Portrait en Lettres Capitales : Dima Abdallah

 

Qui êtes-vous, où êtes-vous née, où habitez-vous ?

Je suis l’auteure de deux romans : « Mauvaises herbes », paru en 2020 et « Bleu nuit », paru en 2022, tous les deux chez Sabine Wespieser éditeur. Je suis née à Beyrouth en 1977 et j’y ai grandi jusqu’en 1989 avant de quitter le Liban pour la France. Depuis, j’habite à Paris.

Vivez-vous du métier d’écrivain ou, sinon, quel métier exercez-vous ?

J’ai fait des études d’histoire de l’art et d’archéologie et je me suis spécialisée dans l’Antiquité tardive. Mes recherches ont porté sur le partage des lieux saint bibliques en Terre Sainte entre chrétiens et musulmans. J’ai également été traductrice. Depuis « Mauvaises herbes », j’essaye de vivre modestement de mon écriture.

Comment est née votre passion pour la littérature et surtout pour l’écriture ?

Ma passion pour la littérature et l’écriture remonte à très loin. J’ai grandi dans une famille de littéraires et ça a sûrement pesé un peu. J’ai toujours aimé lire et écrire, depuis toute petite. Je gribouillais en permanence des petits bouts de textes, des poèmes, ce qui me passait par la tête. Ce besoin de mettre des mots noir sur blanc est très ancien, mais ce qui m’habite depuis « Mauvaises herbes » est très nouveau, très différent. L’écriture a pris une place immense dans ma vie et dans mon esprit depuis quatre ans. C’est devenu une évidence, une urgence, un impératif.

Quel est l’auteur/le livre qui vous ont marqué le plus dans la vie ?

Beaucoup trop de livres ont été des rencontres majeures pour vous n’en citer qu’un seul. Un livre, un bon livre, est une rencontre et les rencontres nous changent, nous nourrissent, nous interrogent. J’ai toujours beaucoup de mal à répondre à cette question parce qu’en réalité chaque rencontre est unique et singulière. Beaucoup d’auteurs ont été des découvertes plus que précieuses. Si je devais vraiment citer un seul auteur, je vous dirais Camus car il a été ma rencontre avec la vraie littérature, une sorte de premier amour. Je devais avoir quatorze ou quinze ans quand j’ai lu « l’Etranger » et c’est un livre qui m’a profondément bouleversée. Depuis, je garde une affection et une admiration toute particulière pour Camus, non seulement car c’est mon « premier amour », mais aussi parce que son œuvre traite de thèmes qui m’habitent et qu’il est d’une sincérité admirable.

Quel genre littéraire pratiquez-vous (roman, poésie, essai) ? Passez-vous facilement d’un genre littéraire à un autre ?

J’ai déjà écrit des poèmes, des nouvelles, mais jamais rien de sérieux. Ce qui a commencé à m’habiter depuis « Mauvaises herbes », les voix de mes personnages qui se réveillaient en moi, est quelque chose de très différent. Avant même de me mettre à l’écriture de mon premier livre, je savais déjà que ça allait être un roman, et pour le deuxième c’était la même évidence. L’aventure de l’écriture d’un roman est quelque chose de très fort. C’est presque un voyage initiatique. J’aime le fait que ce soit une aventure, un sentier sinueux, mystérieux et inconnu que j’emprunte. C’est beaucoup de travail mais aussi quelque chose de presque magique. Un roman est un petit miracle. Pour l’anecdote et pour vous faire sourire, les deux fois au moment de rendre mon manuscrit à mon éditrice, pour mes deux romans, je lui ai dit « Je ne sais pas vraiment qui a écrit ça »

Comment écrivez-vous – d’un trait, avec des reprises, à la première personne, à la troisième ?

