Interview. La pianiste Mara Dobresco : « Le plus important, c’est d’oublier les peurs diverses et variées et oser être soi-même »

 

 

J’avais interviewé la pianiste franco-roumaine Mara Dobresco en octobre 2019, soulignant à cette époque son talent et son extraordinaire énergie mise au service de la musique. Trois années se sont écoulées depuis – et quelles années !! –, et, si l’on regarde attentivement son activité, elle continue de rayonner et de faire la joie de son public.

Quel est le secret de cette vitalité ?

Le secret de cette vitalité, s’il y en a un, c’est avant tout l’envie ! L’envie de faire profiter le public de mes joies et de mes découvertes musicales, l’envie de partager des moments de recherche et des concerts avec mes amis musiciens et une certaine curiosité d’aller vers d’autres répertoires, comme celui en quatuor ou en ensemble. 

Je joue avec le Quatuor Face à Face depuis au moins dix ans et chaque répétition, chaque concert est une source de bonheur absolu. C’est un ensemble qui demande une très grande maîtrise technique, d’écoute et je dirais même une confiance incroyable dans nos partenaires de quatuor car nous jouons sans chef un répertoire quasi orchestral. Mais c’est justement cet exercice, cette exigence constante qui m’attire et m’inspire ! Notre disque « On The Other Side » sorti depuis peu chez le Label Scala Music (et enregistré Live !! lors du Festival Muse et Piano au Louvre Lens) témoigne de cette confiance et bonheur de jouer ensemble !

Plus récemment, j’ai rencontré la fantastique cheffe d’orchestre Simone Menezes qui a créé l’Ensemble K. C’est assez inédit comme ensemble, car tous les membres du groupe sont des solistes et il y a une très belle symbiose entre nous tous ! Je suis très heureuse d’en faire partie et de pouvoir jouer un répertoire nouveau pour moi. Nous avons déjà enregistré un premier CD intitulé « Accents » chez le label Aparté et réalisé avec le soutien de Cartier et du label Accentus Music, le documentaire artistique « Métanoïa ». 

Quant à la flamme qui m’anime, oui, elle est tout aussi vive si ce n’est encore plus !! 

L’autre jour j’ai entendu une phrase qui m’a beaucoup plu et que je répète souvent à mes élèves :

« Plus je travaille, plus j’ai de la chance! » C’est évidemment beaucoup d’investissement, de temps passé devant les partitions, avec mon piano. 

Il serait impossible de parler dans votre activité de virtuose sans évoquer les nombreuses et réelles satisfactions que celle-ci vous procure sans mentionner les efforts nécessaires pour y arriver à ces sommets. Quel est votre secret pour garder l’équilibre imposé par cette discipline de vie  ?

Ce n’est pas simple tous les jours …. D’autant plus quand nous avons aussi un rôle de parent. Le choix entre le temps passé avec ma famille et le temps de travail est quotidien, car en tant que musiciens, nous « finissons » jamais vraiment, nous cherchons encore et encore, même après le concert… et puis il y a cette chose à la fois magique mais inquiétante parfois de l’aspect éphémère de la musique. Après 6 heures de travail, le lendemain rien n’est « visible », tout est à l’intérieur de votre esprit … Il y a effectivement un équilibre à trouver, en soi-même et avec son entourage proche. Mais jusque-là, j’ai réussi à « jongler » …. 

La critique loue votre rigueur et l’élégance de votre phrasé, en soulignant amplement la place bien méritée que vous avez réussi à vous approprier parmi les artistes de votre génération. Parmi elles, quelle est, selon vous, la qualité la plus précieuse qui a fait de vous l’artiste que vous êtes aujourd’hui ?

Je ne sais pas vraiment, je pense que c’est une multitude des choses. Le chemin d’un musicien est un chemin très long, qui nécessite comme on l’a dit beaucoup de, comment dire … je n’aime pas le mot travail… de recherche, de patience, des rencontres aussi … une capacité à « absorber » des enseignements autour de soi et à la fois tenter de savoir de plus en plus qui vous êtes. C’est peut être ça le plus important, oublier les peurs diverses et variées et oser être soi-même!! 

Permettez-moi d’aborder la période des deux dernières années suspendue à cause de la pandémie. Comment avez-vous vécu cette période en tant qu’artiste ?

Ça a été une période de grande réflexion et très riche de point de vu créatif. Un nouveau projet est né! Il s’agit de mon prochain album, qui sortira début octobre chez le Label Scala Music intitulé «  Le Fruit du Silence ». 

