Laurent LD Bonnet : « Le dernier Ulysse», troisième volet de la tétralogie de la quête

 

Le livre de Laurent LD Bonnet Le dernier Ulysse est le troisième volet de la tétralogie de la quête en cours d’écriture qui comprend jusqu’à présent trois volumes :  Salone (Prix Senghor 2013) – Dix secondes, roman hommage au poème de Baudelaire, “À une passante”.

Ce troisième roman est écrit D’après le Reliquat Onirique d’Alexandre Mauvalant, comme le précise son sous-titre, alors que son Prélude nous avertit sur sa nouveauté, « le premier du genre », nous promettant « qu’il fera débat à toutes les époques ».

Plusieurs précisions s’imposent à ce stade afin de bien tracer les pistes de ce récit qui semble se jouer allègrement de la fiction pour mieux nous attirer vers les contrées du rêve. Signalons ainsi le premier indice qui nous est offert dès les premières lignes du récit et qui pourrait être considéré comme une ouverture incontestable vers le romanesque : « En toute une vie un auteur de fictions n’écrit que quatre mots : Il était une fois. Puis, il confie la suite aux personnages… ».

Usant d’un vrai stratagème narratif, Alexandre Mauvalant, personnage du roman et auteur connu pour avoir publié des nouvelles et des poèmes, confie le rôle d’écrivain-voyageur à un de ses personnages qu’il décrit comme « un drôle de gars, une sorte de messie récalcitrant, héros d’une Nouvelle d’anticipation qui […] avait remporté un succès d’estime ». En réalité, ce personnage à peine dissimulé, n’est qu’une marionnette entre les mains de l’auteur, son alter ego, qui lui fait prononcer comme un ventriloque avec tout autant d’habilité des mots qui reflètent les idées qu’il a dans la tête. Au détour d’un dialogue tenu lors d’une rencontre de promotion d’un de ses livres dans une librairie de Vincennes, ce personnage bizarre ose répéter la fameuse idée que l’auteur lui souffle à l’oreille ; Le chemin modifie l’homme de manière aussi certaine que l’accomplissement. Nous reconnaissons bien ici entre autre une allusion à la fameuse citation d’Antonio Machado dans Campos de Castilla (1917): « Caminante! No hay camino, se hace camino al andar » ( Marcheur, il n’y a pas de chemin, Le chemin se construit en marchant).

Ce mot d’ordre joue dans l’économie du récit de voyage le rôle du point déclencheur et celui de l’encrage dans la subjectivité du protagoniste principal Alexandre Mauvalant. Bousculé dans son quotidien, il finira par reconnaître, dans « [s]on rapport au temps, aux lieux, aux gens, aux genres, et à [s]on inspiration », qu’il ne sait pas trop bien quel forme donner à cette envie de dépassement que contient la phrase prononcée de manière quasi inconsciente lors de la soirée de promotion.

La réponse quant à la destination du voyage ne tardera pas à se faire connaître. Cet appel vers le large sera incarné par la lettre d’une mystérieuse dame au nom pittoresque, comme il se doit dans tout bon roman, Anna Ivanovna Maria Rosseló habitant à Saint Peter Parish dans la Montserrat Island dans les Antilles britanniques. L’écrivain-voyageur ne tardera pas à informer cette énigmatique complice des conditions du voyage : pas de moyens rapides de voyage, pas d’avions, donc, juste de la marche et de la navigation en bateau, en partant de France, via l’Espagne et le Portugal, le Gibraltar, l’Afrique du Nord et encore en bateau vers la destination finale.

Mauvalant appelle cette lenteur du voyage « un fatalisme serein et difficile à la fois ». En effet, c’est ainsi qu’il aura l’occasion de planter pour ainsi dire sa tente dans plusieurs lieux, de connaître des gens, de se lier d’amitié avec des personnages pittoresques, de connaître des expériences amoureuses qui mettront à l’épreuve sa virilité abîmée par la maladie, de se plonger dans ses notes de voyage comme dans une vie nouvelle et enchanteresse et de vérifier enfin à ses dépens le changement dont il avait parlé avant de se lancer dans cette aventure.

