalité, comme un jeu de miroirs qui ouvre la voie royale d’un épanouissement de leur humanité cachée, sans rien gâcher à leur secrets et à leur faiblesses. Prenons ici un exemple – ils sont nombreux dans les pages de ce recueil –, celui de Sofia, le personnage de la nouvelle « Coup d’éclat » : elle scrute dans un wagon du métro parisien, une femme d’une trentaine d’années, « ni jolie ni laide ». Sans maquillage, son visage pâle, son attitude inexpressive inspirent une légère compassion à Sofia, esthéticienne de profession. Jusqu’au moment où cette femme reçoit un coup de fil qui illumine subitement son visage par la promesse d’un rendez-vous amoureux, sans doute, exprimé par une réponse courte, j’arrive, qui renferme dans sa banalité une promesse inattendue et secrète. « Cette femme, qui paraissait si banale il y a quelques instants, est maintenant extraordinairement présente, et son front lumineux, le discret sourire suspendu à ses lèvres tandis qu’elle range avec une lenteur pensive le portable dans son sac, aimantent le regard de Sofia. » Et cette conclusion lumineuse : « Sous l’éclairage imprévu de l’amour elle s’est transformée sans l’aide de Sofia, qui soudain frissonne ».

Justement, cette soudaine transfiguration sous la promesse discrète de la rencontre amoureuse est un thème repris de manière plus ou moins explicite dans d’autres nouvelles. Rajoutons à celui-ci, d’autres sujets qui enrichissent le domaine narratif de ce recueil : des interrogations sur la condition humaine et sa place dans le monde, sur la sororité, la beauté et la condition féminine, sur la liaison amoureuse et la rupture, sur la condition de l’artiste, sur le temps qui passe et son impact générationnel, enfin, sur la judéité qui conduit à ces errances dans un monde qu’il faut parcourir sans discontinuité et renforcé par le sentiment exprimé par sa grand-mère partie de sa Bucovine natale de ne jamais arriver à trouver un port d’ancrage tant attendu. La nouvelle qui donne le titre de ce recueil est une somme de cette thématique riche, amplifiant son importance par un récit qui se veut comme un bilan de la vie d’une jeune femme derrière laquelle se cache sans doute l’auteure elle-même. Il s’agit d’un voyage où les gares et les arrêts deviennent des étapes d’existence, et qui sont appelées en sens inverse à se transformer en une préparation devant l’arrivée inéluctable de la vieillesse avec le cortège de ses fragilités. Devant cette évidence, Adriana Langer ne cesse de croire à ce qu’elle appelle « la grâce accordée » des instants si précieux offerts par la vie.

Elle ajoutera : « Le désir de fixer quelque chose – de le transcrire par des mots, d’en créer une image – fait fuir le moment lui-même. »

Accrochée à cette perspective fuyante et rebelle de la mémoire, le travail littéraire d’Adriana Langer relève avec brio le pari majeur de toute œuvre de fiction qui s’inscrit dans cette fragilité de l’imaginaire poussé dans ses retranchements par un réel qui se retrouve lui-même érodé par le temps qui passe. C’est la raison pour laquelle on peut affirmer sans hésitation que ses Errances ressemblent bien à des allers-retours dans les souterrains d’un quotidien qui ne pouvant éroder l’ineffable beauté de l’être se contente de lui bousculer les certitudes et faire trembler les murs de sa soif de vivre. Ses personnages prennent ainsi des allures de héros de la mythologie grecque, sachant se contenter de la modeste récompense que notre époque, si avare en gratifications, accorde à chacun d’entre eux avec parcimonie.

Seule la littérature, nous dit Adriana Langer à travers ses nouvelles, reste, comme disait Yasmina Khadra, le miroir qui ne se brise pas à la vue de nos faiblesses, nous donnant droit à exister pleinement, universellement.

« Oui – proclame-t-elle dès le début de son recueil – mes racines s’étirent ambitieusement le long des continents et des siècles, et ce cœur qui est en moi et palpite s’élargit enfin au-delà de ce qui lui était prescrit. »

Ce cœur qui bat est le magnifique cadeau qu’Adriana Langer offre à ses lecteurs à travers son volume Errances et autres nouvelles.  

Dan Burcea©

Adriana Langer, Errances et autres nouvelles, David Reinharc Editions, 2022, 170 pages. 

   

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