Grand Entretien. Bernard Grasset : « Science et littérature, vérité et beauté, tels ont été les axes autour desquels s’est bâtie cette biographie de Blaise Pascal »

 

 

Placé sous le signe de la commémoration des 400 ans de la naissance de Blaise Pascal, l’année 2023 connait déjà une affluence de documents, de livres et de biographies consacrés au grand philosophe et scientifique. Parmi eux, celui de Bernard Grasset, Sur les pas de Blaise Pascal, Voyageur de l’infini portant le sous-titre Essai de biographie paru aux Éditions Kimé.

Dans la Préface dédiée à votre essai biographique sur Blaise Pascal, Gérard Ferreyrolles, professeur émérite à la Sorbonne, écrit ceci : « Pascal n’a pas manqué sa vie, mais on peut manquer une vie de Pascal ». Il justifie cette contradiction par l’existence et les limites imposées par deux écueils : la tentation romanesque et l’exhaustivité de la connaissance de la vie du philosophe. Partant de cet avertissement, pourriez-vous nous dire comment avez-vous pu surmonter ces difficultés dans l’élaboration de votre livre ?

Ce que le professeur Gérard Ferreyrolles, grand connaisseur de Pascal, veut dire par « la tentation du romanesque », c’est celle de vouloir inventer un Pascal répondant à ce que l’on voudrait qu’il fût ou à ce que l’on pense que les lecteurs aimeraient qu’il fût. C’est le règne de l’imagination, avec, parfois, des vues qui peuvent ne pas être désintéressées (« le génie se vend bien » note le préfacier). On invente ainsi par exemple des relations totalement fictives entre Pascal et Charlotte de Roannez. Le biographe doit absolument évacuer ce « romanesque » pour s’en tenir aux connaissances les plus sûres, telles que les meilleurs spécialistes de son temps ont pu les élaborer. C’est la nécessaire part de la science dans une biographie qui se veut fondée sur la vérité, non sur l’opinion.

L’autre écueil que pointe Gérard Ferreyrolles : faire un catalogue, que l’on croit exhaustif, « année après année », « mois après mois », de la vie de Pascal, une vie qui, présentée de manière sèche, ennuyeuse, devient « une vie sans vie ». Afin d’éviter ce second écueil, il faut s’efforcer, au lieu de rester à la surface de la vie de Pascal, d’entrer dans son monde intérieur, de voir les événements comme il a pu les voir et quitter le style didactique, professoral, pour un style adapté à la peinture des mouvements secrets du cœur. C’est la part de la narration littéraire, l’importance accordée à la forme autant qu’au fond, la recherche d’une forme de beauté. Travail sur la chronologie, le temps − travail sur les mots, le style. Établir un déroulement exact des événements, peindre une époque et trouver un style.

Science et littérature, vérité et beauté, tels ont été les axes autour desquels s’est bâtie cette biographie de Blaise Pascal. Le plus loin possible du romanesque et de la froideur.

Vous êtes l’auteur de plusieurs ouvrages sur Blaise Pascal dont le plus connu est « Les Pensées de Pascal, une interprétation de l’Écriture » qui est d’ailleurs, si je ne me trompe pas, votre thèse de doctorat. Pourtant vous commencez votre Avant-Propos à l’essai biographique que vous publiez par avouer que, je vous cite, « ce livre est né de manière imprévue ». Quelle est la genèse de Sur les pas de Blaise Pascal, Voyageur de l’infini et quelles ont été les étapes de son élaboration qui se veut « une invitation pour le lecteur à cheminer librement sur les pas de Pascal » ?

Oui, en un sens, tout a commencé avec une thèse d’histoire de la philosophie consacrée aux Pensées de Pascal comme lecture interprétative de l’Écriture. Puis il y eut de nombreux articles, des essais (Pascal et Rouault, Nietzsche et Pascal), des Pascal en citations. « Comment est né Sur les pas de Blaise Pascal ? », me demandez-vous.

