Iocasta Huppen publie son septième recueil de haïkus aux Éditions Stellamaris de Brest. Amoureuse de ce genre littéraire qu’elle cultive avec passion, l’écrivaine belgo-roumaine aime parler de ce qu’elle appelle « la fulgurance d’écriture » que la brièveté de la notation poétique confère à son écriture.
Dialogue avec Iocasta Huppen autour de son nouveau recueil Haïkus d’entre-saisons :
Vous publiez votre septième recueil d’haïkus. Comment expliquez-vous cet intérêt constant, je dirais même plus croissant pour ce genre littéraire ? Et en quoi le chiffre sept est important, quelle est sa symbolique ?
Si vous faites référence à mon intérêt pour les haïkus, il ne peut être que croissant car en tant qu’auteure, la publication régulière fait partie de mon quotidien. Pour moi, avoir déjà publié des livres place les auteurs d’une certaine façon en selle et à cette place il n’y a que deux choix : continuer ou descendre de cheval. Alors, je continue car j’ai encore des choses à dire.
Par contre, si vous faites référence à l’intérêt des gens en général pour les haïkus, je dirais qu’il est croissant, également. Déjà parce que la haïku attire par sa brièveté et son apparente facilité d’écriture (car c’est loin d’être le cas). Ensuite, les thématiques abordées créent un détachement par rapport au quotidien et invitent à une certaine forme de méditation et donc de zénitude.
Pour répondre à votre question au sujet du chiffre sept, je peux dire que c’est un nombre sacré avec de puissants symboles. Ce chiffre englobe l’idée d’un changement après un cycle accompli. Selon les pays et les cultures, il peut évoquer l’unité, la perfection, l’union des contraires, la présence divine ou encore la plénitude. C’est la totalité de l’Univers qui est contenue dans ce chiffre sept. D’ailleurs, chez les Egyptiens, c’est un symbole de vie éternelle.
Les exemples d’éléments qui contiennent ce chiffre sont nombreux : les jours de la semaine, les planètes, les pétales de la rose, les branches de l’arbre chamanique ; ou encore les sept cieux (Islam, christianisme), les sept marches de l’escalier à gravir (franc-maçonnerie) ou encore les sept étapes sur la voie initiatique.
Me concernant, je dirais que ce recueil Haïkus d’entre-saisons termine parfaitement la façon dont j’ai abordé la thématique des quatre saisons. Et ce n’était vraiment pas calculé de garder ce manuscrit sous la main pour qu’il soit le septième à être publié. Les choses ont été ainsi aménagées par le simple hasard.
Pourriez-vous nous donner plus de détails concernant le titre de votre recueil ? Quel sens devons-nous donner à ce qualificatif temporel glissant entre les périodes de l’année ? Précisons que vous qualifiez ces périodes comme « un endroit où se réfugier avec délice pour mieux se retrouver ».
C’est un titre qui m’a été fourni en premier par cette période de fin de l’été et du début de l’automne. L’automne, on le sait, est une saison qui s’installe très lentement. J’ai envie de reprendre ici un haïku présent dans ce recueil, à la page 56 : Demain le départ – / j’aime tant les peupliers / l’été les quitte en premier. Et c’est vrai qu’en tant qu’êtres humains, on peut se retrouver avec délice dans ces périodes entre les quatre saisons qui pour moi nous incitent à la réflexion. Je le dis d’ailleurs au début du recueil : il n’y a pas meilleur moment pour philosopher qu’entre deux saisons. Pour la nature, ces phases sont des périodes de lutte pour la survie qui sont extrêmement violentes mais, depuis notre petit confort quotidien, nous ne nous apercevons pas ou plus vraiment de cela. Donc, ma pratique de haïjin (auteure de haïku) m’a apporté les réponses que je souhaitais obtenir depuis très longtemps en lien avec cet état particulier induit par le « no man’s land » que je perçois entre les saisons.
