Ofelia Prodan : Poésies du recueil « No exit »

 

Politiquement incorrect

Au-dessus, le ciel métallique, en dessous, le blanc

aveuglant des neiges et la fée égarée dans ma paume

regardant avec ses yeux grands et ronds

mes yeux monstrueux

Les avions avariés, les voitures inutiles,

le froid glacial dehors, le froid dans chaque chambre d’immeuble

leurs habitants qui ont déserté tout savoir

toute volonté, qui assument tardivement

le triomphe raté de la civilisation.

Je bâtis méticuleusement dans ma tête

un endroit vierge de toute civilisation où un sage faune

gouverne politiquement incorrect

je m’interroge sur la probabilité d’un désastre total,

que va-t-il encore se passer

et je ne veux pas, je ne peux pas trouver de réponse

j’ouvre la paume et la petite fée, la douce créature irréelle

sortant des histoires de mon enfance me chuchote à l’oreille

que cette terre est son jouet en plastique,

que tout ce qui arrive maintenant n’est que son petit caprice

et moi, en écoutant sagement ses paroles j’oublie ou je veux tout oublier

Ici, des manettes coincées, des touches, des appareils usagés,

des lumières rouges, un vaste terrain vague,

quelques faibles traces de vie, où sommes-nous, sommes-nous encore en vie

ici la peau qui nous contient brille de façon artificielle

et dans notre corps chaque organe possède une vie artificielle

ici, lorsque quelqu’un part pour toujours personne ne pipe pas mot.

 

Un monde presque parfait

Un monde codé dans le cerveau d’un enfant autiste

Petits soldats en plastique alignés. Un geste impulsif balaie le tout.

Les sons désarticulés se transforment

en une sorte de mantra. Les petits soldats reprennent vie et défilent.

Les bâtiments, les autoroutes, les parcs reprennent contour avec minutie.

L’enfant autiste tend sa petite main hésitante.

Ramasse tout, pièce par pièce, remet le tout en ordre.

Le petit train et sa locomotive devient un avion,

l’avion, un pingouin, un transatlantique ou un archéoptéryx.

Les gens voyagent à l’aide de simples mouvements

de translation ou de permutations.

Les petits soldats se regroupent, la commande se ravive

de l’intérieur, leur mémoire retient en détail

les plans d’attaque et de défense.

Les déchets radioactifs sont détruits de manière programmée.

Les cellules se régénèrent. Les atomes en mouvement

forment des galaxies en miniature. L’enfant autiste sourit.  

Un monde presque parfait, un monde

où personne ne sait pleurer, où aucun enfant

ne veut apprendre à grandir et s’attache

totalement à un petit objet complexe ou à un ami imaginaire.

(Poésies du recueil « No exit », Editura Charmides, 2015)

 

Ofelia Prodan est une poète d’origine roumaine qui habite à la fois à Bucarest et en Sardaigne. Elle a publié plusieurs recueils de poésies comme Elefantul din patul meu, 2007 (Pris du premier recueil de l’Association des écrivains de Bucarest, 2008; nominalisation pour le Prix national de poésie Mihai Eminescu – Opera Prima, 2008); Ulise şi jocul de şah, 2011 (nominalisation pour le Prix la Premiul Literar Internațional Città di Sassari, 2016); Călăuza, 2012 (Prix national Ion Minulescu, 2013); No Exit, 2015 (Prix national George Coșbuc, 2015; Premiul Național Mircea Ivănescu, 2016); Șarpele din inima mea, 2016 (Prix Cartea de poezie a anului 2016 la Festivalul Național Avangarda XXII, 2017); Întâmplări cu poetul DD Marin și alte personaje controversate, 2020. Elle est également l’auteure d’un journal sur facebook (Voci cu defect special, 2018). Elle a publié une anthologie de poésies en Espagne (High, El Genio Maligno, 2017), et en Italie le volume bilingue Elegie allucinogene (Elegii halucinogene, Forme libere, 2019). Elle figure dans plusieurs volumes colectifs comme Voor de prijs van mijn mond (Jan H. Mysjkin, Ed. Poëziecentrum, Belgia, 2013) și Pour le prix de ma bouche (Jan H. Mysjkin, Les éditions l’Arbre à paroles, Franța, 2019). Elle est lauréate du Prix de poésie Napoli Cultural Classic, VIIIe édition, 2013, Premier prix POESIA in lingua straniera. Elle est membre de l’Union des écrivains de Roumanie et du PEN CLUB Roumanie.

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