Pour l’instant, j’écris à la première personne. J’écris d’une manière très fluide le premier jet et je mets de côté mon texte pendant un ou deux mois avant de m’attaquer à la « deuxième écriture ». Je n’aime pas me corriger trop tôt car il y a dans ce premier jet une sincérité et une vérité que je ne veux pas perdre. Il est toujours temps après pour les ratures. En tout cas mon écriture ne se passe pas uniquement pendant les deux ou trois heures pendant lesquelles je travaille. J’écris en permanence dans ma tête.

D’où puisez-vous les sujets de vos livres, et combien de temps est nécessaire pour qu’il prenne vie comme œuvre de fiction ?

C’est une grande question, celle de savoir comment les sujets et les personnages naissent dans un roman. Je ne pense pas tellement en termes de sujet, en termes de « formule ». Mon personnage de « Bleu nuit » s’est imposé à moi, sa voix est née, sans que j’aie le moindre projet d’écriture en tête. J’ai laissé ce personnage et sa voix m’habiter pendant un an avant de me mettre à écrire. Je ne pourrais pas vous dire le pourquoi des sujets et des personnages, mais je crois qu’ils sont le fruit de nos obsessions, de nos questionnements, de notre rapport au monde. Sans que j’y ai pensé, dans mes deux romans on retrouve des thèmes communs. Je crois que c’est normal et commun. Chaque auteur a un univers, une sensibilité, des obsessions, communes dans son œuvre. Quelle que soit la fiction, l’auteur met toujours une grande part de lui-même dans ses personnages. Mais je voudrais aussi dire qu’au-delà de la question des sujets et des personnages, un écrivain c’est avant tout une langue, une voix. Je ne pense pas mes personnages, j’entends leurs voix, la forme est là avant même de me mettre à écrire.

Choisissez-vous d’abord le titre de l’ouvrage avant le développement narratif ? Quel rôle joue pour vous le titre de votre œuvre ?

Le titre du livre est venu comme une évidence les deux fois, pour mes deux romans, un peu avant la fin de l’écriture. Je suppose que ce n’est pas toujours évident de trouver un titre mais je trouve que mes deux romans portent finalement assez bien leurs titres.

Quel rapport entretenez-vous avec vos personnages et comment les inventez-vous ?

Le rapport de l’écrivain à ses personnages est un vaste sujet et de grands auteurs en ont déjà beaucoup parlé bien mieux que moi. Je dirai que ce qui m’émeut le plus c’est à quel point l’auteur peut être surpris par ses personnages. Pour cela, l’écriture est une aventure. Il y a aussi ce moment où je dois les quitter. Pendant l’écriture, je suis dans ce tête à tête extrêmement intime et solitaire avec eux. Le lecteur n’existe pas encore. Plus rien n’existe autour de moi pendant que j’écris. Puis vient le moment de clore ce chapitre intime. C’est un moment douloureux dont j’ai du mal à me remettre et ça peut durer deux ou trois mois, une espèce de vide intérieur et une angoisse. Mais après cela, c’est la vraie vie du livre qui commence en réalité. C’est le voyage. La rencontre de mon roman avec ses lecteurs qui vont l’adopter. Il n’est plus mien. C’est une joie, beaucoup émotion et un grand plaisir.

Parlez-nous de votre dernier ouvrage et de vos projets.

« Bleu nuit » est sorti en Janvier et je suis très heureuse de savoir que les lecteurs qui avaient aimé « Mauvaises herbes » n’ont pas été déçus par « Bleu nuit », bien au contraire. Je n’y ai pas du tout pensé pendant l’écriture, mais une fois le roman achevé j’ai eu cette peur de décevoir car mon premier roman avait connu une réception exceptionnelle. Je ne vais surtout pas vous faire un résumé de « Bleu nuit », mais je vous dirais juste que c’est un roman sombre mais pas que. Je suis ravie de savoir que les lecteurs ont très bien perçu la part de lumière et de poésie. Je crois que le plus beau compliment qu’on m’ait fait est de me dire « Bleu nuit est très différent de Mauvaises herbes mais dès les premières lignes on sait que c’est toi ». Un écrivain, c’est avant tout une langue, une voix.

(Photo de Dima Abdallah : ©David Poirier)

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