Interview. Christine Colonna-Cesari : «En venant vivre en Roumanie, j’ai retrouvé une partie essentielle de mon caractère profond»

 

 

Christine Colonna-Cesari, écrivain et éditeur français, vient de publier : « Ils sont fous ces Roumains, l’Eldorado roumain », aux éditions Piatnitsa. Un livre lumineux, rempli d’amour pour son pays d’adoption, la Roumanie, où elle a décidé de s’installer, il y a environ deux ans. Le sous-titre : l’eldorado roumain, nous laisse entrevoir qu’elle va partager avec le lecteur la qualité de vie qu’elle y a trouvée et des richesses liées au sens de la grandeur des Roumains. Le slogan Mare de tot ! qui veut dire en roumain, le plus grand, au sommet, au top ! orne la couverture de ce Beau-Livre surprenant.

Bonjour Christine, en quoi ce périple, cette découverte de la Roumanie sont-ils très spéciaux, et comment qualifier votre livre ?

C’est un livre assez unique car il mélange plusieurs approches, tout d’abord c’est le regard plein d’humour et d’amour d’une française qui débarque pour vivre à Bucarest et qui doit s’adapter à des modes de fonctionnement, des organisations, une mentalité et une culture autres que la sienne, tout en ayant déjà une connaissance du pays pour avoir beaucoup étudié, son histoire, sa géographie, sa littérature, ses arts et sa spiritualité.  Il y a donc dès le début une confrontation entre un projet, un rêve, un savoir et la réalité. Ce bagage m’a permis de ne jamais avoir été perdue en Roumanie ni n’avoir jamais regretté ce départ. Il y a aussi dans ce livre beaucoup d’informations d’ordre historique, culturel, géographique etc…  pour mieux faire comprendre et  découvrir le pays et les Roumains eux-mêmes, sans être pour autant un guide touristique, ni un livre d’histoire ou de géographie. J’aime mélanger les genres et là j’en avais la possibilité, ce livre est la somme de beaucoup de choses. C’est aussi un livre qui raconte de vraies rencontres avec de vrais personnages roumains, des êtres exceptionnels, chacun dans leur domaine, scientifique, médical, artistique, qui racontent leurs parcours, les défis qu’ils ont relevés, le caractère exceptionnel ou unique de leurs créations que l’on ne retrouve nulle part ailleurs et qui sont spécifiquement roumains. Enfin j’ai totalement supervisé et construite la maquette du livre avec des photos que j’ai fait pour la plupart, de façon à ce que cela soit vivant et esthétique. Il y aussi dans ce livre, une dimension spirituelle, un mélange de concret, de rationnel et de subliminal, d’intuitif, nés d’une longue observation très personnelle, une vision, une connaissance de la Roumanie et des Roumains, qui sont peu habituelles. Mais on peut aussi acheter ce livre et partir avec pour découvrir le pays, pour s’y sentir bien, pour avoir envie de voir certaines choses accessibles au public qui y sont racontées et surtout ne pas juger et ne pas râler comme le font tout le temps les Français mais au contraire mieux s’ouvrir aux Roumains et à la Roumanie, pour en tirer le meilleur.

Vous énumérez différents titres jubilatoires auxquels vous aviez pensé pour donner à votre livre. Pouvez-vous résumer cela pour nos lecteurs ?

Oui je n’ai pas résisté au plaisir iconoclaste de dire toutes les âneries que j’ai pu entendre en France, lorsque j’ai annoncé que je partais vivre en Roumanie, de ma boulangère qui m’avait demandé effarée s’il y a du pain en Roumanie, en passant par ma maquettiste qui m’a demandé comment j’allais circuler à Bucarest comme si je partais en plein désert sans chameau, jusqu’à tous ceux qui se croient obligés de penser que pour vivre ici, il faut vraiment être roumain ou rien et de toute façon régresser au-delà des limites du rationnel! Bref, un beau panorama des clichés bord-cadre sur la Roumanie, typiquement français. C’est vrai que l’esprit franchouillard, par moment, en prend un peu pour son grade dans ce livre parce que de toute façon, c’était ma motivation de départ que de déconstruire, preuves à l’appui, tous les clichés, les à priori et l’ignorance sur la Roumanie, dans mon pays d’origine, la France. Je crois savoir qu’on est nettement moins « cloisonnés » dans les autres pays d’Europe concernant l’image de la Roumanie.

Qu’est-ce qui vous a poussé à quitter la France pour venir vivre en Roumanie ?

