« Aulus » : cartographie narrative et vérité romanesque chez Zoé Cosson

 

Aulus-les-Bains est d’abord une commune touristique et thermale. Sur le site qui lui est dédié, on peut lire cette introduction qui insiste sur son caractère pittoresque :  « Niché à 750 mètres d’altitude, au fond de la vallée du Garbet, Aulus-les-Bains est un authentique site du Haut Couserans, dans les Pyrénées Ariégeoises. »

Aulus est aussi le titre d’un roman, celui de Zoé Cosson.

Sa manière de le nommer ainsi prend la liberté d’une familière et chaleureuse ellipse : «Personne ne dit «Aulus-les-Bains» en entier. On dit juste Aulus».

Et même si cette figure réthorique pousse sa narratrice à insister sur des détails d’altitude et de vertus thermales, la vraie topographie qui entre désormais en jeu est sa cartographie littéraire. Dès lors, c’est à travers le regard de cette narratrice accompagnée de la présence paternelle que l’on se glissera dans la géographie des lieux et dans la vie des habitants de ce village. Le temps se dilate, s’entrecroise ou s’accélère et profite des licences du roman et des largesses qui s’abandonnent à la lenteur d’une vie inscrite sur les façades des bâtiments qui datent d’un autre temps, respirent une gloire passée, celle d’une presque oubliée « florissante station thermale ».

C’est sur un tel bâtiment, presque en ruine, au nom de carte postale, Le Grand Hôtel de Paris, que son père avait jeté son dévolu. L’état des lieux est saisissant, la vétusté et le délabrement imprègnent les murs et les chambres en nombre alignées dans un interminable couloir impressionnent la jeune narratrice, même si la volonté et les multiples compétences du père promettent une rapide et sure remise en état.

Au lieu de lui faire peur, cette ruine momentanée habitée des fantômes du passé trouve un support inattendu dans des cartes postales du début du siècle dernier et ouvre en grand les portent de la fiction. « Je me les décrit pour moi-même » – écrit la narratrice –, en nous invitant à franchir ainsi ce que nous pourrions appeler sa vérité romanesque. Elle transforme le village en une scène où le passé et le présent construisent des histoires qui se recoupent. La vallée devient à son tour un huit clos que seule la majesté des lieux réussit à extraire de la succession des époques.

Zoé Cosson inscrit ainsi ses personnages dans la durée et imagine des intrigues auxquelles ils participent avec assiduité même si les temps ont changé et que ses galeries sont devenues souterraines. Il suffit de comparer les images des cartes postales pour s’en apercevoir de leur vétusté sous la pression de ce temps qui laisse la végétation boucher le paysage. La vallée est traversée par de 4 x 4, la technologie aide les chasseurs à repérer le gibier, et la 4 G est arrivée jusqu’à eux. Malgré cela, rien de prouve que les Aulusiens aient perdu leur charme. Les gens des montagnes savent garder leur tête sur les épaules. Voici le portrait robot de l’Aulusien dressé par la narratrice : « Une simplicité dans ses gestes, des cailloux roulés en lui. Il n’y a pas la séduction citadine du prêt-à-porter, pas de maquillage. Les femmes s’attachent les cheveux par nécessité, en queue-de-cheval, et si certains sont affligé d’une légère myopie, leurs lunettes sont un outil plus qu’une parure ».

Fascinée par la beauté des lieux et le pittoresque des habitants, l’héroïne y jette un regard de plus en plus attentif pour noter dans des récits courts, comme des scènes semblables à celle immortalisées par les cartes postales. Ses notes s’évertuent à saisir l’essentiel d’un habitant, d’un événement du village ou de la description d’un paysage.

De chacun de ces aspects on peut prendre des exemples emblématiques qui dévoilent l’incontestable talent de l’observatrice.

Voici pour preuve le portrait de Pierre, l’homme qui a « une voix d’une tristesse d’arbre, douce et souterraine qui secoue et s’étend, s’élève au-dessus des murs et enveloppe les gens de candeur ». La solennité des reliefs a la couleur des hauteurs grises et les étangs sont « froids, somptueux, d’un autre âge ». Quant à la vie du village, il suffit d’assister aux réunions du conseil municipal pour s’en rendre compte de leur originalité.

Le père occupe une place à part dans ce roman, un place discrète et invasive à la fois, fragile et pleine d’humanité. La relation fille-père est décrite avec le souci du retenu et la volonté d’en dire l’essentiel sur un homme secret, habité par « des mots enfouis qu’il ne croit pas avoir l’urgence de dire ».

Zoé Cosson réussi ainsi le grand exploit de réunir dans un premier roman sensible et spontané les multiples beautés qu’elle observe, associant de manière naturelle la majesté des lieux et l’originalité de ceux qui les habitent. En plaçant son héroïne en marge de la vie du village, et en faisant d’elle le témoin d’une existence verticale qui regarde les sommets et le bleu du ciel, elle touche en plein cœur le sujet de la fragilité de la nature comme métaphore de la finitude qui ne cesse de combattre le déclin et l’oubli.

Dan Burcea©

Photo de Zoé Cosson : © Francesca Mantovani

Zoé Cosson, Aulus, Éditions Gallimard, 2021, 112 pages.

 

 

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