Vertige autobiographique
Magnétique, publié chez Actes Sud en 2004, écrit par Paul Auster, La Nuit de l’oracle émane d’une voix qui relate un fragment de vie fictionnel. Un « je » intime, sujet au vertige, donne à connaître les crises qui l’ont frappé à l’âge de trente-six ans. Ciment subjectif de la fiction, ce « je » et sa voix sont ceux de Sidney Orr, narrateur premier et héros du livre. Excroissances déroutantes, les treize notes de bas de page qui y figurent accusent sa dimension autobiographique et l’empathie qu’elle génère. Syncopant le récit, elles y mêlent des données adventices comme autant de parenthèses qui nous offrent d’accéder à un degré de précision outre-romanesque : au bord duquel le roman s’arrêterait sinon, dans son cours normal. Le narrateur est sur-présent, dont le corps textuel se dédouble en dérogeant aux codes du genre. Il pousse le souci du détail pour nous souffler ce qui regarde la chronologie historique et son sens factuel, quitte à en explorer d’autres, plus incertains.
Fictions convergentes
L’impression d’aller loin – plus loin que le permettent la plupart des romans, en tous cas – naît encore du kaléidoscope de fictions que propose le livre. À sa faveur, le lecteur s’égare aux côtés du protagoniste vacillant, dont le cerveau est en miettes depuis qu’il est sorti du coma. Proposant des esquisses, des résumés d’intrigue et un rêve fait par Grace, la femme de Sidney, qui ouvrent d’autres mondes dans le monde liminaire du roman, les facettes de ce kaléidoscope se font écho de manière troublante. Convergentes, elles suggèrent l’idée que l’avenir est en nous, dont nous pourrions accoucher en écrivant, en traduisant en mots l’imaginaire. Fascinant, ce possible qui relève de la pensée magique questionne la foi, son lien aux textes qui l’appellent, en même temps qu’il reflète la suspension d’incrédulité volontaire dont fait preuve tout lecteur de roman : pour s’y investir, il faut croire en l’histoire dans laquelle on se lance, peu ou prou.
Naissance, renaissances
Amplifiant les notes dramatiques et tragiques du livre, ce procédé métafictionnel creuse une impasse où gît John Trause, écrivain comme Sidney et double de l’auteur par anagramme et âge prêté : cinquante-six ans, celui de Paul Auster au moment de la parution de son livre aux États-Unis, en 2003. Outre leur profession, ces deux personnages ont un autre point commun : celui de faire signe vers le thème de la naissance, le second d’autant que sa convalescence le force à réapprendre à marcher et le premier d’autant qu’il fait triplement figure de père : pour son fils, Jacob Trause, pour Grace, symboliquement, et pour Sidney lui-même, à travers elle. Or l’essentiel du livre serait là : dans ce motif qui touche à la fois à la mort, à la paternité, aux renaissances qu’implique l’existence et, sur un autre plan, à la création romanesque, notamment. Si Grace avorte, de même que Sid, narrativement, La Nuit de l’oracle se clôt sur une résurrection tournée vers la vie comme valeur suprême, qui ouvre à tout.
Galien Sarde