À cette question, il y a trois niveaux de réponse. L’origine la plus lointaine de cette biographie remonte à la préparation de ma thèse à l’Université de Poitiers, il y a plus de deux décennies. J’avais été frappé par le lien intime existant entre la vie et les œuvres de Pascal, ce qui me semblait une marque distinctive de ce dernier et suscitait en moi de profondes résonances. L’origine moins lointaine est liée à la parution des deux livres consacrés aux citations de Pascal, pour lesquels je m’étais de nouveau plongé dans l’ensemble de son œuvre et avais dû écrire une petite biographie. L’on m’avait dit alors que cette biographie, aussi courte soit-elle, comblait un manque car on ne trouvait pas de réelle biographie, accessible, de Pascal. Dernière origine, la plus immédiate : à l’occasion d’une visite du quartier du Marais avec un guide-conférencier, j’ai découvert sur une table de la librairie de l’Hôtel de Sully, près de la place des Vosges, de petits livres de la collection Le Paris des Écrivains. J’ai eu alors l’idée d’écrire un Paris de Blaise Pascal. Le projet n’aboutit pas mais j’avais commencé à accumuler des matériaux. C’est alors qu’est intervenu le professeur Gérard Ferreyrolles qui m’a suggéré d’« écrire une biographe complète » de Pascal, ce qui permettrait de combler une lacune dans la bibliographie de l’auteur des Pensées : il pouvait exister des biographies et des présentations de l’œuvre, mais n’existait aucun livre présentant en même temps, à la fois, la vie et l’ensemble des écrits de Pascal. Ainsi me suis-je lancé dans cette aventure qui non seulement pouvait permettre de combler une lacune bibliographique mais s’accordait au fait qu’existait chez Pascal un lien essentiel entre sa vie et ses écrits, de quelque nature qu’ils soient.

Telle est la genèse de Sur les pas de Blaise Pascal. Quant aux étapes de son élaboration, elles ont coïncidé avec mes séjours dans tous les différents lieux liés, de près ou de loin, à l’existence de Pascal, de Clermont-Ferrand à Paris, de Paris à Rouen, ainsi qu’à mes recherches livresques sur la chronologie, l’histoire. Il m’a fallu travailler, non seulement en philosophe, mais aussi, et surtout peut-être, en historien et en écrivain.

Encore plus peut-être qu’hier, la biographie de Pascal demande aujourd’hui, après tant d’années d’études rassemblées dans des sources universitaires, de la part du biographe à la fois une réelle mise à jour chronologique et une connaissance approfondie de l’œuvre pascalienne. Pour l’illustrer, je me suis moi-même efforcé d’extraire des affirmations capables d’illustrer et d’en tirer le plus grand profit de votre travail. Permettez-moi de commencer avec celle liée à l’environnement familial du philosophe. Que doit-il à sa famille, surtout à son père qui fut son éducateur et que dire de la soif de « savoir la raison de toutes choses » qui l’anime, selon les paroles de sa sœur Gilberte ?

On ne peut trop souligner l’importance de sa famille dans le cheminement intellectuel et spirituel de Pascal. Étienne, son père, a joué un rôle primordial dans le parcours scientifique de l’inventeur de la machine arithmétique. Il était non seulement ce que l’on appellerait aujourd’hui un notable mais aussi un homme de vaste culture, passionné par les sciences – (il découvre, avec Roberval, la courbe appelée limaçon) − tout en manifestant un réel intérêt pour la composition musicale – (le P. Mersenne lui dédicacera son Traité des orgues). Blaise n’est jamais allé à l’école mais dans la personne de son père, il a pu bénéficier d’un remarquable pédagogue qui lui a apporté une formation à la fois très complète, depuis les langues anciennes jusqu’aux mathématiques, et de haut niveau. Sa sœur cadette, Jacqueline, personnalité vive, fervente, jouera de son côté un rôle décisif dans le cheminement spirituel de Blaise.

N’oublions pas Gilberte, la sœur aînée, qui, plus discrète, n’en est pas moins une personnalité attachante, à la culture solide, au sens familial aigu, et qui nous laissera une vie de son frère constituant l’une de nos principales sources de connaissance biographique. Quand elle dit de Blaise qu’il voulait connaître la raison de tout, elle exprime là l’une des principales caractéristiques de sa personnalité. Cette soif de comprendre qui l’animera dès son plus jeune âge sera à l’origine de son aventure scientifique, philosophique, mystique.

« Qui marche sur les pas de Pascal ne peut manquer d’être frappé par la multiplicité et la richesse des aspects de sa personnalité », écrivez-vous (p. 208). À la lumière de cette affirmation, quels ont été les points centraux qui vous ont semblé nécessaires à traiter dans votre ouvrage ? Autrement dit, quels ont été les axes principaux de vos recherches ?

