Crédit photo : Yannick Coupannec
Les portes vont se rouvrir, les rues se remplir, les gens se réunir. Après des semaines d’isolement et de confinement, voilà le retour à une forme de monde que nous connaissons, au moins géographiquement. Retrouver le ressac de l’activité en ville, pouvoir parcourir à sa guise avenues et quartiers plus lointains, s’aventurer nez au vent dans des endroits méconnus ou oubliés. Chacun attend ce moment et le redoute aussi. A quoi ressemblera notre vie d’après, une vie masquée et à bonne distance les uns des autres ?
Pour ma part, ce déconfinement est vécu comme une victoire. J’ai été touchée, assez sévèrement ainsi que ma famille par ce sale virus que je ne nommerai pas, ce serait lui faire trop d’honneur. Il y eut des jours à ne pas pouvoir respirer, des nuits exsangues, des moments de doute et d’angoisse, des pleurs et de soupirs. L’hôpital semblait obligatoire puis était encore une fois repoussé, car trop loin de nous, trop dangereux. Nous nous trouvions en effet à la campagne, au milieu des champs. Chance que l’on mesure mais qui aussi à certains moments vulnérables, sonne comme un isolement, une mise à distance dangereuse. Souvent j’ai cru être guérie et le virus repartait en guerre, sournois et vicieux, s’attaquant aux poumons comme au cœur, générant fatigue et incapacité de se lever. Pendant ces semaines d’atonie, impossible donc d’écrire, de me mettre seulement à ma table. Les vertiges se glissaient entre mon ordinateur et moi, rendant tout travail impossible. Des bouts de phrases m’arrivaient cependant, que je m’efforçais de noter entre deux fièvres mais rien de ce jaillissement n’a de sens aujourd’hui. Le virus s’est il attaqué à mon inconscient ?
Heureusement, les idées se pressent de nouveau et un nouveau texte donne signe de vie : il parle d’enfance et de père, de l’innocence et de l’amour filial. Il me faut encore récupérer avant de l’empoigner et d’en extraire des pages. Alors ce déconfinement, que l’on attend et dont on s’effraye en même temps, sonne pour moi comme une nouvelle période d’écriture. Enfermée dans la même pièce, je retrouverai mes habitudes d’auteur, mes litres de thé, les phrases qui se refusent à vous ou au contraire courent si vite que la tâche de l’écrivain semble d’essayer de les rattraper.
Je ne crois pas à ce monde d’après dont on nous rabâche les oreilles, mais à un monde «toujours » qui deviendra celui que l’on en fait. Un monde de livres et d ‘histoires. Pour moi en tout cas, il sera construit de mots. Rien n’a changé, sauf ma gratitude infinie d’être encore en vie pour vivre, aimer et écrire.
Ariane Bois, 7 mai 2020
Ariane Bois est née à Saint-Mandé. Après Sciences-po Paris et un détour par New York et Boston, elle vit depuis vingt ans à Paris avec son mari et ses cinq enfants. Ses romans puisent dans les chagrins de sa vie et des épisodes peu connus de la Seconde Guerre mondiale. Son premier roman, Et le jour pour eux sera comme la nuit (Ramsay, 2009), a été récompensé par quatre prix littéraires. Cela lui a donné envie de continuer avec Le Monde D’Hannah (Robert Laffont, 2012), traduit à l’étranger. Après un court passage par les nouvelles (Dernières nouvelles du front sexuel, L’Éditeur, 2013), elle est revenue à une verve plus profonde avec Sans oublier (Belfond, 2014) et Le gardien de nos frères (Belfond 2016). Tous ses livres sont disponibles en format poche et certains ont été traduits à l’étranger.
Elle a reçu 7 prix littéraires et fait partie de six jurys littéraires. Elle collabore à l’Arche, à Psychologies, au magazine de Sciences Po Émile, à Salon Littéraire et Service Littéraire. Elle vient de recevoir le prix des jeunes intellectuels européens, qui sera remis en septembre étudiants espagnols et roumains.
Ariane Bois travaille à son sixième livre qui sera situé aux USA.