Tout d’abord, une énorme intuition qui me disait qu’il fallait absolument partir avant 2019. La réalité politico-sanitaire qui s’est abattue sur la France, qui m’aurait empêché de gagner ma vie et m’aurait conduite à une ruine économique a montré que mon intuition était juste. D’autre part, je ne me retrouvais plus, depuis ces dernières années dans ce que la société française, particulièrement violente en région parisienne était en train de devenir. Je ne supportais plus le climat social, l’agressivité, l’insécurité, l’individualisme, la perte de culture, d’humanité et de civilité, exponentiels à Paris. Je ne trouvais plus aucune satisfaction profonde et véritable à vivre et travailler à Paris. J’avais besoin de retrouver des valeurs plus humaines et de ne pas perdre mon temps ni mon âme. Je suis d’origine provençale et la culture, la mentalité roumaines sont plus proche de mon Sud natal niçois, que celles de la région parisienne. Donc si je suis partie, c’est d’abord pour retrouver une qualité de vie, de communications et de relations. Je me suis plongée ici dans la vie à Bucarest de façon très différente de la majorité des expatriés qui sont couvés, surprotégés et totalement assistés par les entreprises françaises installées ici, pour lesquelles ils travaillent et dont ils profitent au maximum. Moi j’ai vraiment dû me débrouiller toute seule de A à Z. Il faut aimer l’aventure et les défis ! Ça n’a pas toujours été facile mais ça m’a permis de me faire beaucoup d’amis, d’apprécier le sens de la solidarité des Roumains et de mieux connaître la Roumanie.

Un chapitre de votre ouvrage s’intitule : Je te quitte en pleurant. Il fait référence à ce que l’on dit souvent, c’est que lorsqu’on doit venir vivre en Roumanie, l’on pleure de désespoir mais que lorsqu’on doit en repartir on pleure de regret de devoir s’en aller. A quoi est dû cet attachement pour la Roumanie ?

Je crois que la terre roumaine et le peuple roumain sont particulièrement attachants. Il y a une dimension spirituelle et une grande humanité, une grande ouverture d’esprit et de cœur, un sens de la générosité typiquement roumains que l’on ne peut   pas quitter sans avoir le sentiment de se déshumaniser. Les Roumains sont un peuple à la spiritualité centrée sur le cœur, très marquée par l’orthodoxie et l’ésychasme, le tout combiné avec une capacité    à vivre dans le moment présent qui me fait dire dans mon livre : « Bienvenue au pays de ceux qui rêvent le monde à l’envers et qui ont réussi à échapper à la roue du temps ». C’est pour moi un pays qui a une destinée plus spirituelle que matérialiste, une destinée donc vraiment spéciale, à contre-courant de la course actuelle vers la perte de repères. Je pense que la Roumanie essaie de s’intégrer dans un modèle économique et financier qui la gêne aux entournures. Il n’y a qu’à voir la façon dont on vous rend la monnaie en Roumanie, où les gens se fichent complètement de la précision en ce domaine, ce qui est inconcevable en France, pour se rendre compte que Big Brother a un petit problème avec les Roumains ! Donc les gens qui ne sont pas essentiellement matérialistes se sentent bien en Roumanie. Je crois en fait, pour ne rien vous cacher, que j’ai dû vivre ici, heureuse dans une vie antérieure, et que c’est comme si j’étais « rentrée au pays ». En plus, c’est drôle mais il y a des mots en roumain, identiques au patois provençal que parlait ma grand-mère et cela résonne en moi.

Votre volume baigne dans une énergie propre qui semble imprégnée de la joie de vivre des Roumains. Comment observez-cela ?

Oui c’est vrai que l’une des choses qui frappe lorsqu’on vit ici, c’est le temps incroyable que les Roumains consacrent aux discussions et à la rigolade, partout, tout le temps. Vous attendez à la poste et vous réalisez que les postières échangent des remarques et des plaisanteries qui les amusent tout en travaillant, vous êtes sur le fauteuil du dentiste et vous entendez les médecins et les assistants échanger des choses drôles qui les font rire, tout en travaillant sérieusement, vous croisez des gens dans la rue partout, tout le temps, qui semblent ne pas pouvoir vivre sans rigoler, sans discuter interminablement et sans plaisanter. Je crois que l’échange verbal, les mots d’esprit et l’humour sont vraiment indissociables de l’âme roumaine. Et comme en plus ils vivent hors du temps, ils ne s’en privent pas puisqu’ils ont l’espace-temps pour ça ! Moi je remarque et apprécie cela parce que, issue du Sud niçois, j’ai baigné dans la galéjade permanente dans ma famille, où l’on nous appelait le quartier de la rigolade.  Dans ma famille maternelle, dans mon enfance, faire des mots d’esprit, pleurer de rire et plaisanter étaient vraiment le sport national. C’est vous dire comme je souffrais à Paris, entourée d’autochtones qui vous faisaient la tête et se prenaient au sérieux du matin au soir. Deux visions du monde et de la vie incompatibles. En venant vivre en Roumanie, j’ai donc retrouvé une partie essentielle pour moi, de mon caractère profond. Je ne conçois pas la vie sans joie, sans rire, sans plaisanteries et sans humour. J’ai aussi une grande difficulté avec les gens qui se prennent au sérieux. Côté humour, les Roumains sont champions et ne se prennent pas autant au sérieux, l’arrogance, ils ne savent pas faire. C’est un sacré poids en moins et cela permet des échanges beaucoup plus larges et ouverts, sur tous les sujets.

