Proclamer L’amour des idées – titre de son nouveau recueil qui conjugue poésie et philosophie – est pour Bruno Mabille la meilleure façon de parler de ce qui constitue au plus profond de soi, son être, sa philosophie personnelle, son guide quotidien.
La démarche poétique atténue le risque du supposé courage de soulever le voile des secrets personnels qui prennent ici la consistance des convictions construites sur la fréquentation de nombreux penseurs comme Aristote, Emile Cioran, Vassili Grossman, Stephen Hawking, Martin Heidegger, Hegel, Jankélévitch, Saint-Augustin, Spinoza, Socrate et autres cités en fin de recueil.
Il en résulte une suite de 53 réflexions, chacune portée par l’anaphore J’aime l’idée qui joue le rôle d’un battement de cœur stylistique qui assoit chaque formulation sur l’autorité d’un postulat aperçu par l’auteur comme une/sa vérité assimilée et devenue par une longue rumination philosophique une/son expérience de vie.
Rien d’étonnant que l’existence et la naissance même de ce qui existe, y compris de l’être et du néant, du Big Bang soient poursuivis par cette réflexion sur le sens de sa propre identité :
10.
J’aime l’idée que ce qui a eu lieu
ne puisse pas ne pas avoir eu lieu
et que tout ce qui a été fait ne puisse être effacé de sorte que
dans l’espace illimité et le temps éternel ma vie aura compté.
Ainsi, la vie et la mort s’alimentent mutuellement, cette dernière n’étant qu’une composante indispensable/et que grâce à elle la vie se maintienne et ne cesse jamais, cette vie qui, en poursuivant l’idée de Heidegger, est la certitude par excellence, le mouvement sans cesse renouvelé dans l’exercice d’équilibriste d’un cycliste dans l’incessant aller et venir entre l’instant et la durée, entre la permanence et la discontinuité, entre l’infini et l’éternité.
La volonté va de pair, selon le poète inspiré par la pensée de Vladimir Jankélévitch, avec la liberté et ce n’est pas étonnant d’y voir associées les idées de salut, de promesse et d’espérance où ce qui compte est un mot de bienvenue à l’adresse d’autrui.
La transcendance plonge le poète-philosophe dans le sentiment frémissant du doute quant à l’impossibilité de l’approcher à l’aide des certitudes, une sorte de crainte face à une existence qui lui échappe.
Quant à sa manifestation, il préfère rester dans le réel qui fait de la grâce une sorte d’acquis naturel. La pensée pascalienne lui semble éloignée :
23
J’aime l’idée que la foi
ne soit pas réservée aux religions
et à ceux qui y croient
mais qu’elle nous soit donnée à la naissance
lorsque nous sommes accueillis et pris en charge
en ce monde
faute de quoi nous n’aurions pas survécu.
Sans doute, nous pourrions continuer cet inventaire construit si poétiquement par des mots-clés comme bonheur, joie, bonté – cette minuscule graine d’humanité empruntée à Vassili Grossman, jusqu’à cette citation entière :
27.
J’aime l’idée
que l’amour
miraculeusement
donne ce qu’il n’a pas
parce qu’il le crée
pour le donner
et qu’en le donnant
il devienne ainsi inépuisable
Le lecteur trouvera son bonheur en se laissant porter par la lecture de ces stances aux formes d’aphorismes qui demandent, pour être savourées comme elles le méritent, plusieurs relectures, comme pour mieux distiller leurs saveurs et leurs sens.
Retenons, en guise de conclusion les deux dernières qui reprennent les deux perspectives avec lesquelles Bruno Mabille construit son crédo poético-philosophique :
-
-
- J’aime l’idée
-
que la philosophie
marie la réflexion et l’action
la théorie et le concret
pensée claire et le geste juste
et qu’elle soit à la fois
la recherche d’une vérité
une manière de mener sa vie
e sorte de servir de boussole
et de donner un cap.
-
-
- J’aime l’idée
-
que la poésie
soit pour moi
un souffle
une respiration.
Dan Burcea
Bruno Mabille, L’amour des idées, Toi Editions, 2024, 68 pages.