Alina Gherasim : Le changement de perspective

 

Si l’on s’oppose à la douleur, celle-ci persiste

La spiritualité de l’Extrême Orient nous apprend que l’on ne doit pas s’opposer à la douleur. Il existe dans la médecine orientale une sagesse ancestrale qui dit que toute opposition violente à la maladie conduit non pas à sa disparition mais à une croissance, à un développement qui se nourrissent de l’énergie même de cette réfutation. Il est de même quant à l’idée – dans la perspective chrétienne – de nourrir le mal par une opposition dure, violente ou par une réplique haineuse, remplie de jalousie ou de rancune. On peut affirmer que le thème de l’acceptation ne concerne pas le domaine de la lâcheté, et qu’il n’exonère pas l’individu de sa responsabilité personnelle, et ne conduit pas non plus vers une dégradation morale. Elle correspond plutôt à ce que dit le psychiatre français Boris Cyrulnik : « La résilience c’est l’art de naviguer dans les torrents ». Les contours extérieurs du monde où nous vivons ne peuvent pas être facilement modifiés, il faut nous tourner vers les choses subtiles qui se trouvent à l’intérieur de nous-mêmes. C’est ce qui se passe au niveau individuel.

Il existe bien entendu des cas plus graves, comme les idéologies fasciste ou communiste qui ont bouleversé le paradigme de vie de beaucoup de gens et qui ont promu l’immoralité, la délation, ont imposé la violence et le crime au nom des idéaux soi-disant nobles. Je pense que, depuis que le monde existe, chaque génération a connu à ses propres dépens un malheur collectif : une pandémie, un génocide, une guerre, des crimes commis au nom d’une idéologie, des exodes ou des désastres naturels, etc. Chaque génération a dû trouver à son tour une réponse et créer un nouveau modus vivendi. Chaque génération et chaque individu. Certains ont pu en ressortir purifiés de ces expériences sinistres, comme ce fut le cas de Nicolae Steinhardt qui eut à la fin la révélation de la métanoïa.

Je pense à la logique de la vague

L’océan reste calme face à la force de l’éphémère écumant, tout en cueillant de toutes ces vagues une seule note musicale, grave, monotone, rythmique sans être répétitive, limpide mais sans contenu, lumineuse sans annuler les ténèbres, unique avec des caractéristiques distinctes sans s’éloigner de l’ensemble, de la totalité.

L’être humain a également à sa portée la révolte, lieu d’interrogation et du cri existentiel, souvent adressé à la création, voire directement à Dieu, le plus souvent comme un cri de panique. Je pense à ce sujet au tableau du peintre nordique Edvard Munch « Le Cri » et à sa confession. La promenade au coucher du soleil, accompagné de deux de ses amis, le rouge de feu et de sang de ce crépuscule. Pendant cet instant suspendu, le peintre, qui vit une extrême crise d’anxiété, entend le cri de la nature. Et ensuite il le peint.

Je suis persuadée que l’art, à travers ses moyens subtils qui nous aident à nous éloigner du quotidien, nous est très utile en ces temps difficiles, il est semblable à une sève vitale qui nous aide à nous plier sans pour autant nous briser. La littérature ouvre des milliers de portes à chacun, son univers nous sert de miroir. Le lecteur bénéficie de toutes les opportunités pour poser des questions, pour pousser des cris de ces souffrances, pour mesurer ses vanités, pour se retrouver ou retrouver sa solitude, avec toutes ces facettes de l’humain. La peinture fait enrichir la rétine, élargit le cadre le l’existence par ses « décors » fabuleux, alors que la musique adoucit l’âme qui peine. Je dirais que l’art est « la mer intérieure », pour évoquer ici le titre d’un film d’Almodovar.

Le temps de la révolte et temps de l’acceptation

Il existe des temps de révolte, comme il existe des temps d’acceptation, des instants de tension suivis de moments de paix sereine, de croissance et de décroissance comme un immense mouvement d’inspiration et d’expiration, le monde n’est pas immobile, figé dans un seul projet, tout passe, permettant de temps en temps à travers la souffrance ou la grâce, d’accéder au Grand Sens. Là où la relation au temps et à l’espace s’inverse d’une manière qui défie la logique commune.

Alina Gherasim

Novembre 2020 – Bucarest

Alina Gherasim est une écrivaine, artiste-peintre et illustratrice roumaine, née en 1973 à Bucarest. Elle est diplômée des Beaux-Arts et membre des l’Union des artistes plasticiens de Roumanie. Elle a participé à plusieurs expositions de peinture en Roumanie, au Portugal et aux États-Unis. Elle a débuté en littérature en 2016 avec le volume Femeia-valiză aux Éditions Oscar Print. D’autres ouvrages ont suivi, comme Colonia de cormorani (2017) et Armor (2018), le roman Liniște, începe apusul! (2019). Elle est également l’auteure de deux romans pour adolescents: Noemi știe ea de ce et Noemi știe ea de ce e la Paris.

Elle a participé au Salon du livre Gaudeamus de Bucarest où ses livres ont été accueillis avec un franc succès de la part des critiques et du public.

(Traduit du roumain par Dan Burcea)

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