La Voie sombrée de Radu Portocala – espace-temps « d’un jamais à l’autre »

 

La Voie sombrée de Radu Portocala est un espace-temps qui s’étend « d’un jamais à l’autre », condamnant le poète à descendre « dans l’empierrement d’ombres » à la recherche de la moindre trace de lumière devenue quant à elle « une carcasse desséchée ».

La souffle devient brusquement hésitant, à la mesure de la descente dans les entrailles retournées d’une terre engloutie qui interdit la lumière et se transforme en tombe. Les illustrations proposées par l’auteur confirment cette hypothèse et donnent à voir des espaces bétonnés, gris-noirs, véritables géométries carcérales, sans autre issue qu’un cadre vide qui accentue l’obscurité des lieux.

Il faut dès lors s’attendre à ne retrouver de la vie que son ralentissement et son halètement portés par « un cœur de froid éteint », une cryogénie omniprésente dans les couloirs sans issues de ces murailles « de hautes pierres » de cette « sombre forteresse travestie ».

Seule trace de cette vie condamnée à une fatale paralysie, « la respiration cachée » d’un habitant imaginaire, ressemblant à un prisonnier, rivalise avec l’immobilité du vent dont la sinuosité de l’espace interdit toute forme de mouvement. La lumière devient « lumière-cicatrice », instrument noircissant ce paysage vide devant lequel le regard se déclare vaincu, incapable de pénétrer les couloirs de cette caverne où les ombres deviennent des « tressauts accrochés » et des « corps ouverts ».

Le voyage poétique que Radu Portocala nous propose dans ce recueil tient plutôt à « une chute béante » dans un espace « sans dehors ».

Rien d’étonnant pour un intellectuel roumain exilé en France, échappé au régime communiste et « né entre deux condamnations, celle de mon grand-père et celle de mon père », comme il m’écrivait récemment.

Il rajoutait à cette même occasion : « Avant 1957, nous avons vécu dans un sous-sol, entourés de victimes et de veuves qui ne savaient pas qu’elle étaient déjà devenues veuves »

Cette phrase en dit peut-être assez du sens des poésies tranchantes comme des lames de souvenirs ineffaçables et transformées en vers d’une sobriété pénétrante.

Dan Burcea©

Radu Portocala, Voie sombrée, Éditions Dédale, 2020. Avec les illustrations de l’auteur.

 

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