Interview. Mircea Matescot : « La vie sans rêve serait le plus court chemin vers une mort prématurée de l’âme »

 

 

Mircea Matescot publie D’ici ou d’ailleurs chez Les Impliqués Éditeur, un roman conçu et construit sur le croisement des âges à la fois générationnelles et historiques. Utilisant avec virtuosité l’analepse comme moyen de se soustraire aux territoires parsemés de nostalgie et de souvenirs, l’auteur permet à la narration de s’ouvrir à la perspective du changement de régime d’un pays, la Roumanie, et vers le devenir vers l’âge adulte de ses personnages, un groupe de camarades d’une école bucarestoise des années ’70.

Installé à Paris en 1990, après la chute du régime communiste, Mircea Matescot, ingénieur en génie civile et urbaniste, prend ici la plume et s’attèle à échafauder, cette fois à l’aide des mots de la littérature, un édifice capable d’accueillir les souvenirs d’un monde bâillonné par la dictature qui ne tardera pas à faire ses dans premiers pas dans l’aventure de la liberté. Le titre D’ici ou d’ailleurs que porte ce livre prend ici tout son sens.

Que représente pour vous cette participation en tant qu’invité de l’Institut culturel roumain de Paris au Festival du livre de Paris 2024 aux côtés d’autres écrivains d’origine roumaine, dont certains, comme vous l’êtes, d’expression française ?

Je suis reconnaissant à l’Institut Culturel Roumain pour l’invitation de participer à la Foire du livre de Paris de cette année, au stand de la Roumanie. J’étais fier d’y être, parmi des compatriotes contemporains qui sont traduits du roumain, et parmi les livres des écrivains Roumains ayant écrit en français et qui ont trouvé leur renommé en France, comme Istrate, Ionesco et Cioran.

Qu’est-ce qui a poussé votre narrateur – « le jeune homme que j’étais quinze ans auparavant », comme il dit –, à convoquer ses années de jeunesse et en faire un roman ?

Mon roman traite de l’émigration. Il m’a paru cohérent d’aller chercher les motivations de cette décision si importante, qui est celle de quitter son pays natal, dans l’enfance et dans la jeunesse des personnages. Les flash-back qui remontent depuis la prime jeunesse reflètent et expliquent les personnalités des différents personnages devenus adultes. Je pense que tout se décide assez tôt dans le cheminement d’une vie.

S’agit-il d’un roman autobiographique ?

Ce n’est pas un roman autobiographique. Les personnages, y compris celui du narrateur, sont inspirés des personnes réelles, mais leurs parcours et leurs exploits divergent souvent de la réalité car, au fil de l’écriture, ils ont pris leur envol et développer leurs propres histoires.

J’ai fait le choix de la subjectivité car je pense que le narrateur qui écrit à la première personne transmet sa charge émotionnelle brute et tout entière. Ça ne m’a pas été inconfortable, car j’ai laissé de la place au second degré et à l’autodérision.

Votre narrateur parle « d’une parfaite discontinuité générationnelle ». Quel sens donner à cette métaphore ?

Le point d’orgue de la narration se situe en effet vers l’an 2000, au moment du premier retour au pays du narrateur. C’est aussi le moment historique de transition où la Roumanie se trouve au milieu du gué, entre deux systèmes et deux époques, portées par des générations bien différentes. Pour moi le système communiste est une utopie car il dissimule d’une manière effrontée jusqu’au grotesque les nouvelles inégalités qu’il crée, puis parce qu’il n’est pas viable économiquement. Les violons désaccordés du capitalisme représentent le chaos crée lors du retour de la Roumanie au système capitaliste, après quarante ans de système totalitaire ayant généré un système D, parallèle, imprégné de népotismes et de favoritisme en tout genre. J’ai essayé de pointer, filtré dans la narration, ce douloureux et long retour de mon pays natal à une certaine normalité. C’est bien là l’une des motivations de le quitter, pour ceux, parmi mes personnages, qui ont compris que la transition va prendre beaucoup de temps, peut-être celui de plusieurs générations.