Sans prétendre répondre complètement à votre vaste question − il me faudrait pour cela revenir sur l’ensemble du parcours présenté dans Sur les pas de Blaise Pascal, Voyageur de l’infini −, je me contenterai de donner quelques aperçus. L’idée a toujours été de présenter au lecteur l’ensemble de la vie de Pascal, selon ce que nous en connaissons à partir des sources les plus fiables (sans ignorer que des pans entiers de cette vie nous échappent), et l’ensemble de ses œuvres qui ont pu franchir les siècles, quelle qu’en soit la nature (ce qui implique de donner une place à des écrits aussi différents que les traités scientifiques et les opuscules spirituels). Aussi dans cette biographie apparaissent une multiplicité de visages de Pascal : homme de science bien sûr, philosophe ou penseur, moraliste, polémiste, théologien, spirituel, poète, pédagogue, inventeur, épistolier… Mais ces visages ne sont pas éclatés. Il y a une ligne directrice : la recherche de la vérité, une vérité qui prendra peu à peu les contours de l’amour. Dégager cette ligne directrice aura été l’axe principal de ma recherche.

Une autre citation, celle-ci tirée de la page 27 de votre livre, nous conduit sur une autre piste de sa personnalité précoce : « Il fallait que l’élève domine ce qui lui était enseigné ». Il s’agit de l’apprentissage du latin prodigué par Étienne Pascal à son fils Blaise, âgé de seulement douze ans. Que dit cette phrase d’abord de l’appétence pour la science du jeune prodige, mais aussi pour la nécessité de l’apprentissage des langues ? Est-ce le signe évident du modèle d’homme universel cultivé à l’époque ?

« Les gens universels ne sont appelés ni poètes, ni géomètres, etc. Mais ils sont tout cela, et jugent de tous ceux-là » écrit Pascal dans ses Pensées (fragment 486, Sellier). L’honnête homme, qui représentait pour le XVIIe siècle un idéal, était non seulement un modèle de sociabilité mais aussi d’esprit universel, possédant suffisamment de culture dans tous les domaines pour pouvoir tenir une aimable discussion avec de multiples relations.

Revenons maintenant à Pascal, à son apprentissage des langues, à sa formation. Son père lui délivre son enseignement de manière méthodique, étape par étape. Il faut que l’élève maîtrise totalement la matière enseignée, ce qui implique de différer certains apprentissages en fonction de l’âge. Pour le latin, langue internationale à l’époque, attendre que Blaise ait douze ans semblait à Étienne pédagogiquement plus approprié, compte tenu de ses capacités et des autres enseignements reçus. Blaise aurait voulu tout connaître et tout de suite. Étienne impose la nécessité de patienter. Ajoutons, pour finir, que l’une des marques distinctives de son enseignement et qui garde aujourd’hui encore toute son actualité était qu’il s’attachait à donner du sens aux multiples savoirs qu’il transmettait. L’élève doit savoir pourquoi il apprend telle ou telle chose à tel ou tel moment.

L’affaire concernant l’expérience sur le vide, par exemple, malgré sa courte durée, a montré « un visage de Pascal, combattant redoutable, persévérant, inflexible ». Sa renommée scientifique, nous le savons, est unanime et arrive très tôt. Et pourtant, la connaissance théologique l’aidera à comprendre que « le mystère ne peut être réduit au raisonnement ». Que pouvez-vous nous dire de cette double conviction présente chez Pascal ?

Votre question amène, me semble-t-il, à se pencher sur la conception pascalienne de la raison. Mais avant cela, il faut rappeler la ligne directrice que j’évoquais plus tôt, à savoir toute une vie sous le signe de la recherche de la vérité. Cette vérité, Pascal la trouve d’abord à travers l’activité scientifique. Même s’il renoncera plus tard à la science, il n’en continuera pas moins de penser que la science a raison pour ce qui est de l’étude de la nature. Dans Les Provinciales, il nous dit en substance que l’on aura beau nier que la terre tourne autour du soleil, cela ne l’empêchera pas de tourner et nous avec elle si l’observation l’atteste. La raison est reine dans le domaine de la science. En revanche, dans la théologie, si elle a toute sa place, elle n’en doit pas moins reconnaître qu’il y a quelque chose qui la dépasse, appelons cela « mystère ». Telle est l’origine du combat de Pascal à Rouen contre le sieur de Saint-Ange qui prétendait tout démontrer par la raison. En même temps, Pascal s’opposera à M. de Rebours, confesseur à Port-Royal, qui laissait trop peu de place à la raison dans la défense de la foi.

