« Itinéraire d’un enfant du siècle » : Exposition itinérante à l’occasion des 40 ans de la disparition d’André Chamson

 

 

Pour commémorer les 40 ans depuis la disparition d’André Chamson, une exposition est organisée à sa mémoire afin de retracer sa vie d’écrivain et d’homme engagé, d’où le titre porté par cet événement, « Itinéraire d’un enfant du siècle ». Nous avons invité Catherine Velle, la petite-fille de l’écrivain membre de l’Académie française, pour nous parler de cet événement qui retrace la mémoire de son grand-père.

Bonjour Catherine Velle, cette exposition dont le titre, répétons-le, est « Itinéraire d’un enfant du siècle » a pour vocation de retracer la vie et l’œuvre de votre grand-père. Quelle est l’actualité qui a conduit à son organisation, à part les 40 ans de la disparition d’André Chamson ?

Bonjour Dan, et merci déjà de votre intérêt pour André Chamson. (1900-1983)

C’est lors de la réunion annuelle qui a lieu début août autour du tombeau sauvage de mes grands-parents, un unique bloc de granit face à un paysage sublime, au col de la Lusette, en plein Parc national des Cévennes, que nous avons commencé, l’été dernier, à réfléchir au moyen d’honorer le 40e anniversaire de sa disparition. Mais c’est aussi parce que sa voix, ses engagements et son éthique humaine nous ont semblés particulièrement en phase, voire utiles et nécessaires dans l’époque actuelle.

Il s’agit d’une exposition itinérante dans plusieurs endroits de la région des Cévennes qui a déjà commencé en avril et qui continuera jusqu’en octobre, selon le programme annoncé. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

C’est une exposition qui traverse le département du Gard dans des lieux qui lui furent chers et importants :  d’abord Villeneuve-lez-Avignon où il a écrit et fait de longs séjours pendant près de 28 ans, au Fort Saint-André, jusqu’à Aigues-Mortes, où la nouvelle Médiathèque porte son nom, et où résonne encore son livre « La Tour de Constance », qui relate la triste vie des femmes emprisonnées là pour le seul fait d’avoir choisi la religion prétendue réformée. Certaines y demeurèrent plus de 30 ans, dans des conditions de vie absolument épouvantables. Mais l’exposition sera aussi présente à Mialet, au musée du Désert, autre lieu de rassemblements huguenots, où il prononça 7 discours mémorables, dont le tout premier en 1935, prémonitoire, intitulé « Résister ». Nous irons aussi au Château d’Espeyran, près de Saint Gilles, où, en tant que Directeur général des Archives de France, il posa la première pierre de ce qui allait être le tout premier dépôt, secret et enterré, des documents les plus anciens de notre histoire, protégés désormais sous forme de microfilms.  Nous terminerons notre périple au musée Cévenol du Vigan, au pied du Mont Aigoual, véritable ancrage et phare et de sa vie et de ses écrits.

Quelles formes prendront ces événements ? Sont annoncées des conférences et des projections de films adaptés des œuvres d’André Chamson. Comment participent-elles à redonner du sens à la mémoire de l’homme qu’il fut, écrivain, hommes de conviction, intellectuel de grande envergure

Micheline Cellier, biographe de Chamson et vice-présidente de l’association André Chamson, au côté de ma mère, Frédérique Hébrard, la présidente, œuvre déjà depuis des années à la redécouverte de Chamson et à la transmission de ses œuvres et de sa pensée.  C’est ensemble et avec Valérie Baheux et son agence mizbuzz que nous avons eu l’idée et avons monté l’exposition actuelle, bien-sûr. 