Qui sont vos personnages ?

Ces jeunes gens sont très différents si on regarde leur extraction sociale. Il y a César, Basil, ou Anita, fils et fille de ministres, il y a Madeleine, Antoine et Matou dont les parents sont des intellectuelles, plus ou moins adaptés et conciliés avec le système communiste totalitaire, donc sans fonctions politiques dans l’État, il y a Vito, plus simple et ouvertement antisystème.

Lors de la soirée de retrouvaille, à un moment où le destin de chacun pouvait encore être infléchis, j’ai voulu montrer que, malgré les différences d’origines sociales et de parcours de vie, ceux qui ont fraternisé durant l’âge heureux peuvent, plus tard et à l’épreuve de la vraie vie, se comprendre, apprendre les uns des autres et rester amis.

Qui est cette partie de la jeunesse qui vit sous la chappe de la dictature communiste ?    

On a beaucoup décrit les difficultés, souvent atroces, des gens les plus démunis sous le régime communiste et très peu – ou jamais – les incompréhensions et les souffrances des gens qui s’y trouvaient entre deux eaux. On a écrit encore moins sur les parcours des gens proches du pouvoir après la chute du communiste, ceux qui ont dû fuir, comme César et ceux qui ont retrouvé et renforcé leurs privilèges d’avant. Dans ce roman j’ai voulu sonder une autre réalité, celle de la cohabitation et de la confrontation des privilégiés avec les gens normaux.

Quelle différence y a-t-il entre « réussir dans la vie ou réussir sa vie » quel prix, voire quels sacrifices ?

Justement, réussir dans la vie est illusoire et demande des sacrifices qui ne se justifient pas, si ce n’est que par l’orgueil et par l’incapacité de prendre du recul par rapport aux impératifs de la société. En revanche, réussir sa vie représente le vrai Graal, car ça veut dire devenir soi, où que l’on se trouve, dans son premier chez soi ou ailleurs. Dans mon roman le Graal occidental est un leurre.

Et le devenir de soi ?

Devenir soi-même, pleinement, en se débarrassant des masques et des faux-fuyants, peut se réaliser aussi bien chez soi que dans un environnement nouveau, comme un nouveau pays. Comme Gombrowicz, je pense que pour devenir un Homme il faut, intellectuellement, oublier dans un premier temps ses origines, pour mieux les retrouver après s’être empreigne de l’humanisme universel.

Quelle place occupent, selon vous, les rêves pour qu’une vie soit accomplie ?

Une place primordiale, car la vie sans rêve serait le plus court chemin vers une mort prématurée de l’âme, vers l’extension de l’énergie vitale. Dans les rêves tout est possible et, que ce soit ceux de la nuit ou bien ceux de la journée, ils représentent surtout une anticipation de l’avenir. Si on y croit, tout devient possible. Mark Twain et Marcel Pagnol ont écrit quelque part : « ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait ».

Enfin, comment résoudre au mieux l’équation entre « qui tu es et celui que tu voudrais être » ? Quelle réponse propose votre livre à cette interrogation ?

Plus vite on arrive à se connaitre et plus vite on devient soi, celle ou celui qu’on est, que l’on est né pour l’être. Je pense que le verbe vouloir devrait se conjuguer uniquement à l’indicatif présent et surtout en compagnie de l’infinitif présent du verbe devenir accompagné du pronom réfléchi soi

Un de mes personnages voulait être riche, mais sans trop se fatiguer pour y parvenir. Cependant il faisait ce qui lui plaisait le plus dans la vie. Dans mon livre, les deux lui ont réussi, mais seulement en apparence.  J’espère que chaque lecteur de ce roman trouvera sa propre réponse à votre si pertinente question : « comment se retrouver entre ce qu’on est et ce que l’on voudrait être ».

Propos recueillis par Dan Burcea

Mircea Matescot, D’ici ou d’ailleurs, Les Impliqués Éditeur, 2023, 266 pages. 

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