Quand les mots guérissent nos maux – un essai de Régine Detambel. «Les grands problèmes humains ne sont accessibles que métaphoriquement.»

 

 

Et si les livres de fiction étaient de véritables remèdes pour nous aider à nous reconstruire et à retrouver à travers la lecture la santé de corps et d’esprit ? C’est en tout cas la conviction de Régine Detambel, romancière et kinésithérapeute, qui publie aux Editions Actes Sud un essai dédié à la bibliothérapie créative, «Les livres prennent soin de nous – Pour une bibliothérapie créative». Basé sur la pratique de cette thérapie qu’elle enseigne en atelier à Montpellier et sur son expérience d’écrivain, ce livre est un vrai argumentaire dont l’ambition dépasse par sa substance l’espace des ouvrages à vocation de vitrines publicitaires pour les pratiques de développement personnel et bonheuristes, friandes de clichés et de simplifications.

À l’opposé de cette perspective réductrice, l’essai de Régine Detambel est une Défense des vertus curatives de l’œuvre fictionnelle, en prenant comme appui la capacité régénératrice de la narration qui, selon elle, «permet de rendre le monde intelligible, dénoue les conflits psychiques», tout en permettant au lecteur de s’identifier au personnage qu’elle met en scène et qui devient ainsi le miroir où l’on se reflète et où l’on se reconnaît soi-même.

En voulant fixer à ce concept un cadre théorique, elle est consciente des risques à prendre et des pièges à éviter et propose une solution assez surprenante pour l’esprit commun habitué à une thérapie de surface plutôt qu’à une recherche approfondie dans ce domaine. «Il y faut – nous prévient-elle dès le début de son essai – de la métaphore pour pouvoir offrir au sujet une représentation verbale de ces fictions biologiques qui le submergent, car les grands problèmes humains ne sont accessibles que métaphoriquement.» C’est donc autour de cette capacité vivifiante de la métaphore et en explorant «l’épais feuilletage de sens» contenu dans les livres «plurivoques» que Régine Detambel construit son plaidoyer pour l’usage bénéfique de la bibliothérapie créative. Cet axe solaire qui illumine sa démarche a pour elle une importance tellement capitale qu’il mérite de nous arrêter plus d’un instant pour en saisir tous les aspects, toutes les implications et surtout tous les bénéfices.

En premier lieu, celui du nom qu’elle confère au bibliothérapeute et dont le positionnement a aussi toute son importance. Loin de toute tentation de posture, ce nom se veut différent de celui appartenant au domaine du biblio-coaching, terme qui définit, selon elle, une pratique qui fait du livre un moyen insuffisant, surtout lorsque l’on se rend compte que «les conseils et les recettes ne suffisent pas à remodeler le chaos» qui nous entoure ou nous habite. Car, même si les vertus de l’écriture – «écriture sans prétention littéraire, dite ordinaire» – peuvent bénéficier aujourd’hui d’une certaine reconnaissance, le vrai défi du bibliothérapeute reste circonscrit non pas à une «conception utilitariste de la littérature» mais à sa capacité réparatrice face à toutes les situations de détresse d’un «corps-machine proposé par la biomédecine» ou à «l’organisme suspect et brutalement exclu du monde par ces expériences intimes que sont le vieillissement ou la solitude». Qui serait donc à même de nous guider à travers ces sentiers tortueux vers la re-naissance par les livres ? Un mystagogue officiant lors d’un «cérémonial de guérison magique» ? Un interprète capable de déchiffrer et de nous transmettre à travers les mots de la littérature les joies, les douleurs, les grands questionnements et surtout la beauté du monde ? Ou un messager pour qui rien n’est univoque et qui déclame à qui veut l’entendre que la littérature est capable de transformer toute vie humaine en une auto-création ?