Pouvez-vous nous redire les spécificités qui vous ont accueillie à Bucarest, que vous appelez, la capitale électron libre ?

La première chose qui surprend quand on arrive de France, c’est le désamour irréversible des Roumains avec les compétences de cantonnier. Il semble impossible de refaire lisse et droit, les rues et les trottoirs de Bucarest, un reste sans doute des temps anciens, qui fait que je me suis fichue par terre dès mon arrivée, dans une rue non éclairée la nuit et me suis fait très mal. Bienvenue à Bucarest ! Mon cerveau avait l’habitude de trottoirs lisses et sans aspérités, ici il y en a partout et il m’a fallu du temps pour me mettre en pilotage automatique ! Au début, ça surprend et c’est une vraie difficulté, mine de rien ; je me souviens que j’observais les Roumains marchant sur les trottoirs glacés en hiver, pour essayer de comprendre comment ils faisaient pour marcher sans tomber. Une autre chose qui surprend et demande de s’organiser, c’est qu’à Bucarest dans certains quartiers, trouver une signalétique correcte des noms et numéros de rue, c’est assez mission impossible. Donc là aussi, cela renseigne bien sur les priorités de Bucarest, qui ne sont pas rationnelles. Il y a aussi la relation aux agendas des roumains, toujours organisés au dernier moment si possible comme à leur façon de vivre et de conduire moyennement disciplinée, les mélanges complètement iconoclastes des architectures, les palais abandonnés qui partent en poussière au milieu d’une évidente supériorité intellectuelle de la population et une vitalité bien plus grande qu’en France, un certain sens inné du désordre et de l’indépendance, combiné avec beaucoup de tolérance et de gentillesse, tout cela donne à Bucarest sa carte d’identité de ville électron libre. Comme j’ai toujours été moi-même un électron libre, cela me permet de le comprendre, de l’analyser et d’être, comme un poisson dans l’eau à Bucarest et au milieu des Roumains. Enfin une autre chose qui interpelle, c’est l’incroyable disponibilité des Roumains, leur amour pour la discussion, les palabres, j’avais l’habitude de régler en trois minutes ce qui ici prend quinze minutes et au début cela m’énervait beaucoup. Au bout de quelques mois, je l’ai accepté parce que cela participe de la qualité de vie ici où « le temps n’est pas de l’argent et où l’écoute de l’autre est réelle ». C’est très jouissif pour moi. C’est rassurant aussi.

Le slogan Mare de tot ! nous ouvre une porte insoupçonnée sur les records roumains en matière de taille, hauteur, sens de la grandeur, innovation en Roumanie.

Oui, cela m’a vraiment interpellé au départ et c’est le fil conducteur qui m’a lancé dans les reportages, les rencontres et l’écriture de ce livre. C’est pourquoi nous sommes allés avec mon interprète, à la découverte du plus grand lustre en cristal Murano d’Europe, qui se trouve au Suter Palace Hôtel de Bucarest, évidement au Palais du Parlement qui est le plus grand bâtiment administratif du monde, à la Colonne sans fin de Brancusi, aux Thermes écologiques de Bucarest, uniques dans leur conception justement, où tout est écologique, l’eau y est purifiée à l’ozone et non à la javel et tous les matériaux de construction y sont écologiques, au show des fontaines Unirii qui est le plus long du monde, tout cela a fait l’objet de rencontres chaque fois que cela était possible avec les concepteurs et les héritiers de ces projets. J’ai beaucoup documenté tout ce qui est exposé dans ce livre, en rencontrant les créateurs lorsqu’ils étaient encore en vie. Il y a aussi des personnalités uniques ou avant-gardistes, comme Mircea Tudor qui m’a expliqué comment il en est venu à créer des robots scan d’avions uniques au monde, pouvant scanner totalement un avion avec ses passagers en cinq minutes, ce qui pourraient éviter bien des dangers et des retards au niveau du trafic aérien, ou bien le docteur Nicoleta Morariu qui fait un travail de rééquilibrage incroyable de l’occlusion dentaire, qui demande des connaissances  médicales rarissimes et un patient parcours de soins de plusieurs mois. Ces Roumains sont extraordinaires de compétences, d’inventivité, d’humanité, de modestie, de générosité et méritent d’être connus.

