Claustrée, recluse, invisible, voilà ma réalité d’écrivain. Les acteurs sont les autres. Je contemple leur vie depuis mon enclos afin de retranscrire ma vision de l’humanité.
Mais depuis le confinement, voici que je sors de l’ombre. En réalité, c’est moi l’observée. Scrutée, dévisagée, chacun de mes mots auditionnés. Au milieu de ce monde qui semble disjoncter, à l’heure où l’on entend tout et n’importe quoi, ils sont là, à épier en permanence, les yeux inquiets. Ils me surveillent à longueur d’information. Personne ne sait comment réagir, la situation est inédite. Eux, plus que tout adulte, attendent. Ils attendent de voir comment moi, leur mère, je vais réagir. Peuvent-ils encore rire, doivent-ils pleurer, ont-ils quelque chose à craindre ?
Ils n’ont plus que moi comme modèle palpable et charnel, tous les autres corps, enseignants, amis, famille, ont rejoint le monde virtuel, images inodores et lointaines derrière des écrans. Me voici seul repère vivant qu’ils peuvent encore côtoyer. Quel modèle vais-je servir à ces yeux qui perçoivent plus qu’ils ne voient, à ces oreilles qui entendent l’indicible, à ces personnalités encore fragiles en construction ?
Sur les réseaux sociaux, les langues se délient plus que jamais, chacun à proclamer sa vérité, à parler avec autorité. Des valeurs contraires s’affirment avec vigueur, la peur et l’audace se croisent, le courage et la tempête s’entrechoquent. Je ne sais plus moi-même quels sentiments éprouver.
C’est dans ces pupilles-là pourtant, qui me sondent à chaque nouvelle information alarmiste, inquiétante ou révoltante que je puise conviction et aspiration. « Maman, ça va passer n’est-ce pas ? On va trouver un remède, une solution ? » L’être humain se forge de foi et d’espérance.
Me voici à prononcer de vive voix cette intuition exprimée depuis des années à travers ces romans que je n’ai cessé d’écrire, toujours autour de ce même thème : continuer de croire, croire envers et contre tout, croire en l’homme, au cœur de l’homme au-delà de ses aptitudes, au-delà de ses manques, parce que l’être aura toujours en lui cette capacité à affronter les obstacles, pour peu qu’on lui permette de se donner à son prochain.
La réalité finit toujours par dépasser la fiction. Ce temps d’apprentissage est un don. Rire, pleurer, trembler même parfois, mais libérer nos émotions, ensemble, à la mesure des évènements, comme lorsque je leur lisais des histoires, prélude nécessaire à l’enfance pour entrer dans le monde réel. Et danser aussi. Respirer, quel que soit l’épisode, accueillir et aimer cette existence dont les formes se meuvent au gré des intrigues, parce que la vie est ce qu’elle est et qu’il faut la prendre comme elle se donne, avec passion. Et tourner les pages avec confiance, l’une après l’autre.
Isabelle Laurent est conférencière dans le domaine de la parentalité, rédactrice d’articles pour différents magazines socio-culturels ou historiques et auteure de romans, d’essais et de récits historiques.
Romans :
-La prophétie d’Assise, trilogie Artège, 2011 (prix Léopold de Lunéville)
-Le secret de Lomianki, Artège, 2013
-Les deux couronnes, Artège, 2014 (grand prix catholique de littérature 2015)
-Le silence de Rose, Artège, 2018 (prix des médias chrétiens, prix de la jeunesse 2018 de la ville de Tours)
-Clair de Lou, Artège, 2019
Livre Jeunesse :
-Les gardiens de l’étoile, aux éditions du mercredi, 2016
Essais :
-Les yeux d’une mère, Artège, 2012
-Tu es la meilleure mère du monde, les 6 clefs de la confiance, Artège,2017
Récit historique :
-Marraine du Djebel, Michalon, 2019 (bourse lorraine du prix Erckmann-Chatrian)
Livre coécrit :
– Les parfums élémentaires, Gallimard, 2019