Nous organisons cette année une série de conférences permettant de mettre l’accent tantôt sur sa vie d’écrivain : son premier livre, remarqué, à 25 ans, « Roux le bandit », et sa rapide entrée dans le monde des intellectuels des années 30… tantôt nous parlerons davantage de ses engagements : ne pas oublier que cette âme profondément pacifiste s’engagea en 39, puis en 44, à un âge où généralement on ne s’engage plus. Qu’il organisa nombre de filières utiles pour les maquis pendant l’Occupation. Créa avec Malraux la Brigade Alsace-Lorraine, et que, ne s’arrêtant pas à la libération de Paris, poursuivit jusqu’à ce que le territoire français tout entier fut libéré, poussant même largement jusqu’en Allemagne. En Alsace, fin novembre 44, il fut l’un des tout premiers soldats français à pénétrer au camp de travail du Struthof. Des pages bouleversantes y sont d’ailleurs consacrées dans son livre « La Reconquête ». Nous abordons également son métier de Conservateur de musée, de Grand Commis de l’État et des honneurs qui y furent accolés, mais aussi son goût pour la poésie, pour la langue provençale, pour la Camargue, pour l’histoire de ses ancêtres Camisards… soulignant la trajectoire de ce jeune Cévenol, qui, sans jamais renier ses racines, a pu acquérir une aura nationale et une dimension internationale. (Plus de 5o livres et essais édités, traduit en plus de 20 langues…)

Pour évoquer la mémoire d’André Chamson, permettez-moi de revenir à quelques traits essentiels de sa personnalité. La première dimension est celle de son profond ancrage dans sa région. C’est au Vigan dans le village de sa grand-mère maternelle qu’il trouvera le point essentiel et la dimension qui lui donneront à jamais le repère nécessaire à sa vie et à ses combats. Quel rôle joue pour lui la montagne et plus précisément le mont Aigoual qu’il comparera plus tard avec d’autres lieux symboliques, « la colonne vertébrale d’une vie » ?

Autant il était malheureux à Alès, où les merveilleuses affaires montées-imaginées par son père allaient de Charybde en Scylla, autant chez sa grand-mère Aldebert, au Vigan, il se sentait « un petit seigneur de la montagne ». Là, un vieil homme, le père Finiels, lui sert à la fois de guide et de grand-père, lui racontant l’épopée des Camisards, celle de la fameuse route qui va du Vigan au Mont Aigoual, et lui ouvre les portes de la montagne.  Dès qu’il le peut, encore enfant ou adolescent, il s’y élance, bravant les dangers, ivre d’espace et de vent, dans une sensualité tellurique profonde avec la nature et les éléments. De l’Aigoual, Chamson dira : C’est mon Horeb, mon Sinaï, ma Montagne Sainte…

Extrait de « Le chiffre de nos jours » :

« Enfant, j’ai trouvé dans cette montagne, dans ce haut massif de l’Aigoual, ce que d’autres enfants demandent aux récits d’aventures, aux histoires guerrières : la présence d’un monde héroïque et fabuleux et cette première justification de la vie qui, pour les hommes ou pour les peuples, ne peut être faite que par la légende. »

Une autre dimension est, toujours en lien avec la pierre où est gravé le mot qui lui servira de pierre angulaire de toute sa vie. Quel est ce mot et pourquoi a-t-il eu une si grande importance pour l’homme qui était et qui allait devenir ?

Le mot REGISTER, qui veut dire Résister, en patois du Haut-Vivarais, est le mot que les prisonnières huguenotes de la Tour de Constance gravèrent sur la pierre de la margelle d’un puits, ou plutôt d’une ouverture sur le vide du dessous, au cœur de leur prison. Il résume à lui seul le courage et la volonté de ces femmes de tous âges et de toutes conditions qui n’avaient qu’une parole à dire, « Je me réunis », pour être libérées. Certaines restèrent pourtant plus de 30 ans, stoïques, dans ce cachot épouvantable. Parole que deux ancêtres Chamson, prisonniers sur les galères Royales, refusèrent également de prononcer. Ce mot RESISTER, il le fit graver sur son épée d’Académicien, tout comme sur la pierre de son tombeau. La liberté des libertés, c’est la liberté de conscience, déclarait-il.  On peut dire qu’une partie de son œuvre, et plus particulièrement celle de la fin de vie, la « Suite Camisarde », est nourrie de cette pensée.

