Portrait en Lettres Capitales : Caroline Grimm

 

 

Qui êtes-vous, où êtes-vous née, où habitez-vous ?

Je suis une femme qui écrit, une femme de plume, une femme de lettres, je suis née à Paris, profondément française et profondément d’ailleurs, je veux dire par là que mon lien viscéral à la France passe par la langue. La France m’habite où que je sois.

Vivez-vous du métier d’écrivaine ou, sinon, quel métier exercez-vous ?

Je vis de ma plume mais pas de la vente de mes livres uniquement. L’écriture est le fil rouge qui m’a menée d’un disque d’or à vingt ans aux scénario de films puis à la réalisation et la production artistique au service des textes des autres. Le même fil rouge m’a menée à produire et animer une émission quotidienne de lecture des chefs d’œuvres érotiques de la littérature française sur France-Inter. Et à monter sur une scène de théâtre.

Comment est née votre passion pour la littérature et surtout pour l’écriture ?

Par la lecture. Par ma découverte de la beauté et de la richesse de la langue française. Par la fréquentation des grands auteurs qui m’ont marquée pour toujours : Proust, Romain Gary, Racine, Baudelaire, Molière, Saint-Exupéry, Stendhal, Flaubert et Marguerite Duras, ( une femme enfin, heureusement car avant que je ne la lise, je pensais qu’il me faudrait être un homme pour écrire, que ce genre de création leur était réservé!). Et aussi par le théâtre, le jeu, le plaisir des mots.

Quel est l’auteur/le livre qui vous ont marqué le plus dans la vie ?

Sans aucun doute : Marcel Proust avec « A la recherche du temps perdu ». C’est ma Bible, ma cathédrale intérieure, mon texte sacré, c’est le livre fondateur pour moi. Mon père, grand lecteur, voulait absolument que je le lise dès mes dix ans (!!!). Je savais que c’était une blague et en même temps il me tardait de le découvrir. Puis, après un mariage romantique avec mon premier amour, j’avais à peine 18 ans, lorsque j’ai réalisé ma folie et qu’il était trop tard, je me suis sauvée littéralement en m’enfuyant du côté de chez Swann, en me perdant parmi les jeunes filles en fleur, en devenant Albertine, en me délectant des plats de Françoise, en m’invitant aux bals des aristocrates du Faubourg St Germain, en gloussant avec Odette aux dîners des Verdurin, en m’enivrant de la petite sonate de Vinteuil. Je suis tombée, à la lettre, amoureuse de Proust, de ses phrases serpentines et musicales, de sa profonde poésie, de sa pénétrante vision des choses, de son infinie compréhension de l’âme humaine, de sa religion pour les arts, de son humour aussi. Il m’a sauvée et m’a construite dans tous les sens du terme et le moindre n’est pas que c’est par un acte purement d’imagination, la lecture, que j’ai appris à supporter le quotidien avec un homme devenu mon mari, à m’arranger avec la fadeur du réel, ou ce qui me semblait être tel à l’époque.

Quel genre littéraire pratiquez-vous (roman, poésie, essai) ? Passez-vous facilement d’un genre littéraire à un autre ?

J’ai commencé à l’âge de huit ans par l’écriture de poèmes puis c’est devenu l’écriture de chansons puis de scénario puis de nouvelles puis de romans, puis de théâtre. J’aime passer de l’un à l’autre.

Comment écrivez-vous – d’un trait, avec des reprises, à la première personne, à la troisième ?

J’écris par couches successives, exactement comme le fait un peintre devant sa toile (ce que m’a appris l’écriture de mon roman sur Chagall). Je prépare le fond, puis je prépare les couleurs, puis j’y vais par couches successives. C’est à dire que pour moi le secret de l’écriture est dans la réécriture et donc la capacité à se relire, à se corriger, à reprendre inlassablement son ouvrage. J’ai besoin de lectrices et de lecteurs en chemin. De me nourrir de leurs critiques. J’écris nécessairement à la première personne mais « je » est un autre, je est l’instrument me permettant de m’approcher au plus près de l’autre, d’entrer en lui, le personnage. C’est le « je » de la comédienne, le je du jeu.

