Interview. Adriana Langer : « Les joies de l’écriture sont essentielles pour moi, c’est une sorte de baume personnel que je fabrique »

 

Le Gaz et autres nouvelles est le quatrième recueil de nouvelles de l’écrivain-médecin Adriana Langer paru aux Éditions David Reinharc. Il confirme sa préférence pour ce genre littéraire – elle a aussi publié un roman court, Aude – qui lui permet de saisir des instants de vie qu’elle scrute avec l’œil expert de radiologue des destins.

Comment expliquez-vous l’affection particulière que vous éprouvez pour le genre littéraire de la nouvelle ? Qu’apporte-t-il à votre univers de créatrice littéraire ?

J’aime le caractère “droit au cœur”, si on peut dire, de la nouvelle, un peu comme une brève (nécessairement brève) plongée en apnée. Je ne ressens pas (ou à peine) le besoin de placer mes personnages dans une ville ou dans un contexte socio-historique spécifique. Peut-être y a-t-il là un lien avec mon métier de radiologue, qui m’a habituée en quelque sorte à “explorer les profondeurs”. Certes le roman le permet aussi, mais il me semble que la nouvelle peut faire l’économie de beaucoup d’éléments qui ne me sont pas indispensables.

Vous rassemblez dans ce nouveau recueil une très riche panoplie de sujets liés à l’univers médical, en insistant surtout sur l’urgence qui nous lie – à la fois médecins et patients – au présent de nos existences. Comment expliquer l’évidence exprimée dans ces paroles : « chaque parole échangée, chaque sourire, chaque regard pourrait être le dernier » ?  

Que l’on soit patient, ou soignant, ou ni l’un ni l’autre, c’est une évidence qu’on oublie la plupart du temps. Peut-être ne pouvons-nous faire autrement ?

Cette cabine de radiologie ressemble bien à un oracle qui interroge l’avenir des patients. Sont-ils au fond des êtres humains comme les autres ? Sont-ils des ombres ? Quel est leur rapport à la vie ?

Si vous faites référence aux appareils d’imagerie (scanner, IRM, radio, écho, mammographie, etc.) ce sont des machines, mais vous avez raison, ils ont comme un caractère oraculaire, et l’absence d’affect ou d’intention (contrairement aux rapports humains), rend la chose plus pesante encore, voire effrayante.

Et le médecin qui les ausculte ?

Pas toujours simple pour lui non plus. Il se trouve dans un rôle de messager de nouvelles pas toujours bonnes, et très difficiles à transmettre. Par ailleurs, il peut aisément sauter du monde des soignants à celui des soignés.

Cette expérience ne ramène-t-elle pas vos personnages devant des relations particulières, voire surprenantes entre patients et médecins ?

Oui, tout à fait. C’est un thème que j’ai beaucoup exploré dans mes nouvelles, chaque situation ayant une particularité qui la différencie des autres.

Permettez-moi d’en choisir quelques-unes afin de mieux comprendre les instants de vie qu’elles contiennent. Que pouvez-vous nous dire de cette saisissante interrogation du médecin radiologue : « à quoi ressemble quelqu’un qui est tout près de la mort » ? Que dit-elle de la condition humaine ?

« À quoi ressemble quelqu’un qui est tout près de la mort ? » J’ai envie de vous répondre par le titre de la nouvelle : Incognito. Nous sommes tous ainsi, nous baladant incognito chargés de notre mort, plus ou moins proche ou lointaine, en général invisible aux autres comme à nous-mêmes.

Le gaz, la nouvelle qui ouvre et donne le titre à votre recueil, nous présente une histoire familiale qui met en avant les relations affectives entre mère et fille à un moment crucial. Comment renouer après une situation délicate, comment recoudre un amour presque périmé ?

Dans ce texte c’est l’image de l’infarctus qui s’est imposée à moi : si la relation survit à un tel choc, sa nature est néanmoins définitivement dégradée. De même, lorsqu’un infarctus ne tue pas, il reste, à la place des cellules hautement spécialisées qui ont été lésées, une cicatrice fibreuse, c’est-à-dire un tissu relativement simple et grossier. La relation mère-enfant a quelque chose d’unique et précieux, qui – parfois, souvent, toujours ? – ne dure pas. Une relation autre peut prendre le relais, bien sûr, mais il n’y a pas de marche arrière.

Néanmoins, c’est de la fiction, je ne souhaite aucunement faire des généralisations ou des théories, heureusement tout existe dans la nature !

N’est-ce pas ce même amour qui, soumis à la métamorphose du temps qui passe fait de nos enfants « des adultes distants et affairés ; des étrangers ». Pensez-vous que le temps est assassin, pour citer une célèbre formule ?

Souvent, oui ; mais d’autres réalités, d’autres relations, d’autres priorités apparaissent, pour les enfants évidemment, mais aussi pour les parents.

Alain, chirurgien cancérologue, fait l’expérience d’une croisière. Devant ce qu’il peut observer, il se pose cette question : « Comment concilier dans un même monde ce bien-être et la souffrance qu’il côtoie à l’hôpital ? » Ne décrit-il pas par ces mots une des contradictions de notre temps ?

Je crois que c’est une contradiction qui a toujours existé, qui est inhérente à la vie (même si on en a plus ou moins conscience, selon les moments, selon les circonstances et selon les personnes).

En pensant au tableau de Rembrandt Le retour du fils prodigue, le personnage de votre nouvelle qui porte le même titre, aura l’occasion de ressentir la douleur d’un amour paternel brisé. Que dit ce sentiment de solitude de l’existence de vos personnages ?

Il y a dans ce tableau une solitude, bien sûr, mais aussi un lien : la force de l’amour, qui résiste, même s’il est impuissant à protéger l’être aimé (ici l’enfant) comme on le voudrait.

Je vous propose de finir notre discussion avec le sourire des garçons et des filles de la maternelle. Pourriez-vous reproduire cette atmosphère de bonheur pour l’imaginaire ? Est-ce que le métier d’écrivain apporte-t-il autant de remèdes que le médecin ?  

J’essaie parfois de reproduire ces instants suspendus de joie dans mes nouvelles, et je les éprouve moi-même en les écrivant. J’espère aussi les transmettre au lecteur ! Les joies de l’écriture sont essentielles pour moi, c’est une sorte de baume personnel que je fabrique, je ne sais ni comment ni pourquoi (et dont j’espère profite aussi le lecteur, même lorsque les textes sont durs). Mais, comme nous tous, quand il faut prendre un traitement ou être opéré, je cède la place aux remèdes traditionnels de médecins et chirurgiens !

Propos recueillis par Dan Burcea

Crédits photo : Véronique Durruty

Adriana Langer, Le Gaz et autres nouvelles, Editions David Reinharc, 2024, 150 pages.  

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