Rentrée littéraire 2023 – Clélia Renucci : « Le Pavillon des oiseaux » ou le double anoblissement de Clélia Farnèse

 

 

 

« Dans l’air entier qui l’environnait résonnait le quatuor irrésistible des lettres qui formaient le mot : Rome »

C’est donc dans ce décor somptueux de la Ville éternelle que se passe l’action du nouveau roman de Clélia Renucci, Le Pavillon des oiseaux, dont le personnage principal est Clélia Farnèse, femme d’une éblouissante beauté, éclatante d’intelligence et de liberté d’esprit.

L’homonymie est ici un heureux clin d’œil, surtout que ce prénom tiré du latin cluere peut se traduire, comme un bon augure pour notre jeune romancière, par « avoir de la renommée, être illustre ». Ce qu’il faut lui souhaiter ardemment. 

Pour le moment tournons le regard vers Vittoria Farnèse, duchesse d’Urbino qui veille sur cette enfant illégitime du cardinal Alessandro Farnèse et dont l’expérience de vie pousse sa réflexion à la prévoyance, voire au pessimisme devant les premiers pas de Clélia Farnèse dans la vraie vie : « Alors que la petite n’éprouvait qu’une envie, celle de plonger enfin dans l’inconnu, l’esprit de Vittoria oscillait entre le bonheur de l’avoir bercée d’illusions et la conscience de leur inanité ».

Cette phrase est plus qu’une entrée en matière. Elle résume la justesse et la préscience de ce que le destin réservera à cet enfant qui à l’âge de sept ans, nous venons de le voir, fait ses premiers pas dans la vie sans aucune appréhension de la cruauté des hommes qu’elle devra affronter. Clélia fait partie à ce moment de sa vie de ses êtres innocents qui risquent « de se faire engloutir par l’idéal ».

Dehors, dans le vrai monde, pendant ses temps du déclin de la Renaissance, nous sommes en 1571, Rome se débat entre rivalités et intrigues entre familles illustres qui s’accrochent à garder leur rang. Tout est à construire pour une femme comme Clélia qui, encore enfant, épousera Giovan Giorgio Cesarini, gonfalonier du peuple. On apprend que « les Cesarini étaient, comme les Farnèse, réputés pour la somptuosité de leurs réceptions ». Leur mariage fut à la hauteur de cette réputation.

Son mari n’est pourtant pas la seule présence dans la nouvelle vie de Clélia. Son père, le cardinal Alessandro Farnèse compte bien garder un œil attentif et décider de l’avenir de sa fie illégitime, alors qu’elle n’a qu’une envie, celle de vivre à Rome. Elle rejoindra, mais en secret et de nuit, le Palais Largo di Torre Argentina.

Rome est à cette époque une ville « transgressive et sanglante ». Difficile pour Clélia d’y trouver l’équilibre escompté. La naissance de son fils Giuliano, la connaissance de Ferdinando de Médicis et la relation amoureuse qui les liera, le départ pour la guerre de Giovan Giorgio, son retour d’homme complètement changé, sans fierté, ami des tavernes et dépendant des jeux, la pression qui pèse sur elle et surtout les nombreux avisi – ces feuillets de rumeurs écrits par des menanti qui surveillent ses allers et venues sèment le doute dans l’esprit de la jeune femme.

Et surtout ce Pavillon des oiseaux de la villa Médicis, lieu bravant tous les interdits qui exerce sur elle une secrète et dangereuse fascination. Ce n’est pas par hasard qu’il porte le titre de ce roman.

La narration suit de près cette cavalcade et pointe avec justesse tous les questionnements de Clélia Farnèse qui refuse de voir sa jeunesse se consommer sous le poids de la laideur des ambitions, des caprices et des faiblesses des uns et des autres, de la discorde entre les familles Farnèse, Cesarini et Médicis.

Clélia Renucci réussit l’extraordinaire performance de concentrer avec grand talent dans son récit l’image symbolique de toute une jeune génération « flamboyante, irresponsable et heureuse » pour crayonner les portraits qu’elle fait de Clélia, Giovan Giorgio, Ferdinando, Constanza et Giacomo.

Plus secrète, la vie de leurs prédécesseurs, des cardinaux, des papes successifs et des nobles, ne fait pas exception que de par leur manière discrète d’agir.

Dans cet âpre jeu de l’Histoire, Clélia Farnèse apparaît comme la figure féminine éclairée et volontaire mais impuissante devant la dépendance de la volonté des hommes qui, sous la forme de l’autorité et de la brutalité familiale, décident de sa vie et se rient de la grandeur de ses rêves et de son besoin d’être aimée. 

Rome, elle-même, redisons-le, vit dans l’illusion et le faste, à crédit et ignorant la ruine qui la guette et la décadence des temps ultimes de la Renaissance.  

Le roman rend brillamment compte de tous ses contrastes, choisissant avec une remarquable finesse les moments historiques les plus parlants et sonde avec autant de subtilité le cœur de son personnage central donnant à ses faits et gestes une valeur symbolique et faisant d’elle presque une héroïne de tragédie antique.

Plus encore, il réussit ce que Frédéric Vitoux de l’Académie française, lui aussi un grand amoureux d’Italie, appelle un anoblissement par la littérature, faisant d’une personne réelle un personnage de fiction, comme c’est le cas ici de Clélia Farnèse, doublement célébrée par l’Histoire et par le monde encore plus élevé et inattendu qui est celui de la fiction.  

Mais ce qu’il faut surtout souligner c’est l’étonnante actualité de ce roman de Clélia Renucci qui tient à préciser à la fin de celui-ci que les avisi, menanti, les pasquinante et autres extraits de correspondance son véridiques et numérisés à la Bibliothèque apostolique vaticane.

Cette manière de faire, vieille donc comme le monde, n’est pas la nôtre aujourd’hui ?

Lisons, pour nous en convaincre, ce fragment qui offre une édifiante conclusion à ce roman.

En croisant le regard d’un des plus têtus des menanti (lisez journalistes) qui avait écrit tant d’infamies sur elle, Célia Farnèse a cette pensée :

« Elle ne cherchait plus à identifier la source et les commanditaires des infamies qu’il avait pu proférer contre elle. Ce n’était pas la faute de cet homme si elle avait eu l’illusion de vivre dans une Renaissance flamboyante, et qu’elle avait finalement assisté à la chute de celle-ci. »

Dan Burcea

Clélia Renucci, Le Pavillon des oiseaux, Editions Albin Michel, 2023, 288 pages. 

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