Elena Stefoï : Quatre poèmes traduits du roumain

 

 

À Max Porter 

Peut-être qu’ailleurs le chagrin serait une chose ailée

un ange mesquin facile à décrire une poupée chrétienne

pas du tout un marécage avec beaucoup de cornes et trois sabots

qui écrase, boit et avale

jusqu’à la dernière goutte de lumière

ne me dites pas que c’est facile de pleurer les morts enfermés dans les livres

derrière la porte d’un célèbre hôpital ou palais

 sur les traces d’une démence sénile dans les tons d’un classique tableau

avez-vous égorgé un animal fantastique l’avez-vous noyé

dans l’orgueil marécageux l’avez-vous écrasé comme un œuf

pour voir comment coule un sang assaillant et sombre

 de haut en bas et de bas en haut du Mont Ararat

 jusque dans mon village ? 

Pour ceux qui attendent la résurrection de la dernière page

tout reste encore à tenter

 

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Ce que tu préjuges

Une ombre parle toute seule

sur l’étagère de la bibliothèque

et tu t’accroches à ce que tu préjuges

le mensonge exige que tu te repentes il avale les significations

ouvrant grand ses griffes

sur tout ce que tu as voulu faire ressortir

alors assieds-toi dans l’obscurité de l’éternel présumé

dans la cave des chagrins des autres

parmi les bouquets de basilic

et les pots de miel

seule avec ton mot de passe

vers les rêves de ta propre mère

de l’enfant que tu n’as jamais voulu mettre au monde

et qui gazouille dans ses bras

dans une crèche en plastique à défaut de la lumière

assieds-toi et attends le bon moment

pour pouvoir gouter cette scène

de près et paisiblement

 

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C’est ainsi que tout s’est passé

On ne sait plus par qui elles ont été comptées

de droite à gauche ou dans le désordre

les semelles de la folie les boutons bariolés

qui se tissaient sur l’éclat de la bourbe globale 

à travers les âges elle se sont emparés de tout

sur les montagnes dans le désert d’une mer à l’autre

dans des maisons sans fenêtre se seraient cachées les créatures

pour chercher leur remède pour trouver dans le mensonge leur salut

tenir des paris maudire le destin chanter des odes

aux aïeuls et aïeules d’une autre couleur

avec leur vie sur le feu de détresse avec les lumières des yeux

des faussetés éternellement piétinées par d’autres faussetés

 

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À la chasse 

Le cœur entre les dents

Chasser les Pokémons

sont partis aujourd’hui

deux anges gardiens (prosateurs)

Je sais que sont tapies derrière les grilles

des vieilles à la recherche de leur grand amour

et des trépassés indignés d’avoir été écrit sur eux

des âneries  seulement

je sais et je détourne mon regard

accroupie au milieu de la nuit comme dans le cerneau d’une noix

voguant sans entrave sous la coquille

 qui va l’emporter

de torrent en torrent dans une autre (sur)réalité

que celle où les deux chassent épaule contre épaule 

jusqu’à ce qu’un mur tout entier soit rempli, quelque part parmi les nuages

 du sang de la nouvelle espèce

 

 

Elena Ștefoï est une écrivaine roumaine, docteur en philosophie à l’Université de Bucarest et membre depuis 1990 de l’Union des Écrivains de Roumanie.

Elle a fait partie de l’équipe qui a fondé la revue « Contrapunct » en qualité de secrétaire de rédaction et a été rédactrice-en-chef de l’hebdomadaire Dilema et du mensuel L’Invitation publié par l’Institut français de Bucarest. Elle a été correspondant permanent de Radio France International et rédactrice associée du trimestriel East European Constitutional Review de la Chicago Law Scool (1993-1997) et invitée spéciale des emissions culturelles et politique de BBC (1991-1997).

Elle a publié des articles éditoriaux, des commentaires et des analyses dans des revues comme Contrapunct, Dilema, Epoca, 22, România liberă, Luceafărul, Sfera Politicii, Lettre Internationale, Cronica română, Lumea. Elle a également publié des poésies dans des revues ou volumes collectifs aux Etats-Unis, en Grande Bretagne, en France, en Allemagne, au Luxembourg, en Pologne, dans l’ex-Yougoslavie, en Hongrie, en Suisse, en République Tchèque et au Canada.

Entre 1999 et 2001, elle a été Consul général de Roumanie à Montréal. De 2005 à 2012, elle a été Ambassadrice de Roumanie au Canada et Représentante de la Roumanie auprès de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale. Entre novembre 2016 et mars 2020 elle occupe des postes d’Ambassadrice en République du Sénégal et dans 7 autres États d’Afrique occidentale.

Volumes publiés :

  • Opera Poetică [Oeuvre poétique], Éditions Paralela 45, 2016
  • A Grammar of Tower of Babel. Parallel texts, traduction d’Ana Olos, préface de Lidia Vianu, Éditions MTTL, 2014
  • Raport de etapă [Rapport d’étape] , recueil de poésies, Éditions Cartea Românească, 2011
  • Undeva, în alt plan/ Somewhere in a different realm, recueil de poésies, édition bilingue, Éditions Paralela 45, 2007;
  • În urma învingătorilor [Derrière les conquérants], anthologie, Éditions Paralela 45, 2005;
  • Transformări, inerții, dezordini [Transformations, ineties, désordres], dialogue avec Andrei Pleșu et Petre Roman, Éditions Polirom, 2002;
  • Drept minoritar, spaime naționale [Droit minoritaire, peurs nationales], dialogue  avec le sénateur Gyorgy Frunda, Éditions Kriterion, 1997;
  • Alinierea la start [Sur la ligne de départ], recueil de poésies, Éditions Cartea Românească, 1996;
  • Câteva amănunte [Quelques détails], recueil de poésies, Éditions Albatros, 1990;
  • Schițe și povestiri [Esquisses et histoires ] recueil de poésies, Éditions Cartea Românească, 1989;
  • Repetiție zilnică [Recueil journaliers], recueil de poésies, Éditions Eminescu, 1986;
  • Linia de plutire [Ligne de flottement], recueil de poésies, Éditions Cartea Românească, 1983.
  • De toate cele [Poèmes divers], Éditions Scrisul românesc, 2022.

Elle a été récompensée par plusieurs prix et distinctions comme le Prix du premier volume de l’Union des Écrivains de Roumanie en 1983 et d’autres médailles diplomatiques dont la Médaille de l’Ordre diplomatique (2006) et la Médaille du Corps diplomatique du Canada (2012).

(Traduit du roumain par Dan Burcea)

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