Le projet est né après un récital que j’ai donné au Festival de La Roque d’Anthéron, entre deux confinements, récital dans lequel j’avais fait le choix de jouer la Sonate op.110 de Beethoven. C’était une évidence pour moi car cette sonate représente un bouleversant témoignage de la longue convalescence traversée par Beethoven lors de sa création, de la « lutte de l’homme contre la souffrance », et de « la victoire de l’esprit ». Le public était bouleversé et moi également! 

Ce disque est donc un hommage à Beethoven, musicien condamné au silence et pourtant capable d’en extraire des merveilles, laissant entrevoir un « haut-delà » à travers ses dernières œuvres. Cette quête de spiritualité on la retrouve en filigrane dans les deux créations écrites par les compositeurs Philippe Hersant et Oscar Strasnoy (deux compositeurs que j’apprécie énormément) ainsi que dans « Le fruit du silence » de Peteris Vasks, œuvre inspirée d’une anaphore de Mère Theresa, que j’ai enregistrée en quintette avec 4 solistes de l’Ensemble K: Manon Galy, Nicolas Dupont, Clément Holvoet et Kacper Nowak. 

Cette longue période que nous venons de traverser, j’ai souhaité la transformer, la sublimer en laissant un témoignage artistique qui est ce « fruit du silence ».

Le concert de lancement aura lieu le 14 octobre à La Scala Paris. 

Parmi les souvenirs précieux des concerts que vous avez soutenus, il y a celui donné dans le cadre du Festival International de Piano de La Roque d’Anthéron. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?

Oui, c’est un lieu mythique, un lieu si inspirant … Après le récital qui a donné naissance à mon projet, cette année j’ai été à nouveau invitée, cette fois pour participer à la Soirée d’anniversaire du grand pianiste français Jean Claude Pennetier, un mentor, un parrain spirituel, et à la fois un grand ami pour moi ! Ça a été un moment inoubliable d’émotion et de partage en musique !

Je remercie encore René Martin pour sa confiance et pour sa manière si merveilleuse d’accompagner les artistes !

Abordons, si vous le permettez, votre actualité artistique si riche : concerts avec de grands orchestres ou de musique de chambre, enregistrements, cinéma, festivals.

Oui, cette saison a déjà commencé avec un très beau concert donné avec le Quatuor Face à Face au Festival International de Besançon. Le 25 septembre je vais faire mes débuts avec le Wienner Kammerorchester, dans le Triple Concerto de Beethoven, avec comme co-solistes Manon Galy, violon et Kacper Nowak, cello, sous la direction de Simone Menezes, puis j’enchaîne avec le Festival « Classic for Teens » à Focsani, en Roumanie, en tant que directrice artistique mais aussi comme pianiste … je donnerai des master class entre le 27 et le 29 septembre et un concert avec le merveilleux flûtiste Matei Ioachimescu. À peine rentrée en France, le 1er octobre, je participerai au Marathon Bach organisé par le Festival Muse et Piano au Louvre Lens et le lendemain, le 2 octobre je donnerai un récital toujours dans ce même festival avec le programme autour du silence.  

Les Parisiens pourrons m’écouter le 10 octobre lors de la Soirée Marcel Proust, au Palais de Behague, soirée lors de laquelle j’interprèterai également une sonate inédite de George Enesco, avec la violoncelliste Diana Ligetti. Je suis très honorée et flattée d’avoir l’occasion de faire « revivre » cette partition qui vient d’être rééditée. 

Le 14 octobre il y aura le concert de lancement de mon album « Le Fruit du Silence «  à la Scala Paris. 

Peut-être une dernière date à noter avant d’ennuyer les lecteurs, le 28 novembre, lors du Festival ProPatria au Théâtre du Ranelagh, un concert en trio avec la mezzo-soprano Roxana Constantinescu et l’altiste Răzvan Popovici, deux merveilleux artistes dont je n’ai plus besoin de faire les présentations…

Propos recueillis par Dan Burcea

Pour plus de détails sur la pianiste Marta Dobresco, vous pouvez consulter son site : https://www.maradobresco.com/

Précédente interview accordée par Mara Dobresco à Lettres Capitales : https://lettrescapitales.com/interview-mara-dobresco-un-artiste-de-quelque-nationalite-quil-soit-il-porte-une-energie-un-souffle-propre-un-quelque-chose-qui-ne-sapprend-pas-qui-se-sent-qui-se-vit/

 

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