D’où puisez-vous les sujets de vos livres, et combien de temps est nécessaire pour qu’il prenne vie comme œuvre de fiction ?

Les sujets s’imposent à moi. Cela part toujours d’un choc émotionnel. D’une expérience personnelle, et pourtant mon écriture n’a rien à voir avec l’auto-fiction ou l’autobiographie. Le meilleur exemple est mon roman actuel « Ma double vie avec Chagall ». Je porte ce titre en moi depuis vingt ans. Un jour, je vais à une exposition au musée d’art moderne de la ville de Paris autour de « L’École de Paris » et je tombe en arrêt devant « L’autoportrait aux sept doigts » un grand format peint par Marc Chagall à son arrivée à la capitale en 1911. Je vis un moment de communion d’une intensité rare, j’y vois une puissante allusion à mes origines ashkénazes, réelles et imaginaires, j’y vois une déclaration d’amour à la France, une âme tourmentée et confiante, magique, un homme qui s’ouvre à moi et me permet d’entrer dans son univers. En sortant, il y a une photo en noir et blanc de Marc Chagall jeune, et j’ai le sentiment de croiser son regard, d’être foudroyée. A partir de ce jour-là, il est entré dans ma vie, j’ai tout lu de lui et sur lui, je suis retourné voir le tableau à Amsterdam et je me disais que j’écrirai un jour une histoire à partir de cette aventure. On peut dire que j’ai mis vingt ans à l’écrire ou un an, le temps plein du confinement. En vérité, je perds toute notion du temps quand j’écris, je suis hors temps et un peu hors la vie aussi, ce qui explique sans doute que je me laisse du temps avant de replonger.

Choisissez-vous d’abord le titre de l’ouvrage avant le développement narratif ? Quel rôle joue pour vous le titre de votre œuvre ?

Cela dépend. Mais pour « Churchill m’a menti » et « Ma double vie avec Chagall » le titre a été primordial, au sens littéral. C’est parce que ce titre s’est imposé à moi que je voulais (presque que je devais) écrire le roman. Et le titre était non négociable, cela ne me serait même pas venu à l’esprit qu’un éditeur puisse le remettre en cause. Ensuite, durant l’écriture, il était ma boussole, l’indicateur du sens profond des lignes que j’écrivais, le porteur de thème.

Quel rapport entretenez-vous avec vos personnages et comment les inventez-vous ?

L’expérience fondatrice a été avec Olympe de Gouges. En m’emparant de ce personnage historique méconnu de la Révolution Française – le roman paraît en 2009 -, à la biographie mince, en l’écrivant à la première personne, en mélangeant nos humeurs et nos souvenirs, tout en étant extrêmement rigoureuse sur les faits historiques, je lui ai donné vie jusqu’à l’incarner sur scène pendant plusieurs mois au théâtre. À l’époque, les libraires ne savaient pas où ranger le livre : avec les biographies historiques ou les romans? Aujourd’hui, le problème ne se poserait plus. La tradition du biopic au cinéma, et les formes de narration hybride des séries télé ont donné plus de plasticité à la narration des histoires en général. Toujours est-il que pour moi, le choix d’écrire Olympe de Gouges à la première personne et non à la troisième a été déterminant pour la suite de mes romans, c’est une des clefs de l’écriture de mes personnages et c’est très lié à mon travail de comédienne. Au départ aucun de mes personnages ne peut m’être étranger, ils naissent de moi, je veux dire par là qu’ils sont formés à partir de mes défauts et de mes qualités, je me diffuse en eux, je me partage entre eux. Et cela est d’autant plus vrai qu’ils sont des personnages historiques. Dans un premier temps, je les rencontre et les forme dans mon imaginaire par ce que nous avons en commun. Puis ils s’enrichissent de mes lectures (documentations, recherches etc..), de mes observations, de mes intuitions. Puis, ils vivent leur vie et je m’en rends compte lorsque d’un seul coup dans le récit je réalise qu’ils ont pris la main, qu’ils réagissent ainsi à tel événement et non pas autrement, et que de leur réaction naît un changement dans le dispositif narratif.

