Méditation transcendantale dans la poésie de Daniel Corbu

 

 

« Voilà des années que je promène dans les rues / l’idée d’un grand poème / comme si je promenais ma mort », nous confie le poète Daniel Corbu depuis sa geôle, emprisonné dans le monde miraculeux des mots.

Illustre voix de la littérature contemporaine roumaine, la poésie épouse harmonieusement la forme de ses réflexions tels les liquides la forme des récipients qui les contiennent. Son recueil Conseils pour tromper les ténèbres, récemment paru aux éditions Jacques André, est, entre autres, une philosophie transcendantale de la vie, de la mort, de l’humain – une philosophie propre élaborée à partir d’une profonde introspection et d’un regard aigu sur le monde, sur l’univers, sur ce que l’on soupçonne se trouver au-delà le visible : « Au milieu d’incompréhensibles eucharisties je vois l’ange / et l’aspect copulatif du verbe / être un être.

La vie est-elle uniquement « l’ensemble des forces qui résistent à la mort » ? (Xavier Bichat dans Recherches physiologiques sur la vie et la mort). Si les vers de Daniel Corbu ne prétendent pas apporter des réponses, ils constituent en échange d’entêtants questionnements, des recherches, des tourments, des regards scrutant le dedans et le dehors de soi, là où l’on espère dénicher le moindre indice éclaireur. Et, pourquoi pas, un aperçu de ce que sera notre imminente éternité. Cette obsédante vie « à usage unique » n’est finalement, peut-être, qu’un tas d’illusions qui jour après jour, seconde après seconde, « se transforment en cadavres / que les hommes oublient d’enterrer ».

Quant à l’éternité, aucun présage palpable depuis ce présent sans fenêtres, ou avec des « fenêtres aveugles ». Comment réagit le poète face à cette barrière ? « Profondément irrité par l’éternel présent / j’ai versé des larmes bouleversantes / et éclaté d’un rire postmoderne ». Le rire comme attitude finale face à l’impossible et l’incompréhensible. Le rire comme d’une fable à la morale hermétique ou tout au plus ésotérique.

Il faut croire que sur le sens de la vie, on n’est pas fixé puisque chacun ses opinions ou tout simplement, parce que l’on ne peut pas comprendre la nature des choses et la raison de leur existence, comme le disait Dante, à travers Virgile, dans sa Divine Comédie. Mais, ce dont on est certain, c’est que dedans « s’y cache aussi la mort » que le poète Daniel Corbu aborde frontalement et sans tabou, car à ses yeux, elle pourrait être « une mélodie galante ». De ce fait, il ne cherche ni la fuir, ni la vaincre, mais se prépare à un bien mourir exemplaire, en philosophe, en sage, probablement en accord avec Kant qui appelait l’humain un « être-pour-la-mort » :

« La Dissolution

(J’avais commencé à mourir trop tôt)

[…]

J’avais commencé à mourir et cela se voyait.

Mes amoureuses mes amis mes voisins disaient :

Tu ne vois pas que tu meurs c’est évident pourtant

et avec quel faste éhonté, impardonnable

sous les yeux de tous tu te dissous comme une eau

qui court sans but au sein des profondeurs

comme un trésor tombé entre des mains percées ! »

En parallèle et en cohésion avec son introspection, ses explorations et son désir de comprendre, Daniel Corbu adopte la poésie comme arme, outil et bouclier, ou comme compagne de route à travers cette aventure qu’est l’existence. En vérité, on ignore si c’est lui ou plutôt elle qui l’a choisi. Certes est qu’ils font un beau couple. Unis à vie, pour le meilleur et pour le pire :

« Un vers amer toujours s’attardera en moi.

[…]

Beaucoup diront :

Voyez Daniel Corbu

le poète maudit qui parle de l’être

de l’univers de ses faits glorieux et inconnus

des agonies des cités fatiguées et autres balivernes

métaphysiques, l’ennemi mortel

de la poésie sentimentale ! »

Lorsqu’on lit les vers de Daniel Corbu, on ne se résume pas à l’appréciation de leur beauté exquise. En effet, ce n’est pas juste de la beauté que le poète nous offre. Il nous incite aussi à la réflexion, au retour à l’essentiel, à notre condition humaine. Voire plus.

« Puis j’ai écris noir sur blanc :

vivre est proche de la nausée

être soi-même, pure folie ! »

Amalia Achard

Amalia Achard est traductrice-interprète, expert judiciaire prés la Cour d’Appel de Limoges, auteure et traductrice littéraire, membre de l’Association des Traducteurs Littéraires de France et membre d’autres Associations et Fondations littéraires de France, Canada et Liban, elle traduit du et vers le roumain. Elle est également éditrice aux éditions Constellations.

Print Friendly, PDF & Email
Partagez cet article