« Deux excès. / Exclure la raison, n’admettre que la raison », écrira-t-il dans ses Pensées (214 S).

Plus loin, vous écrivez (p. 97) : « Blaise n’est pas insensible à ses louanges et à la gloire, il était fier de son invention comme de ses expériences sur le vide, tout en s’attachant à ne rien revendiquer au-delà de ce qui lui était dû ». C’est sur cette seconde partie de la phrase que je souhaiterais vous interroger. Quel caractère avait Blaise Pascal et quel rapport a-t-il entretenu avec ses contemporains ? Quel homme était-il au fond ? Que disent ses contemporains et ses œuvres ?

Du caractère de Pascal, on peut dégager des trais distinctifs mais il ne faut pas oublier que ces traits ont pu évoluer au fil des conversions. Prenons l’orgueil. Il est de fait que les succès scientifiques du jeune Blaise, sa gloire d’inventeur, ont eu comme contrepoint chez lui une volonté de dominer par la raison et une forme d’orgueil. Mais il est aussi de fait qu’en se détachant de la science après le Mémorial, cette inclination à l’orgueil, malgré une brève résurgence au temps du concours de la roulette, s’est effacée pour laisser place à un tempérament humble. Donc il y a eu passage de l’orgueil à l’humilité. Ajoutons que même lorsque Pascal a été tenté par la gloire scientifique, il ne s’en est pas pour autant départi d’un réel esprit d’honnêteté.

Pour ses contemporains, Pascal était avant tout un homme de science. Les Provinciales avaient été publiées sous un pseudonyme qui ne sera révélé que des années plus tard. Quand, en 1639, Mme d’Aiguillon présente Blaise au cardinal de Richelieu, son oncle, elle souligne qu’il « est fort savant en mathématiques ».

Quant à savoir quel homme il était au fond, je dirai qu’il était à la fois un homme de raison et de cœur, ce qui nous le rend plus attachant que les seuls êtres de savoir et de raisonnement, un homme qui a été toute sa vie passionnée par la vérité, un homme de charité.

Mais ses rapports au monde ne sont sans doute pas si facilement définissables. « S’il doit encore séjourner dans le monde – écrivez-vous, après la retraite de Port-Royal en 1655 –, ce ne pourra être que de manière détachée ». Que signifie ce syntagme dont Gilberte, sa sœur et biographe, écrit qu’elle consiste à « renoncer à tout plaisir » et « renoncer à toute superfluité » ?

Sans doute l’itinéraire pascalien aura-t-il été un itinéraire marqué par un détachement de plus en plus grand envers la science d’une part, envers le monde d’autre part. La sagesse passe souvent, tant sur le plan théorique que sur le plan pratique, par des maximes, des règles de vie. Le renoncement à « tout plaisir » appartient au visage ascétique de Pascal, nourri par la théologie et la spiritualité port-royalistes, mais dont on ne peut comprendre le sens profond qu’en le reliant au visage mystique du témoin du Mémorial. Le renoncement à « toute superfluité » s’inscrit dans la volonté de Pascal, constante depuis sa conversion, de ne s’en tenir qu’à l’essentiel. Et les Pensées ne sont-elles pas une invitation à quitter ces divertissements qui nous laissent vides pour nous souvenir de notre condition temporelle, mortelle, et à parier, non pas sur de vains amusements, mais sur cela seul qui demeure par-delà le temps.

Plus tard, malade, « Pascal aspire avec ardeur, à conformer sa volonté humaine à la volonté divine » (p. 207). Peut-on dire de celui qui écrivait : « Tout ce qui n’est pas Dieu ne peut remplir mon attente » qu’il était un mystique ?

Oui, on peut le dire, oui, il faut l’affirmer. Ce qu’a vécu Pascal la nuit du 23 novembre 1654, ce dont le Mémorial nous garde la brûlante trace, relève de l’expérience mystique. Cette expérience, à la différence des expériences scientifiques qu’il mettait en œuvre, n’a pas été programmée, planifiée ; elle est survenue, de manière inattendue, soudaine, inexplicable, et a bouleversé la vie de celui qui préférera désormais la lumière de l’amour aux éclats de la science.