Dans ce cas, est-ce que vos haïkus pourraient se lire comme des éphémérides que l’on feraient décrocher d’un calendrier poétique au fil des jours ?
Je dirais oui, mais des éphémérides très concentrées. Comme l’accent a été mis sur la période entre deux saisons il manque donc la saison pleine. Avec ce recueil, j’ai fait le choix de placer les lecteurs et les lectrices à la frontière des saisons.
Ajoutons à cette image de fulgurance le frisson qui transparait derrière chaque saison. Comment définiriez-vous la place qu’occupe le regard poétique à travers ces vers et quelle relation a-t-il (ce regard) avec la réalité ?
En tant que haïjin, le regard poétique est indissociable de la nature et donc de la réalité. Certains disent même que le haïku n’est pas de la poésie. Mon ressenti est que si avec trois lignes (ou parfois deux) nous arrivons à évoquer des éléments de la vie courante, la beauté de la nature telle que tout le monde aurait voulu l’évoquer ou encore à ouvrir une porte à la réflexion et que si, en plus, il y a dans la construction des répétitions de mots, alors oui, indéniablement, le haïku est de la poésie.
Et le temps dans tout ce passage incessant d’une saison à l’autre ? Est-il suspendu, pressé, lourd ou léger d’une saison à l’autre ? Comment le vivez-vous en écrivant vos poèmes ?
Le temps est une thématique complexe qui nécessite pour moi, beaucoup de recul et d’expérience de vie. Auxquels doivent s’ajouter un bon dosage de poésie et de langage. Ainsi, j’essaie de parler du temps de la façon la plus légère qui soit. Et le haïku est précisément un excellent moyen de le faire. J’ajouterais que j’ai une approche plus frontale de cette thématique en faisant appel à d’autres genres poétiques. Je pense par exemple, à cet acrostiche écrit récemment :
Légèreté
Le poids du temps
Est facilement mesurable
Grands désirs avant tout,
Enlumineuses années
Rythmées par les saisons
Encore un hiver se prépare,
Tout froid se mesure
En poids de flocons.
Il y a le regard, toujours émerveillé, il y a la nature omniprésente, la neige, les oiseaux, les fleurs, etc. Pourriez-vous nous décrire quelques éléments qui composent ce paysage poétique de vos haïkus ?
Disons qu’il y a les éléments classiques de la nature qu’on aborde avec le haïku et vous en avez cité quelques-uns. Je dirais qu’il y a autant d’éléments qu’il y a d’images de nature qu’on puisse contempler, regarder ou entrapercevoir. À cela s’ajoute des leitmotivs ; dans mon cas : la rivière, le lac, les arbres. Et vous avez très justement employé le mot « regard » car il revient souvent dans mes haïkus et mes autres poèmes.
Enfin, pour rester dans ce chiffre sept, une question concernant vos secrets d’écriture. Avez-vous toujours un carnet à portée de main pour consigner des sentiments, des idées, ou comment écrivez-vous ?
Concernant le carnet, je dois vous avouer une chose : c’est seulement depuis cet automne que j’en ai un dans mon sac à main. Avant lorsque je devais écrire en urgence, je cherchais des bouts de papier dans mon portefeuille : tickets de caisse, cartes de visites, etc. Donc, depuis peu, le problème de l’écriture en dehors de la maison a été résolu. Par contre, à la maison, je n’écris pas sur des carnets mais sur des feuilles de brouillon. Lorsque je suis satisfaite, je les copie dans un fichier Word et je jette le papier brouillon. D’où l’intérêt de faire une copie de ces fichiers. Et pour finir, pour écrire les haïkus, je reste un petit moment à regarder la nature et le tour est joué. Ceci dit, avec le temps, j’ai appris à saisir l’image au vol et ne plus passer des heures à la rechercher.
Propos recueillis par Dan Burcea©
Iocasta Huppen, Haïkus d’entre-saisons, Éditions Stellamaris, 2021, 92 pages.