Rentrée littéraire 2021 : Laurent Petitmangin – « Ainsi Berlin »

 

 

Ainsi Berlin est le deuxième roman de Laurent Petitmangin. L’écrivain avait connu un franc succès avec son précédent livre, « Ce qu’il faut de nuit », qui a reçu une vingtaine de prix littéraire dont le précieux Prix Femina des lycéens. Cette fois, il s’attaque à un épisode peu connu de l’histoire de l’après-guerre de l’Allemagne de l’Est. Il s’agit du programme Spitzweiler mis à jour après la déclassification des archives de la RDA.

Vous situez l’action de votre roman dans la période d’après la fin de la Seconde guerre et jusqu’à celle qui a suivi la construction du Mur de Berlin commencée en 1961. En quoi ce choix vous a-t-il semblé intéressant de point de vue à la fois historique et romanesque pour en faire le sujet de ce deuxième roman ?

J’avais envie de prendre l’histoire à partir de l’année zéro. Quand tout était possible. Quand on ne savait pas encore ce qu’il adviendrait de tous ces espoirs, de toutes ces utopies. Partir, donc, de ces hommes et femmes qui voulaient tout faire pour éviter une nouvelle guerre et qui devaient s’engager. Avec les moyens de l’époque, dans l’urgence de ces temps, avec les menaces qui couvaient déjà.

Pour rester dans la genèse de ce livre, je crois avoir vu récemment que vous l’avez écrit en même temps que le premier, en tout cas que vous avez envoyé simultanément les deux manuscrits à votre éditeur. Qu’en est-il de cette réalité qui dépasse, selon moi, le simple détail et qui relève plutôt d’un des secrets de votre manière d’écrire ?

J’ai écrit Ainsi Berlin avant Ce qu’il faut de nuit. J’écris par phases. Quand je suis embarqué dans une de ces périodes, je suis assez « efficace ». J’ai écrit Ce qu’il faut de nuit rapidement, je l’ai terminé presque plus vite que prévu, et j’ai donc eu l’énergie et la possibilité (c’étaient les grandes vacances) de retravailler Ainsi Berlin, avant, effectivement, de les envoyer tous deux à Pierre Fourniaud de La Manufacture. Et c’est d’ailleurs via Ainsi Berlin que Pierre m’a contacté.

Dans le décombres de la ville de Berlin, tout est à reconstruire. Käthe et Gerd, deux de vos personnages principaux s’engagent dans cette reconstruction aux côtés d’une jeunesse qui affirme, écrivez-vous, « le Berlin en ruine ce n’était pas nous ». Ils sont contents d’être « du bon côté », celui des « Allemands victorieux ». Pouvez-vous nous décrire cette ambiance sur laquelle s’ouvre votre roman ?

« Le bon côté », c’est une question qui prend une place importante chez moi. On la retrouve d’ailleurs dans mes deux textes. Qu’est-ce que le bon côté ? Comment peut-on continuer de vivre avec des proches, qu’ils soient enfants ou parents, qu’on désapprouve fondamentalement. J’ai la chance d’en être préservé, mais cela reste pour moi une question entière, porteuse d’une multitude de possibles, donc très intéressante d’un point de vue littéraire. Dans Ainsi Berlin, ces hommes et femmes ont certes gagné la guerre, mais ils restent des Allemands, et doivent se débattre avec cela. Pour eux, pas de repos, pas de possibilité, malgré la victoire, de se sentir vraiment indemnes. On le sent chez Gerd. Il dit être content. Je crois que c’est surtout du soulagement.

Ce « bon côté » signifie aussi un optimisme propre à leur âge jeune pour qui le ciel est « d’un beau bleu et les pensées fraîches ». Rêver sous l’impulsion des Soviétiques à l’avenir de leur zone s’avère être synonyme de « la mise en place d’une véritable société communiste ». Plus loin, Gerd avouera avec fierté avoir trouvé parmi le peuple russe « de nouveaux frères ». Ne s’agit-il pas d’une sorte de volonté de purification idéologique par-dessus les liens de sang avec ses compatriotes de l’Ouest ? Assistons-nous ici au passage d’une idéologie à une autre, d’une illusion à une autre en vérité pour laver les consciences de la culpabilité du régime nazi ?