Parlez-nous de votre dernier ouvrage et de vos projets.

Mon dernier ouvrage « Ma double vie avec Chagall » va encore plus loin dans le jeu du je. Qui dit je? Bella ou la narratrice? Qui est je? La Bella d’hier ou d’aujourd’hui? Ce n’est pas un jeu, c’est un choix délibéré. Ce roman est porté par la voix et le regard amoureux de Bella, la Muse, la Fiancée éternelle de Chagall. C’est aussi, renouer avec le thème du Dibbouk car est -ce moi qui prête ma voix à Bella ou Bella qui est entrée en moi tel un démon et m’anime ? Donner la voix à Bella, c’est aussi interroger le rôle de la Muse, interroger ce couple légendaire et traditionnel où la femme est une icône, où elle n’est pas créatrice mais au service du créateur. En quoi cela la comble et en quoi cela la limite, quel est le prix à payer. Prendre la place de Bella, c’est aussi lui rendre justice, sortir de l’ombre ces femmes qui ont vécu dans la lumière d’un créateur. C’est faire revivre une époque où il était presque impossible pour une femme de s’exprimer, à part certaines exceptions comme Sonia Delaunay, une de leurs amies, et encore on connait mieux son mari, Robert. Par le regard de Bella nous déchiffrons la peinture de Chagall, découvrons leur vie et les horreurs du 20e siècle qu’ils ont traversé avec autant de grâce que de douleur. Elle/ Je le tutoie et cela donne une intimité et une intensité particulière à mon écriture, à mes personnages, à « mon » Chagall. Encore une fois tous les faits cités sont rigoureusement vérifiés mais c’est écrit dans la subjectivité la plus extrême et la plus assumée, celle de la passion amoureuse. Le roman ne traite que de la première partie de l’œuvre et la vie de Chagall puisqu’il se clôt au lendemain de la deuxième guerre mondiale quand Bella meurt à New-York, dans leur dernier exil. La vie de Chagall a cela d’extraordinaire qu’il a traversé tout le 20e siècle, les pogroms, la Première Guerre Mondiale, la Révolution russe, la guerre civile en Russie, les années folles, les années ’30, la création de l’État d’Israël, la Seconde guerre etc… Qu’il a vécu et voyagé dans toute l’Europe. Il est né dans un petit village, Vitebsk en Biélorussie et il sera toute sa vie un peintre en exil, chassé de son pays, éternellement mélancolique de ses racines, mais qui a épousé la France- et sa déclaration d’amour la plus connue à la France est la peinture du plafond de l’Opéra Garnier. Chagall, c’est ça aussi, le Juif nulle part à sa place, et qui trouve refuge en France, qui épouse la France avec la même passion qu’il a épousé Bella son amour de jeunesse et la peinture. Chagall c’est l’histoire d’une immigration douloureuse mais réussie. J’ai commencé l’écriture en plein confinement et Chagall était comme un phare dans la nuit, un maître de joie et d’amour. Chagall, c’est la gloire du cœur, Chagall c’est croire dans le merveilleux de la Vie envers et contre tout, dans la Beauté, c’est ne jamais oublier notre lien avec la nature, les animaux, le cosmos. Pour toutes ces raisons, j’ai du mal à le quitter, à me projeter dans un avenir sans lui, soit un autre livre!!! J’ai plusieurs sujets qui viennent frapper à ma porte. Je ne sais pas encore sur lequel elle va s’ouvrir.

Photo de l’autrice : © Philippe Matsas

 

 

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