Medeea Marinescu : Michel Blanc incarnait pour moi l’image de la noblesse d’une star

 

L’annonce de la mort de Michel Blanc a bouleversé le monde culturel français, en particulier celui des cinéphiles. Comment avez-vous vécu la perte d’un partenaire artistique et d’un ami ?

Cela a été un choc énorme parce que c’était absolument inattendu et incroyable, parce que je refusais d’y croire. Beaucoup d’amis en France m’ont envoyé des messages le matin-même de cette terrible annonce et j’ai immédiatement appelé Isabelle Mergault, qui ne savait rien non plus. Elle n’avait pas allumé la télévision. Et ça a été un choc qui dure encore aujourd’hui parce qu’on a l’impression que les gens bien ne peuvent pas disparaître. Parce que l’image que j’ai de Michel Blanc, c’est celle d’un homme extraordinaire. Et on a le sentiment et on doit vivre avec le sentiment qu’ils sont immortels. C’est le sentiment que j’éprouve encore en ce moment.

Vous avez évoqué à plusieurs reprises l’importance dans votre parcours artistique de la rencontre avec Isabelle Mergault et le regretté désormais Michel Blanc. Que pouvez-vous nous dire aujourd’hui, après toutes ces années ?

J’ai toujours pensé que le succès d’un film se mesurait dans le temps. Le fait que ce soir, alors que Michel n’est plus là, France 2 ait choisi de bouleverser le programme et de diffuser Je vous trouve très beau est la preuve de l’importance que ces personnes ont eue dans mon parcours artistique. Mais au-delà du succès d’un film, Michel Blanc incarnait pour moi l’image de la noblesse d’une star. Et c’est ce qu’il me semble essentiel – j’ai eu Isabelle au téléphone aujourd’hui, je lui ai parlé longuement de la noblesse de Michel Blanc. Parce que son comportement sur le plateau ne trahissait aucunement le côté hautain d’une star. Au contraire, il était modeste, doux et surtout discret. Pour moi qui étais un peu plus jeune que lui et qui n’avais pas atteint les sommets de sa carrière, j’ai appris de Michel Blanc comment devait être une vraie star, une vedette. Elle n’existe que dans l’œil de celui qui la regarde. Michel ne se comportait pas du tout comme une célébrité, mais au contraire avec beaucoup de discrétion et de simplicité. Il portait cet emblème de la vraie star.

Comment était Michel Blanc en tant qu’acteur ? Comment vous a-t-il accueillie en tant qu’actrice venant d’un autre monde et ne connaissant que très peu le français ?

Oui, j’étais Une petite fille de l’Est, comme m’appelait Georges Lautner, que j’ai rencontré à un moment donné, le regretté réalisateur. C’était d’ailleurs le titre original du film. J’étais une petite fille de l’Est, qui ne parlait pas français, qui devait s’adapter au pied levé à l’agitation d’une grande production de Gaumont et de Jean-Louis Livi, un grand producteur français, et d’une certaine manière, de ce point de vue, j’étais très fragile, ayant la vulnérabilité d’une langue que je ne maîtrisais pas. Mais Michel a été si généreux, si amical et si naturel, dans la rencontre disons contre nature entre ces deux mondes, celui de l’Est et celui de l’Ouest, entre le français et le roumain, à tel point que je n’ai pas du tout ressenti ce handicap de la langue. On se comprenait avec très peu de mots, mais on se comprenait très bien de manière extrêmement joviale et naturelle. Il ne m’a jamais fait sentir une quelconque infériorité. C’est d’ailleurs ce que fait un grand acteur et c’est ce que j’ai appris de lui. J’étais sa partenaire, nous devions pouvoir compter l’un sur l’autre, nous soutenir mutuellement. On a beau être un grand acteur, on ne peut pas jouer seul et Michel le savait très bien, lui qui était un si merveilleux acteur. Il avait besoin que je sois totalement ouverte, que je n’aie pas peur et que je ne sois pas gênée par le fait que je ne maîtrisais pas le français. Michel a su créer autour de moi un extraordinaire réconfort. 

Ce que vous nous racontez est très impressionnant…

Mais c’est vrai ! C’est difficile de parler de Michel. Depuis ce matin, je ne fais que pleurer. J’ai des yeux de crapaud.

D’après ce que vous avez connu de lui, quel héritage laisse Michel Blanc en tant qu’acteur et en tant qu’homme ?

L’avantage du cinéma par rapport au théâtre, c’est que le film reste en place et qu’il dure pendant des années. Ce qui n’est pas le cas du théâtre. Un spectacle ne vit que dans la mémoire des spectateurs, qui est également limitée et qui s’estompe. Un film, en revanche, a la chance de vivre plus longtemps. C’est pourquoi tous les films de Michel Blanc, tous les scénarios qu’il a écrits, tout ce qu’il a créé avec ce groupe de grands acteurs du Splendide qui ont écrit leurs propres scénarios et se sont appuyés les uns sur les autres, resteront dans la mémoire émotionnelle du public. Ils seront accessibles parce que ces films existeront toujours, maintenant que Michel n’est plus là. L’héritage qu’il laisse en tant qu’homme, je pense que c’est plutôt pour les gens qui ont eu la chance de travailler avec lui et c’est pourquoi je pense qu’il est important qu’ils en parlent. Bien sûr, ma personne est insignifiante par rapport à la pléthore de grands acteurs avec lesquels il a joué en France, ceux qui ont été ses collègues et qui ont joué beaucoup plus avec lui. Il faut que les gens comprennent ce qu’est un vrai statut de star. Parce qu’une star, ce n’est pas seulement un personnage que le monde acclame, c’est aussi, selon moi, une personnalité artistique. Cela suppose des qualités humaines exceptionnelles et parce que je ne l’ai pas encore dit, Michel Blanc était un homme extrêmement cultivé, un homme qui, comme le dit Isabelle, jouait du piano comme moi, pendant les pauses du tournage il était toujours avec un casque sur les oreilles et il écoutait de la musique classique, c’était un amoureux de musique classique. C’était un homme cultivé et cela se sentait, se voyait en lui, dans la façon dont il a envisagé sa carrière, la façon dont il construit ses personnages, mais aussi dans sa carrière de réalisateur. Ce que je crois qu’il faut retenir de ce que laisse le départ de Michel Blanc, c’est justement cela, c’est qu’une vraie star doit être quelqu’un de conscient de sa propre valeur, mais qui ne l’affiche pas, c’est un homme profondément cultivé, généreux et discret parce que Michel Blanc était un homme très discret, dans le sens profond du terme.

Y a-t-il quelque chose que vous regrettez de ne pas lui avoir dit ? De le lui dire aujourd’hui, persuadée qu’il vous entend de là-haut dans les étoiles où il se trouve ?

Michel, vraiment, je t’ai trouvé très beau.

(Propos recueillis et traduits du roumain par Dan Burcea)

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