Effectivement, il y a une urgence pour eux. Une urgence vitale. Car, encore une fois, comment vivre avec le poids de cette Allemagne coupable et défaite ? Tout ce qui peut être fait pour dissiper cette honte, cette culpabilité, pour tuer définitivement tout ce qui peut rester du Reich, doit être entrepris. 

Revenons, si vous êtes d’accord, au fameux programme Spitzweiler. D’abord, de quoi s’agit-il, comment a-t-il été révélé au grand public et quelles étaient les idées qui ont régi à sa mise en place ?

Le programme Spitzweiler, c’est la nouvelle Allemagne. C’est la conviction que seule une bonne base scientifique saura reconstruire et garantir la prospérité et l’indépendance de la République démocratique allemande. Et, une fois encore, il y a cette urgence, cette nécessité d’aboutir. Coûte que coûte. C’est cela aussi qui m’intéressait : le temps de Gerd et de Käthe ne se prête pas à trop de circonvolutions, ni de compromis. Il faut s’engager. De toute façon, ils ont vécu tellement pire. 

S’agit-il dans le cadre de ce programme, en dehors de ce désir de formation et de performance scientifique, d’un système d’endoctrinement tout aussi galopant que ce que la jeunesse de ce pays avait connu auparavant de ces jeunes pensionnaires ?

Non je crois que c’est sincèrement une volonté d’avoir l’effectif suffisant pour mener à bien tous les programmes voulus.

Cette situation s’inscrira dans le cadre de la guerre froide naissante. C’est l’occasion pour vous de construire un vrai roman d’espionnage où Käthe, Gerd et Liz, une américaine vivant dans Berlin Ouest, vont entrer en scène. Quelle place accordez-vous à ce type de suspense romanesque dans le cadre de votre récit ? S’inscrit-il sur la trame du roman historique ou est-il l’élément principal qui ordonne tout le fil narratif ?

La première trame du roman était bien le Programme, l’éducation, la formation, cette interrogation essentielle : est-ce que la fin justifie les moyens ? Puis, au fil des versions, Liz est devenue de plus en plus présente. Comme si elle me séduisait peu à peu. J’ai eu envie de lui faire une place plus grande dans le récit.

Comme il se doit dans toute intrigue bien construite, le côté récit amoureux ne manque pas. Gerd est tiraillé entre la relation amoureuse qui le lie avec Käthe et celle qui naît en présence de Liz. Cette duplicité donne à Gerd le sentiment de marcher comme un funambule « dans un équilibre miraculeux » dans ce monde naissant et incertain où même les sentiments souffrent d’une fragilité à toute épreuve. Comment voyez-vous ce côté sentimental de votre roman ?

J’étais intéressé par ce choix impossible. J’étais motivé à rendre ce choix impossible. Et cela me permettait de figurer deux femmes, très différentes, que j’aime toutes deux. Choix impossible, même pour l’auteur…

Sans trahir le suspense de votre roman, citons cette phrase de Gerd : « Quelqu’un tirait les ficelles au-dessus de nous ». Peut-on conclure qu’au fond l’histoire que vous racontez dans Ainsi Berlin n’est en réalité qu’une preuve de la fragilité de l’être humain happé par l’Histoire, sa petitesse devant des événements qui ignorent les destins individuels souvent écrasés par    l’infaillibilité des faits ?

J’aime figurer des hommes fatigués de leurs combats antérieurs. Qui demeurent à leur hauteur d’homme. Qui n’ont aucune prescience, qui peuvent avoir énormément de courage (Gerd en a eu beaucoup durant la guerre) et qui peuvent aussi douter, abondamment.

Propos recueillis par Dan Burcea©

Laurent Petitmangin, Ainsi Berlin, Éditions Manufacture, 2021, 272 pages.

 

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