Régine Detambel préfère un mélange de toutes ces hypostases et nous renvoie vers une image qui ressemble plutôt au personnage tarkovskien du «stalker», ce rôdeur qui seul connaît le chemin vers la chambre magique où tous les rêves peuvent prendre vie et, avec eux, la promesse d’une guérison assurée. «Pour moi – écrit-elle – je réserve le nom de bibliothérapeute au passeur qui tiendra compte de toutes les vertus du livre à la fois, et pas seulement de sa maniabilité par le soignant, de son sens manifeste ou du contenu du récit…» À ce  rôle de magicien et maître des métaphores, Régine Detambel associe les compétences du travail curatif auquel elle accorde une attention tout aussi particulière. Pour ce faire une idée, il suffit de parcourir toute la suite d’exigences appartenant au côté éthique de ce métier, questions que doit se poser toute personne travaillant dans le domaine des professions de santé et qui forme en même temps un vrai code déontologique de ce métier. Inspirées par le professeur Jean-Daniel Lalau, Régine Detambel adresse ces questions à la fois à la personnalité du bibliothérapeute, à sa capacité de répondre à la souffrance de ses patients, à sa maîtrise de soi, à sa capacité d’écoute, etc.

Pour rester dans la zone sémantique du curatif et pour traduire en termes pharmacologiques ce phénomène linguistique de métaphorisation, nous pourrions nous interroger sur la nature du principe actif sur lequel se construit le concept de bibliothérapie créative proposé ici par Régine Detambel. Sa réponse est sans équivoque : elle désigne comme seul principe actif la parole à la fois dans ses hypostases linguistiques, – du phonème au lexème et au sémème, matière phonétique ou sémantique de construction du langage imagé et de la métaphore -, et de tout ce qui construit le rythme, la sonorité, éléments porteurs eux-aussi de sens et qui, à eux seuls, peuvent, lorsqu’ils agissent en «accordeur» ou en «métronome» «réguler certains cas de phobies, d’anxiété, d’indécision, les idées noires, les angoisses, la mélancolie, le découragement…». La liste des maladies guéries avec ces moyens par la bibliothérapie créative est encore plus longue: «l’ignorance, la tristesse, l’isolement, le sentiment de l’absurde, le désespoir, le besoin de sens», et encore d’autres.

Dès lors, un traitement réparateur se déclenche, «quelque chose qui détermine en vous un changement profond, dans un choc presque physique, un frisson d’excitation qui dilate votre sensibilité à tel point que vous vous mettrez à observer les objets familiers comme si vous les voyiez pour la première fois». Mais l’effet le plus impressionnant est celui de l’incroyable travail de remplacement d’une réalité défaillante pour aider les sujets à faire face au chaos. L’effet mimétique est garanti pour celui qui, dans sa position de lecteur, entame une démarche d’éveil de ce que Régine Detambel appelle «des zones endormies qu’une œuvre viendra réveiller». Loin du travail de documentaliste, le bibliothérapeute prescrit un traitement beaucoup plus subtil qui engage en toute liberté une relation directe avec le lecteur et qui finit par le pousser «à devenir le lecteur de soi-même» selon l’énoncé de Marcel Proust pour qui «l’ouvrage de l’écrivain n’est qu’une espèce d’instrument d’optique qu’il offre au lecteur afin de lui permettre de discerner ce que, sans livre, il n’eût pas vu en soi-même».

Il y a beaucoup d’autres aspects à mettre en évidence à cette étiologie dont les manifestations nous conduiraient sans doute vers une thérapie créative par les livres proposée dans cet ouvrage. Les lecteurs – des lecteurs ou des professionnels du livre ou de la santé – trouveront suffisamment de détails dans les pages de ce traité de lecture curative rédigé avec une parfaite maîtrise et une passion visible par Régine Detambel. À mi chemin entre l’essai et le traité de linguistique appliquée ce livre doit être lu et utilisé comme un vrai manuel dans la formation des bibliothérapeutes et, par la suite, comme guide dans leur pratique.

Arrêtons-nous pour conclure à cette magnifique et suggestive définition de la littérature, définion inspirée à notre romancière par Henri Vernes et qui fait le bonheur des amoureux de la fiction : « La littérature est ce qui fermente. Les textes littéraires sont des mères, comme on dit la mère du vinaigre. […] La littérature est ce ferment, elle est celle qui apporte la vie fermentante dans l’univers de chacun, trop souvent pasteurisé.»

Il est temps, nous dit ce texte, de sortir de notre univers aseptisé pour goûter à l’aventure du romanesque et de la magie de la poésie, bonheur pleinement partagé et expression d’une totale liberté offerte en cadeau par ce que nous aimons appeler par un inusable syntagme, «les belles lettres».

Dan Burcea

Régine Detambel, Les livres prennent soin de nous – Pour une bibliothérapie créative, Éditions Actes Sud, 2015, 163 pages, 16 euros. 

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