Auto-dénonciation
Finalement sur cette journée-là
je ne dirai que des choses insignifiantes
j’ai tourné la roue de la fontaine, tiré les poignées de la charrue
la crosse de la bête et la mamelle de la vache
jusqu’à m’apercevoir comment jaillit de tous les côtés
l’éternelle lumière avant que de son écume ardente
n’aille prendre poétiquement naissance le futur se dérobant sur la plaque chauffante
les pieds frissonnant du plaisir du péché
en attendant le châtiment
j’ai cueilli sans célérité en transe un panier de cosses
à l’aide de la main de la croque mitaine au fond du jardin
pendant que mes bras chétifs et dragonesques
détournaient fébrilement un bateau grand comme une planète
de sa route certaine vers le naufrage
à une centaine de lieues de profondeur
pendant que les fourmis transportaient le miel d’entre les pages
vers la fourmilière qui avait poussé dans ma poitrine
comme un château pour toute notre lignée endormie
à quoi bon le répéter
la nuit est arrivée alors que je ne craignais
que la voix irritée de ma mère
qui cherchait quelqu’un d’autre que moi
Tout
Elle monte sur les murs avec des mouvements d’araignée
elle laisse des traces de griffes de lycanthrope
elle bêle, elle bourdonne et heurte
avec le front le cadre du miroir
elle menace d’enfoncer dans la livebox
les pompons du plus coloré châle
de l’armoire remplie de couleurs
et qu’elle va étrangler le led rédempteur
une solitude comme n’importe quelle autre
elle vomit bruyamment de dépit de peur
elle sait qu’elle a été belle célèbre puissante
et que quelques chiots se promènent dans ses intestins
dont plus personne n’a besoin.
Une place dans l’orchestre
Au milieu du carrefour se précipite le cygne noir
promenant sa traine dessinant de son pas
un bassin à travers l’odeur de fruits de mer
il m’attrape et me noie entre des rives bizarres
d’un mouvement lent de sage-femme de campagne
qui a rêvé en secret et continue à rêver
d’avoir droit de séjour dans la banlieue habitée par des pleureuses
(soudainement l’enfant précoce qui ignore
qu’il voit si mal de loin
se souvient de la vieillie borgne et anxieuse
qui l’a porté sur son dos
à travers des frontières de plus en plus sales dans des temps presque noirs
vers le portatif dégoulinant de couleur)
je geins paraît-il, je mords ou j’égratigne
je me débats sans doute ou je fais renverser un rivage
et le miroir du grand phare éclate en mille morceaux dans la poussière
et mes pieds apprennent à marcher dessus
ou peut-être je me réveille reposée et langée
dans les soieries d’un événement encore plus important
pour voir clairement comment je suis accueillie
sans le rituel du pain et du sel par le chef du protocole
un châle brillanté autour du cou et une baguette de chef d’orchestre à la main
en m’invitant de prendre ma partition
et m’asseoir à côté de ces dames princières
de l’orchestre nouvellement embauché
au Palais Seigneurial de l’autre monde
Le retour d’exil
Un tronc de chêne sur lequel
j’avais greffé des rameaux de baobab
était tombé sur le seuil de la porte en pleine cérémonie
le drapeau allait changer de couleur
sur les godasses de l’Impur
où je m’imaginais
qu’il pourrait se cacher pour un temps
un ange gardien ayant assez de son épouse adultérine
la boue avait séché et le décret d’alerte rouge
avait déjà été épinglée
sur tous les murs sur tous les réseaux
d’un bout à l’autre du monde
Un autre solstice d’hiver
Le jour commence à croître
à partir de son propre embryon
sans aucune utilité
je me mords la langue j’écorche mes lèvres
le sang est le mensonge que je ne peux faire cesser
comme je ne peux pas faire cesser le mouvement des insectes
qui font l’éloge de leur hideur connaissent leur mission
qui marchent qui marchent qui s’égosillent
qui plantent le drapeau dans le crâne d’un autre bilan
en fanfaronnant dans de criardes photos
et attendent de voir si je sors le sabre
si je suis capable de verser le seau de braises
si je reprends mon envol assise sur le manche d’un balai.
Elena Ștefoï – septembre 2020
Elena Ștefoï est une écrivaine roumaine, docteur en philosophie à l’Université de Bucarest et membre depuis 1990 de l’Union des Écrivains de Roumanie.
Elle a fait partie de l’équipe qui a fondé la revue « Contrapunct » en qualité de secrétaire de rédaction et a été rédactrice-en-chef de l’hebdomadaire Dilema et du mensuel L’Invitation publié par l’Institut français de Bucarest. Elle a été correspondant permanent de Radio France International et rédactrice associée du trimestriel East European Constitutional Review de la Chicago Law Scool (1993-1997) et invitée spéciale des emissions culturelles et politique de BBC (1991-1997).
Elle a publié des articles éditoriaux, des commentaires et des analyses dans des revues comme Contrapunct, Dilema, Epoca, 22, România liberă, Luceafărul, Sfera Politicii, Lettre Internationale, Cronica română, Lumea. Elle a également publié des poésies dans des revues ou volumes collectifs aux Etats-Unis, en Grande Bretagne, en France, en Allemagne, au Luxembourg, en Pologne, dans l’ex-Yougoslavie, en Hongrie, en Suisse, en République Tchèque et au Canada.
Entre 1999 et 2001, elle a été Consul général de Roumanie à Montréal. De 2005 à 2012, elle a été Ambassadrice de Roumanie au Canada et Représentante de la Roumanie auprès de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale. Entre novembre 2016 et mars 2020 elle occupe des postes d’Ambassadrice en République du Sénégal et dans 7 autres États d’Afrique occidentale.
Volumes publiés :
- Opera Poetică [Oeuvre poétique], Éditions Paralela 45, 2016
- A Grammar of Tower of Babel. Parallel texts, traduction d’Ana Olos, préface de Lidia Vianu, Éditions MTTL, 2014
- Raport de etapă [Rapport d’étape] , recueil de poésies, Éditions Cartea Românească, 2011
- Undeva, în alt plan/ Somewhere in a different realm, recueil de poésies, édition bilingue, Éditions Paralela 45, 2007;
- În urma învingătorilor [Derrière les conquérants], anthologie, Éditions Paralela 45, 2005;
- Transformări, inerții, dezordini [Transformations, ineties, désordres], dialogue avec Andrei Pleșu et Petre Roman, Éditions Polirom, 2002;
- Drept minoritar, spaime naționale [Droit minoritaire, peurs nationales], dialogue avec le sénateur Gyorgy Frunda, Éditions Kriterion, 1997;
- Alinierea la start [Sur la ligne de départ], recueil de poésies, Éditions Cartea Românească, 1996;
- Câteva amănunte [Quelques détails], recueil de poésies, Éditions Albatros, 1990;
- Schițe și povestiri [Esquisses et histoires ] recueil de poésies, Éditions Cartea Românească, 1989;
- Repetiție zilnică [Recueil journaliers], recueil de poésies, Éditions Eminescu, 1986;
- Linia de plutire [Ligne de flottement], recueil de poésies, Éditions Cartea Românească, 1983.
Elle a été récompensée par plusieurs prix et distinctions comme le Prix du premier volume de l’Union des Écrivains de Roumanie en 1983 et d’autres médailles diplomatiques dont la Médaille de l’Ordre diplomatique (2006) et la Médaille du Corps diplomatique du Canada (2012).
(Traduit du roumain par Dan Burcea)