Isabelle Flaten : « Inféodée » ou le roman des fondations tremblantes

 

Il y a dans Inféodée, le dernier roman de l’écrivaine nancéienne Isabelle Flaten, une âpreté, un dramatisme qui renvoient à l’essentiel de la vie, à ses repères ultimes, à ses questionnements nécessaires, aux brutalités d’un quotidien qui s’obstine à confronter Hjørdis Løkkeberg, son personnage central, à la réalité de sa fragile condition.

Il suffit d’ailleurs de s’arrêter un instant sur son titre pour comprendre que le roman qui nous est proposé renferme une histoire de servitude et de fragilité.

Cela ne fait pas de son héroïne une victime annoncée, loin de là.

Isabelle Flaten nous a habitué à des personnages forts, à des femmes qui se battent pour leur condition, comme Lenka et ses « Deux mariages », à des vies qui se cherchent dans le miroir de l’autre, dans une impossible mise en abyme, comme c’est le cas dans « La folie de ma mère », voire même dans l’histoire réécrite d’un Charles Bovary, cet homme qui « possédait le vocabulaire mais pas la syntaxe », comme elle le décrit.

Que dire pour rester dans ce même registre de ce que vit Hjørdis Løkkeberg ?

D’abord qu’Inféodée nous entraîne dans les contrées froides de la Norvège, qui rajoute une ambiance marmoréenne à cette narration qui cultive pourtant un attachement certain à la beauté des paysages et au besoin redoublé de se sentir chez-soi.

Ensuite, nous invitant à rentrer vite dans le vif du sujet, parce qu’une contrainte inattendue et d’autant plus sournoise s’invite dans l’économie du roman, la présence des Témoins de Jehova auxquels appartient Morten, le futur mari de Hjørdis, et plus tard le père de ces deux enfants.

Une fois planté le décor, les thèmes principaux qui vont jalonner l’histoire de ce couple vont vite montrer leur visage.

Dès lors, ils ne tarderont pas à réclamer d’être nommés : le rôle des fondations qui construisent une vie et déterminent la solidité de leurs édifices, la fragilité, le risque d’égarement et le besoin de repères, le dépaysement, la pression de la famille, l’emprise d’une secte, plus encore, la servitude créée par l’endoctrinement et qui conduit souvent au drame.

Comment résister à ces déterminismes, comment faire durer l’amour du couple lorsque l’on se rend compte du contournement de la vérité fait à demi-mot pour éviter de lui donner son vrai nom de mensonge ?

Comment définir à la fin l’amour, ce besoin ultime, essentiel et vital qui fait le rêve de la vie de la jeune Hjørdis ? 

Pas étonnant que cette même Hjørdis s’estime être « une âme en jachère », une vie construite avec « un défaut de fabrication ».

Comment garder ses certitudes, mais surtout comment renaître de ses cendres ?

Et, après l’échec, est-il possible de se dire « on efface tout et on recommence » ?

Isabelle Flaten tente avec les moyens de la narration des répondre à toutes ces questions, et d’aborder encore d’autres aspects qui découlent de son récit.

Et comme à son habitude, elle réalise une performance littéraire qui met en lumière sa grande capacité d’aborder à travers ses personnages les grandes contradictions de la vie et l’évolution de la société.

En cela, elle garde une place de prédilection dans le cœur de ses lecteurs fidèles dont je fais partie.

Bonne lecture !

Dan Burcea

Isabelle Flaten, Inféodée¸ Editions Anne Carrière, 2024, 224 pages.

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