Le mot aventure doit être scruté ici avec toutes les précautions que suppose une telle expérience. Le rythme lent, la propension vers l’introspection de l’homme en quête de sens sur sa condition amoindrie par la maladie penchent plutôt vers un divan intérieur qui prend sens en même temps que la contemplation des paysages qu’il traverse avec les destins des semblables qui lui servent de miroir à sa propre personne. Un exemple de style qui en dit long sur l’œil attentif du voyageur est la description du détroit de Gibraltar sous la beauté de l’aube. Les nuages sont « de formidables cathédrales de nuées tourmentées qui emplissent le ciel, piétinant les confins d’un horizon argenté ». Le tout semble prendre l’allure d’un « mirage d’allure biblique ».

Quant à ses rencontres, deux d’entre elles vont compter dans son voyage. Ce sont celles des capitaines de deux navires aux bord desquelles il va se retrouver et qui vont l’aider à atteindre sa destination. Il ne s’agit pas seulement de directions dans le sens de la navigation, mais dans la même mesure de la recherche intérieure de sa condition d’écrivain. En réalité, Alexandre Mauvalant a un contrat avec Vandoven, son éditeur, à qui il doit envoyer régulièrement des notes de voyage en échange du financement de celui-ci.

Le premier capitaine se nomme Larsvic et son navire s’appelle Prizrack, ce qui signifie Fantôme. Personnage haut en couleurs, ce capitaine serbe s’avère être un trafiquant d’armes. Homme tourmenté par ses nombreuses contradictions, par la méfiance et par la maladie, Larsvic va jouer un rôle décisif dans la vie de Mauvalant. C’est lui qui va lui demander d’écrire sa biographie, et pousser ainsi l’écrivain à s’essayer à l’écriture du roman auquel il aspire depuis toujours, de se frotter à ce qu’il appelle « le vent du destin », expression qui, malgré sa réputation de cliché littéraire, donne substance à son projet invraisemblable.

Une révélation apparaît soudainement dans sa conscience d’artiste et d’écrivain. Il va lui donner un nom inhabituel, Le Neuf, un état de grâce, une révélation devant la beauté, « un état de conscience […], un lieu culminant du temps dont il reconnaissait l’évanescence, sans pouvoir la capturer ». Plus encore, cet état est encore plus puissant l’aidant à bouillonner l’eau du temps de sa mémoire, « emportant son homme antérieur, chargé du souvenir fantomal qui, depuis le départ, ne l’avait jamais quitté ». La vocation de l’écrivain va prendre le dessus nous laissant entrevoir un Alexandre Mauvalant de plus en plus confiant dans la réussite de cette entreprise dont il avait toujours hésité d’accepter le défi.

Diggs, le capitaine de l’Improbable, est le deuxième personnage tout aussi haut en couleurs que Larsvic. C’est lui qui va conduire Mauvalant dans cette seconde partie de voyage.

Rencontrera-t-il la mystérieuse Anna Ivanovna Maria Rosseló ? Fera-t-il face à cet ultime épisode de son périple ? Pourquoi a-t-il décidé de passer de la première personne à la troisième pour raconter la seconde partie de son histoire ?

Le lecteur aura tout le loisir de le découvrir.

Remarquons quant à nous pour conclure la finesse de l’écriture de Laurent LD Bonnet, le caractère tourmenté de ses personnages et l’appel impératif de sa démarche qui le fait dire ceci : « Je dois me raconter ! Pourquoi ? Pour ne pas m’oublier ».

On comprend ainsi la vraie nuance définitive et bouleversante du voyage d’Ulysse qui se veut être « le dernier ». Cela met en lumière, tout en respectant les codes du récit de voyage, les ressorts les plus cachés et les plus puissants du destin et du devenir d’un héros pris dans les turbulences de la vie et des besoins de donner sens à la vie d’un écrivain comme lui.

Dan Burcea

Laurent LD Bonnet, Le dernier Ulysse, Éditions Les Défricheurs, 2021, 450 pages.

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