Bruno Mabille : Poèmes inédits

 

À l’aube du sens

il y a cette jeune femme

qui jette à la mer

ses vêtements défaits

sa figure fière

qui défie le temps

et marque l’horizon

perce les mystères

elle est d’autant plus belle

que tout en elle

me fait craindre

qu’elle disparaisse au loin.

 

Au loin

des voiles s’enfuient vers la mer

certaines volent

dans la brise et les embruns

soulevant les vagues

elles font la course

d’autres du sur-place

grande sublime mer

le ciel s’y perd

l’horizon bascule

et le soleil sombre.

 

La terre natale

tient

dans le creux de ma main

à son début

et jusqu’à sa fin

les éphémères

y côtoient

les immortelles

parce que c’est là

que la vie m’échut

et que pour moi

la lumière fut

l’horizon bascule

et la peau me brûle.

 

Le plancher craque

le toit murmure

les poutres gémissent

et la fenêtre tremble

il faudrait l’ouvrir en grand

inspirer l’air

pour le sentir en soi

se mêler à la terre

et s’en emplir les poumons.

 

Accepter de n’être

en ce monde

qu’une voix discrète

et tremblante

mais tenace

prête à confier ses ombres

à qui veut l’entendre

et ainsi consentir

à naître encore une fois.

 

Dos courbé sur la feuille

où vient la main

tracer des signes

pour un peu

aussi légère qu’une aile

elle s’envolerait

depuis sa trace

au-dessus de la page

planant d’un cercle à l’autre

à la façon d’un ange

ou d’un rapace

et s’élèverait

jusqu’aux espaces ouverts.

 

Au lieu des mots

s’intercalent des espaces

des points où se poser

et des silences

comme des résidus

de là où ils viennent

qui les portent si bien

qu’ensemble ils composent

sur la page

aux allures de partition

rien de moins

qu’un moment de musique.

 

Filer les jours

les broder à petits points

puis les défaire la nuit

les démailler sous la lune

jusqu’aux premières heures

du lendemain

où tout est à reprendre

et retisser…

 

J’entends un bruit

au-dessus de ma tête

semblable à celui de la pluie

de l’averse

mais ce n’est que le vent

cinglant

qui secoue les branches

et les feuilles

au sommet du grand arbre.

 

Il en faut peu parfois

si peu

un grain de sable

dans l’équilibre fragile

des jours

des heures

et des secondes

qui inépuisablement s’écoulent

pour que brusquement

le sablier déborde

sans cause aucune

que tout dérape et s’écroule

et qu’advienne alors

sinon la fin du monde

du moins son bouleversement.

 

 

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