Écrire/Être écrivain : Philippe Leuckx

 

Il me semble avoir toujours écrit sinon voulu écrire. Dès l’âge de sept, huit ans, les rédactions scolaires étaient devenues un plaisir. Et longtemps, je me suis amusé à écrire de petites choses, une page, une page et demie.

J’ai aujourd’hui près de soixante-cinq piges et le virus de la lect(écrit)ure ne m’a jamais quitté.  « J’écris tous les jours et tous les jours m’écrivent », ai-je écrit il y a quelque temps. Cet aphorisme, un peu facile, a une part de vérité, comme toujours. À force d’écrire, de lire, d’écrire de nouveau, on modèle un parcours, on en redessine les contours.

Je ne peux me passer d’écrire, et je me sens écrivain, peut-être avant les fonctions professionnelles que j’ai longtemps assumées, celles de professeur de français, de philosophie et d’histoire de l’art.

Écrire est une nécessité vitale qui repose sur l’amour des mots, de la lecture (ah ! La lecture au temps béni sans ordinateur sans console sans jeu hystérique sans addiction sportive etc. ! ).

L’écrivain a certes des obligations essentielles : rester fidèle à l’univers découvert, pressenti, qu’il juge indispensable tous les jours d’explorer. Je veux ici aborder les thèmes d’une écriture vitale. Comme je me sens avant tout poète, l’intimisme, de longtemps nourri par les lectures de Sei-Shonagon, Bashô, Supervielle, Hardellet, a eu d’office la première place. L’univers du poète s’alimente d’enfance, de mémoire. Il est vrai que mon travail philologique autour de l’oeuvre de Proust n’a pu que renforcer cet intimisme de fond. La mémoire heureuse ou ébruitée rameute des pans entiers d’une petite histoire. Elle forge en nous les assises d’une écriture qui doit, peut puiser, à l’envi, dans cette matière mémorielle.

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Être écrivain, c’est aussi ouvrir un coffre personnel pour le proposer à d’autres yeux. L’édition, longtemps négligée, m’est apparue, autour des trente-huit, trente-neuf ans , comme une autre nécessité. J’ai donc, dans ces années-là, tenté de trouver des éditeurs. À près de quarante ans, un premier livre sortit, sous un titre que je n’avais pas choisi, mais qu’importe, le livre premier était là, imprimé, offert à la lecture.

Une petite cinquantaine d’autres (poèmes, opuscules-essais) ont suivi chez une quinzaine d’éditeurs.

Écrire suppose dès lors d’être confronté au regard critique des autres, lecteurs ou experts. C’est de bonne guerre, et aussi souhaitable pour poursuivre au mieux un parcours d’écriture. Ce retour des critiques à propos de vos textes ne peut qu’enrichir votre travail. On ne voit pas toujours – on est trop proche ou trop subjectif – les agencements subtils, le support de la langue, les reprises, les obsessions, les marottes.

J’ai d’emblée consacré une grande part de mon temps, en parallèle aux tâches créatives, à l’écriture critique. Elle me paraît consubstantielle à l’émergence d’une écriture réfléchie. Lire et commenter les autres, c’est à chaque fois se rappeler que l’écriture est quête perpétuelle de précision, de maturité, de style, d’engagement. De vérité.

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Etre écrivain, enfin, c’est ainsi, et assez logiquement, faire partie d’une famille. Celle d’abord de toutes celles et tous ceux qui vous ont fait « le don » de leur plume, au sens sallenavien (Le don des morts). Celle de vos pairs qui partagent les mêmes préoccupations, dans des associations, autour de revues etc.

On écrit parce qu’on a lu des auteurs qui vous ont fait grandir. Aux noms de Proust, Bashô, Sei-Shonagon,  Supervielle, j’ajouterais ceux de Colette, Arland, Cabanis, Prou, Bourniquel, Pavese, Morante, Bosco, Giono, Hardellet, Lefèvre, Pessoa, Vandenschrick, Bonhomme, Pasolini, Penna, Jaccottet. Une famille dans laquelle on se sent d’emblée d’amble, en vrai partage de thèmes, d’économie verbale, de justesse, de vérité humaine.

Le travail, au jour le jour, dans une Association d’écrivains (belges en l’occurrence), éclaire le parcours d’un écrivain : il s’y sent, non seulement en famille de convictions, mais en plus il permet à l’auteur d’échapper à sa petite bulle de création pour s’ouvrir à d’autres styles, d’autres univers. Les revues littéraires sont elles aussi des tremplins, des pages d’essais aux études, en passant par le « laboratoire » du regard des autres.

Participer à l’une et aux autres relance sans cesse cette fonction assez surprenante, qui est celle d’écrire, d’immobiliser le temps, pour en conserver les meilleures pépites.

Etre écrivain,c’est happer les mots de la mémoire.

Philippe Leuckx

(ébauche rédigée ce quatre septembre de la triste année covid)

Philippe Leuckx est un écrivain et critique belge. Auteur d’une cinquantaine de recueils de poésie. Plusieurs études sur Pavese, Proust, Simenon, Vandenschrick. Plusieurs prix pour des livres de poèmes : prix Emma-Martin pour Selon le fleuve et la lumière (2011), Prix Robert-Goffin et Gauchez-Philippot pour Lumière nomade (2015), Prix Charles-Plisnier pour L’imparfait nous mène (2018).

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