Nul doute que ceux qui connaissent l’œuvre de romancier, de cinéaste et d’historien de Raphaël Delpard, savent également l’énergie que cet homme de conviction met au service de ses idées et des causes qu’il défend. N’a-t-il pas fait sa devise de ces paroles prononcées récemment : «Tant que je serai vivant, je ne me tairai pas» ? Selon ses confidences (page 160 du livre), «La fabuleuse histoire du drapeau français» est née d’un élan semblable à un sursaut du cœur éprouvé par une incontestable et intime évidence, celle d’un symbole qui nous dépasse et nous transcende. Lors d’un dépôt de gerbe sous l’Arc de Triomphe de Paris, l’auteur est saisi par la présence du drapeau national. «De me trouver si près de l’emblème national – nous dit-il –, comme fouetté au visage par l’étendard qui semblait venir à ma rencontre, je me suis soudain demandé comment cette aventure avait-elle commencé et quel avait été son développement». Lors de l’élaboration de son ouvrage, une autre idée gagne son attention, liée, cette fois, à l’histoire de la nation française, en voulant raconter «comment un peuple soudé en ses membres traverse tous les tourments pour devenir une nation». Ce sont ces deux coordonnées essentielles qui vont guider sont travail d’historien. Conscient de l’étendue du sujet et animé par l’honnêteté intellectuelle qui lui est propre et qui lui fait honneur, Raphaël Delpard prend les précautions nécessaires afin d’éviter à la fois le «patriotisme bon marché», comme il l’appelle, et une prétention vaine d’érudition, en décidant de ranger sa contribution parmi les plus modestes, face à celles de ses illustres prédécesseurs. Cela ne diminue en rien le mérite de son travail, loin s’en faut !
Au contraire, le lecteur est tout simplement conquis par le contenu de ce livre raconté d’une manière si vivante et si vraie, tout en étant rassuré par le respect que l’auteur accorde à ces sources, ce qui conduit à une rédaction rigoureuse, fluide, pédagogique et instructive. De ce côté, avouons que ce type de lecture manquait douloureusement au grand public, trop souvent obligé de se contenter avec des miettes que l’on jette aux nuls ou à des textes ayant subi des contorsions grotesques commandées par le politiquement correct. Loin de ces produits intellectuels de contrefaçon, Raphaël Delpard écrit un livre qui, en plus de ses qualités que l’on ne se privera pas de mettre en avant – rigueur scientifique, respect des sources, précision et cohérence dans la narration des faits, etc. –, possède ce que nous pourrions appeler une âme. Cette remarque mérite sans doute plus d’explications. Je me fais un devoir de vous les donner ici. Grâce à son expérience de romancier, Raphaël Delpard sait qu’il ne suffit pas de raconter les choses, mais qu’il faut regarder au-delà de cette réalité pour en apercevoir leur sens caché. Sauf qu’ici, dans le cas de «La fabuleuse histoire du drapeau français», il ne s’agit pas d’une œuvre de romancier mais de celle d’un historien. La distinction a ici toute son importance, ne serait-ce que par la manière tout-à-fait différente dont ces deux types de narrativité gèrent les contraintes de la mémoire. Laissons de côté les genres appartenant à la littérature, car on connaît les libertés dont ils disposent et dont ils font le meilleur des usages. Que dire, en échange, du genre du récit historique ? Obligé de s’accrocher de la manière la plus fidèle aux sources, de suivre les règles de la diachronie pour développer la démonstration des faits, le genre historique est plus proche du langage scientifique que de celui, trop libre pour elle, de l’invention narrative. Et pourtant, même si la mémoire n’est plus traitée ici d’une manière individuelle, étant prioritairement mise au service de l’évolution des faits racontés avec le maximum de précision, l’Histoire ne peut pas ignorer que la narration lui sert de support, d’habit formel. En tant qu’auteur, Raphaël Delpard ne l’ignore pas non plus. Surtout lorsqu’il s’agit de circonscrire son discours au domaine d’un sujet bien précis comme celui de l’histoire du drapeau national dont il sait qu’il ne suffira pas de le présenter mais de lui donner une valeur symbolique, ou, comme il tient à le dire tout au début de son livre, de mettre en avant «l’effet hypnotique du drapeau et sa capacité à susciter l’émotion».
