Denisa Popescu Martin : Quelques poèmes en prose du recueil « Que Ta Volonté soit faite. 57 formules de l’acceptation »

 

 

1.

De plus en plus souvent, mon corps sort de moi. Un pétale que je ne me lasse pas de sentir. Un temps sans racines, si doux qu’on entend pleurer les oisillons solitaires au loin. 

3.

Que ta volonté soit faite, Seigneur du velours des morts, qui fais de l’os lisse un diamant, et de celui-ci les yeux de la plus douce des colombes ! Que ta volonté soit faite, eau à laquelle je puisse boire tout ce dont je me souviens. Que ta volonté soit faite, Seigneur, pour que je redevienne.

7.

Penses-tu que si je te donnais ma lumière et que tu me donnais la tienne, nous en viendrions à vivre plus légèrement et plus paisiblement à travers nos propres yeux ? Que nous pourrions voir au-delà de l’air dans les mondes auxquels nous aspirons ? Que nous pourrions au moins toucher les ombres de leurs portes et nous y réfugier, jusqu’à ce que ce que nous sommes maintenant redevienne une sensation ? Penses-tu qu’un jour ta main parfumée fleurira et que moi, ou quelqu’un d’autre qui fera partie de moi, se rendra compte à quel point il est bon d’oublier rien qu’en te tenant la main ?

12.

Je suis lasse. Je laisse mon corps changer de sang et de mémoire. Je fais ma prière et j’attends. Mes hirondelles dans ma poitrine attendent. Nous attendons ensemble. Rien de ce que j’ai vécu ne sera jamais pareil. Mon sang se lave dans la lune.

14.

Demain n’existe pas comme tu le penses, ce qui signifie que demain n’est pas un jour, mais une tache blanche sur un continent gris. Tu peux t’y rendre en avion ou t’en désintéresser et y rester. Mais quel que soit ton choix, demain n’est pas ce que tu peux être. Demain, c’est ce dont tu ne peux pas te séparer.

16.

Je ne peux vivre que dans cet arbre, où les feuilles gazouillent, les racines écrivent à la main, les oiseaux croient en tout ce qu’ils lisent, et les poètes, les suaves, sortent leur cœur de leur poitrine et meurent le front dessus. Les poètes n’ont jamais rien eu à attendre.

25.

Un été rude s’annonce, mon amour. Le soleil brûlera comme s’il nous cherchait, les mouettes picoreront nos paupières jusqu’à ce que nos larmes se tarissent. Nos corps ne seront plus terre. Nos corps seront des eaux dans lesquelles, s’il le faut, un saint naîtra. Un été chaud s’annonce, mon amour. Prends garde à l’oubli dans lequel tu m’enterreras.

33.

Où te tourner, quand sous tes pieds les cendres sont comme des ombres, et qu’aucun oiseau ne tressaille ? Personne ne te reconnaît, ni toi-même, toi qui es resté pour garder les harmonies et les rossignols. Les souvenirs sont des essaims de sens, dont les corbeaux se nourrissent maintenant sur la clôture de la mémoire. Où s’asseoir ? On ne dispose même pas de ce que l’on a vécu. C’est comme si, sans être né, tu étais mort.

35.

Toujours vert est le mot qui n’ose pas partir, le mot qui n’a pas oublié. Il chante encore sur à sa guise, libre, inflexible. Le mot est encore vert, mais nous savons tous les deux qu’il passera, à la fin, la tête baissée.

37.
Prions, prions, secouons la terre et montons les chevaux dorés, toujours parés de vent. Envolons-nous vers l’avant ou, si tu veux, vers l’arrière. Qu’aucun oubli ne puisse nous poursuivre.

56.
Dans le cœur de qui penses-tu avoir encore de la place, oiseau aux yeux plus grands que les ailes ? Et qui, selon toi, veut te connaître, alors que tu t’es enfui de toi-même comme une jeune mariée lors de ses noces ? Où es-tu maintenant, mon oiseau des abîmes ? Dans quel être te purges-tu de la passion ? Tu n’as pas oublié, n’est-ce pas, que ton nom et le monde ne peuvent être purifiés avec une seule larme ? !

(Poèmes traduits du roumain par Dan Burcea)

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