Sa passion pour la littérature date du début de ses années d’études en 1918 à l’Ecole des Chartres où il fonde le groupe des Vorticistes. Son premier roman Roux le bandit (1925) connaîtra un franc succès. S’il fallait décrire l’homme passionné par l’écriture, créateur de La suite cévenole jusqu’au cycle La suite camisarde que fut votre grand-père que diriez-vous ? En parlait-il ou gardait-il le secret de ce travail d’écriture que l’on sait être assez secret chez beaucoup d’écrivains ?

À 16 ans, Chamson lit « Miréio », découvre Mistral et la poésie provençale. Éblouissement total. Le bilinguisme français-provençal lui semble essentiel, pour écrire comme pour penser, et il en fait d’ailleurs mention dans son discours de réception à l’Académie française le 17 mai 1957. (Par contre, curieusement, il ne songe à apprendre le provençal ni à sa fille ni à ses petits-enfants.) Jusqu’à la guerre et son engagement en 39, Chamson écrit, est édité, et est un auteur plus que prometteur. Le silence qu’il s’impose de 40 à fin 44, écrivant mais refusant d’être édité, « on ne me permettrait que le mensonge », fait qu’il est alors presque oublié. Sartre a même annoncé sa mort. Mais la parution en 45 de « Le Puits des Miracles » est un succès immédiat, le livre est traduit en plus de 12 langues, Chamson est de nouveau un auteur reconnu.

Côté famille, il lui arrivait de nous lire des extraits de ce qu’il venait d’écrire, parfois des lignes ramassées sur un minuscule bout de papier, avec cette écriture petite, nette et affirmée qui était la sienne, mais il gardait comme une sorte de silence secret sur ses ouvrages et ses projets.

Aux côtés de son épouse, Lucie Mazauric, André Chamson aura une contribution essentielle à la sauvegarde du patrimoine artistique pendant la période de la Seconde guerre. Quel rôle a-t-il joué dans ces circonstances difficiles, jusqu’à devenir plus tard, en 1959, sur proposition de Malraux, Directeur général des Archives de France ?

Démobilisé, triste, et dévasté par cette division de la France en deux, il rejoint son épouse Lucie Mazauric qui a déjà commencé le périple de sauvetage des trésors du Louvre, organisé par Jacques Jaujard, alors directeur des musées nationaux.  Elle le raconte joliment dans son « Ma vie de château » (ensuite réédité sous le nom de « Le Louvre en voyage »), et ma mère, Frédérique Hébrard, fera aussi le récit de ces moments à la fois difficiles et fabuleux dans son livre « La chambre de Goethe ». Difficiles, car la peur, le danger et parfois la faim… fabuleux, car elle a quand même dormi avec La Joconde .. !  

Paris, Versailles, Loc Dieu, La Treyne, Montauban… les tableaux les plus fabuleux, comme les antiquités Egyptiennes leur sont confiés, s’éloignant toujours plus au sud pour échapper aux convoitises nazies.  Actif auprès des œuvres et soucieux de leur préservation, Chamson est en contact avec plusieurs maquis et organise des filières, « vous direz : je viens de la part de Monsieur des Bressous » ; sa vie est menacée, on le suit, on l’épie… mais rien ne le fera dévier de sa mission. Cinq ans après le début du voyage, les tableaux regagnent Paris et « de clou à clou, aucune pièce n’a manqué »,  dira Lucie Mazauric. 

On confie alors à Chamson le musée du Petit Palais où il organisera la première exposition des trésors de la peinture de retour de leur long voyage (le Louvre n’était pas en état de les recevoir). Suivront d’autres exposition, internationales, toujours plus étonnantes et spectaculaires.   Pour les Archives, Malraux propose Chamson. « Oui, Chamson, c’est bien, mais il nous faudrait un chartiste, dit le Général de Gaulle » … « Mais il est chartiste, répond Malraux » … « Alors… », et c’est ainsi qu’il démarre une seconde vie, de 1959 à 1970, ouvrant 20 dépôts régionaux et trois centres de microfilms particulièrement importants.