Vous avez aussi visité et photographié les mines d’or de Roșia Montana, mines qui furent exploitées par les envahisseurs romains pendant 165 années, au cours desquelles ils ont pillé la Roumanie qi s’appelait alors, la Dacie, d’environ 800 tonnes d’or. Ces mines ont fait l’objet de grandes batailles ces dernières années entre la population et les gouvernements roumains, qu’en est -il aujourd’hui ?

Oui, il y eut un moment de grande fracture historico-politique lorsque le gouvernement de Victor Ponta avait passé des accords commerciaux avec la compagnie canadienne Gabriel Resource pour relancer l’exploitation de ces mines d’or et d’argent. Cela supposait de dynamiter plusieurs montagnes, détruire des villages, détruire des mines qui sont les plus anciennes conservées en l’état du monde, donc irremplaçables pour le Patrimoine mondial et répandre des tonnes de cyanure dans les nappes phréatiques ; treize fois la quantité utilisée dans l’Europe entière, une folie, de manière irréversible, en polluant même d’autres pays d’Europe. La société civile, les villageois de Roșia Montana, les Roumains se sont levés en masse durant des années, contre ce projet. Un mouvement incroyable dont on a très peu parlé en France, voyant toutes les couches de la population marcher de concert sur des km, durant des mois et des années ; les intellectuels, les paysans, les écologistes, les artistes, les familles, les Roumains de Roumanie et d’ailleurs, certains élus, tout le monde s’y est mis. On les a appelés « les indignés des Carpates ». Ils n’ont jamais renoncé, non seulement ils ont protégé la Roumanie d’un grand désastre écologique mais aussi les pays voisins. En 2015, Roșia Montana a été déclarée, « site historique d’importance nationale », bloquant les recours juridiques de Gabriel Resource. Les Roumains ont souvent servi de remparts durant leur histoire et on devrait leur en être reconnaissants.

En conclusion, que dire à ceux qui hésitent à venir visiter la Roumanie ou qui veulent s’y installer ? Comment les libérer des clichés négatifs sur la Roumanie ?

Je pense que la Roumanie se mérite, contrairement à ce qu’on pourrait imaginer et demande de venir ici le cœur et l’esprit ouverts. Sinon, on s’installe à Bucarest, on a une femme de ménage et tout le confort, payés par son entreprise et on n’en sort pas ou bien on suit le consensus et on s’installe au Portugal ou aux Canaries. Ce n’est pas ce qui aide à en savoir plus sur la Roumanie et les Roumains. Il faut aimer l’humain, la découverte des gens, du pays et de sa culture, ne pas avoir peur car on est plus en sécurité en Roumanie qu’en France, on y respire mieux, y mange mieux, on s’y fait plus facilement des amis de cœur car les Roumains sont de grands communicants et un peuple sentimental, artiste et généreux. Ils ont le sens du beau et de l’éphémère, ils sont un trésor d’humanité, de l’au-delà du Danube. Passer la frontière c’est aussi passer celles de son esprit et Dieu est content de réunir ses petits, juste là au cœur du monde, à égale distance de l’Atlantique et de l’Oural, là où le temps des hommes s’arrête pour s’ouvrir sur l’Éternité.  C’est de plus, un beau pays avec une culture très riche et des traditions préservées. Le temps pour moi est venu, de s’arrêter sur ce peuple d’initiés qui s’ignore que sont les Roumains, en se souvenant de leur longue, très longue histoire et de comprendre ce qu’ils apportent au monde en devenir, dans toute leur fragilité, leur gentillesse et leurs talents.

Interview réalisée par Dan Burcea

Christine Colonna-Cesari, Ils sont fous ces Roumains ! L’eldorado roumain, Éditions Pianitsa, 2021, 224 pages.

Les crédits des images appartiennent à l’auteure.

Vous pouvez commander ce livre sur le site de l’éditeur : http://www.editionspiatnitsa.com/livresadulte ou dans toutes les librairie de France.

 

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