Pascal a senti, et telle est la clé de sa vie et de son œuvre, que rien, hormis Dieu, ne pourra jamais combler l’attente de son cœur. Son mysticisme ne l’empêchera pas de continuer à vivre parmi les hommes, au sein de la société de son temps, mais il y vivra comme un étranger qui se souvient que son vrai pays est toujours ailleurs.

On sait que Pascal n’a rien publié sa vie durant, à part quelques ouvrages scientifiques. Que contient son œuvre, telle que nous la connaissons aujourd’hui et que dit-elle de son auteur ?

Son œuvre est à l’image de la multiplicité des visages que j’évoquais. On y trouve de la science, de la théologie, de la spiritualité, de la mystique, de la littérature, de la pensée, de la philosophie, de l’éthique, de la poésie… Le plus souvent on ne retient de cette œuvre que les Pensées, dont on délaisse aisément des parties jugées trop éloignées de notre culture, et Les Provinciales, dont on retient volontiers plus la forme que le fond.

Le 4e centenaire de la naissance de Pascal doit être l’occasion de nous replonger dans l’ensemble de son œuvre, sans exclusive, d’en redécouvrir des aspects cachés ou oubliés. Cette œuvre dit de son auteur qu’il fut un chercheur d’amour et de vérité, un témoin et que marcher sur ses pas peut nous conduire sur les chemins d’une vie plus authentique, éloignée des tricheries, plus exigeante sans doute mais plus accordée à ce qui seul doit retenir l’attention de l’homme au cours de son existence éphémère. Blaise Pascal est l’un de ces précieux auteurs qui nous apprennent, en peignant le fini, à tourner notre regard vers l’infini.

Enseignée à l’école, sujet de baccalauréat ou académique, l’œuvre de Pascal reste un monument dans le patrimoine philosophique et culturel universel. Permettez-moi de reproduire à la fin de notre discussion cette question que vous posez vous-même et à laquelle je vous inviterais à répondre : « Que reste-t-il de Pascal ?»

Que nous reste-t-il de Blaise Pascal ? Pour commencer à vous répondre, je dirais que, selon ses proches, il n’avait d’autre but que de demeurer caché de son vivant et oublié après sa mort. Pascal qui, rappelons-le, n’a rien publié sous son nom, hormis des écrits scientifiques et a consacré ses dernières forces à l’écriture de ses Pensées qui ne sont pas un traité philosophique, ni même une œuvre littéraire, aussi remarquablement écrites soient-elles, mais une apologie du christianisme, n’a jamais aspiré, aussi peu que ce soit, à la gloire littéraire. S’il a été à un moment de sa vie attiré par la gloire scientifique, jamais il n’a voulu conquérir la gloire comme écrivain.

La destinée de Pascal a été autre que celle à laquelle il pensait. Il voulait être caché, on enseigne son œuvre, ses écrits deviennent sujets, il lui arrive d’être au programme des concours. On trouve sa statue sous la tour Saint-Jacques à Paris, il est très présent à Clermont-Ferrand dans la ville qui l’a vu naître… Dans Sur les pas de Blaise Pascal, Voyageur de l’infini, j’énumère toutes les traces visibles qui, au demeurant, sont, à la différence de la ville où il est né, assez peu nombreuses à Paris et presque inexistantes à Rouen, lieu de ses premières expériences sur le vide et de sa première conversion. Mais au-delà de ces traces, il nous reste de Pascal le témoignage d’une vie, ardente, fervente, bouleversante, qui oriente notre regard vers la vérité, invite à centrer notre action sur l’amour, une vie qui nous tourne vers un sens possible, vers une lumière, cachée mais féconde. Une vie marquée d’abord par la découverte à douze ans, seul, de la 32e proposition d’Euclide et qui se conclut par une attention de plus en plus grande accordée aux pauvres (comme en porte la marque le testament du 3 août 1662).

Une vie et une œuvre, une œuvre et une vie, indissolublement, qui mènent de la science à l’amour, qui finissent par identifier vérité et amour.

La peinture de la condition humaine que nous présente Pascal demeure comme l’une des plus belles et des plus justes, des plus profondes aussi, à avoir été faite au long des siècles.

Propos recueillis par Dan Burcea

Bernard Grasset, Sur les pas de Blaise Pascal, Voyageur de l’infiniEssai de biographie, Éditions Kimé, 2023, 270 pages.

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