Permettez-moi d’insister sur une autre dimension de sa personnalité, celle de ‘l’intellectuel engagé. Dès 1932, André Chamson a compris le péril des événements qui s’annoncent avec la montée du fascisme et du nazisme, des réalités déjà annoncées à travers la guerre d’Espagne. Comment a-t-il réagi à ces dangers qui l’ont fait quitter ses réserves pacifistes et s’engages contre l’extrême droite ? Et son engagement de combattant comme capitaine en réserve pendant la Seconde guerre, mais surtout dans la formation de la division Alsace-Lorraine?    

Dès 1932-33, Chamson sent la montée des périls et du fascisme dans toute l’Europe. En France, au cabinet Daladier, il vit de l’intérieur les évènements tragiques du 6 février 34 et l’attaque contre l’Assemblée nationale :20 morts et des centaines de blessés. Bouleversé, il décide de contrer la presse d’extrême droite en créant « Vendredi », premier hebdomadaire proche des valeurs du Front Populaire, créé, pensé et dirigé par des intellectuels. Il multiplie alors engagements, discours et manifestations, en France comme à l’étranger.  Quand la guerre est déclarée, il est capitaine de réserve et demande à s’engager. « Je suis de la France autant qu’on peut l’être. J’appartiens à cette terre par les cimetières et les sillons ». Devant les dangers qui menacent le pays, le pacifiste s’éloigne. Et le combattant s’affirme. C’est ainsi qu’en 44 il montera la Brigade Alsace-Lorraine avec son ami André Malraux, rejoignant le général De Lattre De Tassigny avec qui il avait combattu en 39. Il sera un des rares officiers à poursuivre jusqu’en Allemagne, ne s’arrêtant pas à la libération de Paris en août 44, ni à la libération des terres françaises de l’Est.  Douleur certainement, mais défense du sol et de la liberté, des profondes valeurs humanistes auxquelles il croit, et de sa devise première : « Résister ».

Extrait du discours au Désert de 1935 :

« Et résister c’est sans doute combattre, mais c’est aussi faire plus : c’est se refuser d’avance à accepter la loi de la défaite. Voilà l’exemple que nos Cévennes donnent à l’homme. Elles lui disent, par toute leur structure, par toute leur histoire, par toute leur humanité, que résister, c’est d’abord ne pas s’arrêter à la persécution, ni à la calomnie, ni à l’injure, puis, s’il le faut, que c’est combattre, et puis, vainqueur ou vaincu, que c’est résister quand même, c’est à dire rester semblable à ce que l’on est jusque dans la défaite et jusque dans les fers. »

Enfin, une dernière question plus personnelle. Qui est André Chamson pour vous ? Que vous a-t-il transmis ? S’il fallait choisir un seul souvenir de votre grand-père lequel choisiriez-vous ?

Comme beaucoup d’enfants, surtout les enfants d’artistes, j’ai très tôt été confiée à mes grands-parents Chamson. Lucie, bien que sérieuse chartiste, m’a aussi fait aimer les romans et les films policiers (qu’elle adorait), les chansons en provençal, le soleil et le travail.

André, que j’appelais Daddy, m’a appris à skier, et à monter à cheval, en Camargue. Je lui dois sans doute d’avoir presqu’autant aimé ce pays sauvage de cavales blanches et de noirs taureaux que les austères montagnes cévenoles, aux lourds nuages, aux orages d’apocalypse et aux étés lumineux. Je pense à lui dans les moments de solitude montagnarde où j’écris. Et je regrette qu’il n’ait pas pu lire le premier de mes livres, voire les autres…  J’aurais aimé avoir son avis. Sur eux, comme sur notre époque. Et c’est là qu’on se dit qu’il faut profiter, autant qu’on le peut, de nos aînés. Et de leur exemple.

Surtout quand il s’agit d’André Chamson. 

Le fond des archives Chamson a été donné à la ville de Nîmes, où la bibliothèque de Carré d’Art procède actuellement à son inventaire, avant proposition de consultation aux chercheurs et au public.

Pour plus de détails, vous pouvez consulter le site dédié à André Chamson : https://andrechamson.fr/

Propos recueillis par Dan Burcea

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