Or, c’est justement dans l’art de savoir comment mettre ensemble avec les outils de la narration ces réalités historiques et ces réalités symboliques que réside la réussite de ce livre qui, refusant de rester dans le temporel, franchit le pas vers l’éternel en entrant ainsi dans la symbolique de l’histoire nationale du peuple français. Laissons au lecteur toute la délectation de suivre l’évolution du sujet, «en remontant le temps», comme le dit le titre d’un des premiers chapitres du livre. Sa curiosité sera satisfaite par cet ample parcours, partant de la préhistoire de la Gaule, en passant par Clovis, en remontant par la période chrétienne, par celle de Charles Martel et de Charlemagne, en parlant du manteau de saint Martin ou de l’oriflamme de saint Denis, en arrivant au Moyen Âge, aux croisades, à l’énigme de la fleur de lys, au blanc de la Pucelle et jusqu’au drapeau tricolore décrété par la Convention nationale du 15 février 1794, suite à la proposition d’André Jeanbon, baron de Saint-André.
Gardons pour la fin cette recommandation de prêter une attention particulière à tout ce que l’histoire racontée dans ce livre réveille de nos jours dans la mémoire collective. Je retiens ici un exemple, mis en avant par l’auteur lorsqu’il parle de sa fascination devant la présence du drapeau. Car une question se pose au fil de la lecture de cet ouvrage : «Peut-on, pour ainsi dire, regarder le drapeau en ignorant la charge d’histoire qu’il porte ?» La réponse est, sans doute, non !
Pour nous convaincre du bienfondé de son affirmation, Raphaël Delpard dédie tout un chapitre de son ouvrage aux Actes de bravoure qui traversent l’Histoire pour nous rappeler l’attachement héroïque des militaires, c’est-à-dire du peuple, à leur drapeau sous différentes formes, dont celle d’étendard sur les champs de bataille dans les situations les plus difficiles de leur histoire.
Les textes sont, à nos yeux, si importants que l’on ne peut pas résister à en citer ici en abondance:
«Le 80 e [régiment], créé en 1684, sous le nom de Province d’Angoumois. Au combat de la Montagne de Louis XIV, l’adjudant général Darnaudat, voyant un grenadier à qui un boulet vient d’emporter un bras, s’approche du malheureux pour le consoler : «Ne me plaignez pas, lui répond le grenadier, j’ai encore un bras pour servir ma patrie».
«Le 81 e [régiment], créé en 1684 sous le nom de Périgord. Pendant la campagne de 1746, le régiment est tellement éprouvé par le feu des Autrichiens, qu’il ne reste pas vingt hommes debout après la bataille de Tidone et de Plaisance. Un caporal se distingue par une action et un mot extraordinaire. Au milieu de la défaite, il ramasse un drapeau et se tient immobile sur le champ de bataille avec quelques hommes qui se joignent à lui.
– Que faites-vous là ? lui crie le comte de Mailly.
– Vous le voyez, mon général, je garde la place du régiment avec ce qui reste.
La parole est restée célèbre pendant des années, puis est devenue la devise du régiment.»
«Le 90 e [régiment], Étampes à sa formation en 1691 ; Chartres en 1737. 1805, Austerlitz. À cette bataille terrible, pendant un mouvement de retraite qui allait devenir une fuite, le chef de bataillon Dulong, qui vient de prendre le commandement du 90 e, saisit l’aigle du bataillon et s’écrie : «Soldats ! Je m’arrête ici. Voyons si vous abandonnez votre étendard et votre chef ! » Cet acte d’énergie arrête le régiment qui se rallie aussitôt».
Les citations pourraient sans doute continuer. Mais, encore une fois, laissons l’entier plaisir de découvrir l’ensemble du contenu de ce chapitre et de tout ce livre aux lecteurs, qu’ils soient passionnés par l’Histoire ou de simples curieux, et affirmons une fois de plus les multiples bénéfices procurés par la lecture de cet ouvrage.
La préface que lui dédie Monsieur Yves Guéna, ancien président du Conseil constitutionnel, lie le contenu de l’ouvrage à cette même symbolique à vocation éternelle : «Dans les grands moments, aucun Français n’oserait renier ce symbole qui fait battre nos cœurs».
Ce sont ces paroles qui servent ici de conclusion.
Lançons, quant à nous, une fervente invitation à la lecture de ce fabuleux et instructif livre !
Dan Burcea
Raphaël Delpard, La fabuleuse histoire du drapeau français, Marie B. Éditions, édition revue et corrigée (15 janvier 2016), 230 p., 14,50 €.