Rentrée littéraire : Matéo García Elizondo « Dernier rendez-vous avec la Lady » ou la tentation de l’allégorie fantastique

 

 

Les Éditions Maurice Nadeau publient le premier roman de l’écrivain mexicain Matéo García Elizondo « Dernier rendez-vous avec la Lady », traduit en français par Julia Chardavoine. Le jeune auteur n’est autre que le petit-fils de Gabriel García Marquez et de Salvador Elizondo.

La critique littéraire renvoie le sujet de ce roman à des écrivains comme Thomas de Quincey avec ses Confessions d’un mangeur d’opium, Hunter S. Thompson ou John Fante. On ne peut pas s’empêcher de penser aussi aux romans qui traitent des personnes ayant décidé de se laisser mourir, à la nouvelle de Kafka, Un artiste de la faim, au livre de Grégoire Bouiller, Le cœur ne cède pas qui parle du journal d’agonie de Marcelle Pichon ou du Carnet de la momie de l’écrivain japonais, Masahiko Shimada, qui imagine le journal d’agonie d’un homme qui se laisse mourir de faim.

« J’ai besoin d’écrire ce que ça fait de mourir – nous dit le personnage de Matéo García Elizondo –, parce que personne n’est jamais là pour le raconter. »

Cette descente dans les Limbes, ce glissement progressif « de l’autre côté » de la vie dans le territoire mouvant des paradis artificiels font de lui « un mort-vivant ». Retiré à Zapotal, village lointain du Mexique, en bordure de la jungle, jetant tout ce qui le lie au passé, clés, photos et autres objets, et emportant avec lui une réserve suffisante, croit-il, d’opium et d’héroïne et un carnet pour noter cette lente et irréversible plongée, il s’abandonne dans les bras de cette Lady donneuse de mort.

Dès lors, le récit prendra la forme d’un compte-rendu exhaustif de ce dernier rendez-vous contenu dans le titre, une fiche médicale dont la force du langage n’affectera pas celle du récit, mais deviendra, contrairement à toute attente, une sorte de partition faite de multiples incantations, y compris celles qui proviennent « de l’autre côté » et qui sont ensuite traduites par « une lente descente vers le délire ». La conséquence presque prévisible de cet état hallucinatoire l’amènera à la frontière poreuse entre le rêve et le réel, « des images vagues, fragmentées, absurdes, sans fil conducteur » et le fera perdre, au fil des jours et des nuits agitées, la lumière tremblante et le bruit familier de Rincón de Juan, le bar du village, son seul point d’appui au milieu des fantasmagories et des personnages hauts en couleur, des ivrognes, des prostitués et des âmes perdues qui l’habitent.

Comme d’autres personnages, tous dans la descente inéluctable vers la mort, le héros Matéo García Elizondo est surpris par la résistance à la destruction de son corps, prolongeant ainsi son agonie, mélangée, dans son cas, par la drogue et plus tard par sa tentative de sevrage. « Je suis étonné – note-t-il – par la ténacité avec laquelle mon corps se maintient en vie alors que je suis si faible. »

À l’horizon sombre qui s’annonce, surgit le visage de Valérie, son épouse emportée par une overdose, comme une apparition, une lumière qui l’aide à tenir bon, comme un phare, un rayon capable de le guider tout au long de cette aventure.

Il y a d’abord cette sensation de plongeon dans l’obscurité : « Allongé, immobile, je coule et, tout au fond, je retrouve mes souvenirs, comme des animaux monstrueux qui nagent dans les profondeurs de l’océan. »

Il y a ensuite le souvenir de Valérie : « Je sens son corps chaud autour du mien et sa respiration lente contre mon cou. […] Son parfum de fleurs fanées me parvient et je découvre à flanc de montagne, au-dessus des nuages, un chalet dont la cheminée en pierre laisse échapper de la fumée.

Voilà pourquoi, à regarder de plus près, « Dernier rendez-vous avec la Lady » n’est pas un hymne consacré à la mort mais un témoignage dédié à la vie, comme le dit l’auteur lui-même dans une interview accordée à RFI : « La mort est un prétexte pour parler de la vie ».

Cette phrase doit retenir ici une attention toute particulière, car elle contient un indice capital du substrat symbolique capable de nous conduire vers une meilleure compréhension de ce roman. Il s’agit de la capacité de ce jeune écrivain de jouer avec les différents éléments qui participent à la construction de l’allégorie de la vie et de la mort à travers sa capacité « de dire autre chose ». Rien d’étonnant si l’on pense d’abord à sa culture sud-américaine et surtout à l’influence littéraire de l’œuvre de son génial grand-père, auteur, s’il faut encore le rappeler, de Cent ans de solitude.

Cette allégorie consiste, pour être plus précis, à dissoudre et à faire fusionner dans une seule et même image les deux réalités de la mort et de la vie, dans une célébration commune vers une lumière nouvelle, souvent sous forme d’union cosmique, rédemptrice, preuve de l’éternité de l’être et faisant l’éloge de l’existence, une sorte de tunnel qui permettrai à tout être des allers-retours et « à faire quelque chose de constructif », autrement dit de donner sens à son histoire personnelle.

La formulation post-moderne proposée par ce roman consiste à parler « des portes de l’inframonde », même si le passage ressemble bien à celui de la vie après la mort, « un tumulte, un boum-boum comme les tambours d’une immense célébration ».

Dans ce sens, « Dernier rendez-vous avec la Lady » réussit à gommer le caractère tragique de l’aventure qu’il contient, quitte à renoncer à sonder en profondeur la confrontation de l’être humain avec sa finitude, chose compréhensible et implacable confiée à la fiction, et à la dissoudre dans les effluves des psychotropes et des états altérés qu’ils provoquent.

Ce qu’il faut retenir, par dessus de tout ce que l’on vient de dire, ce sont les deux idées maîtresses de ce roman : l’éloge en ombre chinoise de la double présence de la vie et de la mort et l’espoir que tout être humain a droit à revisiter son passé et à faire l’examen de ce que l’on appelle par un mot-valise usé aujourd’hui, celui de « réussir sa vie ».

Nous le savons, la littérature tient d’ailleurs à nous le rappeler à tout moment, lorsque le réel devient trop aveuglant, trop lourd à porter, le seul moyen de lui échapper c’est de nous réfugier dans le fantastique.

En cela, le pari du début en littérature du jeune auteur Matéo García Elizondo est brillamment gagné et tout aussi prometteur. 

Dan Burcea

Matéo García Elizondo, « Dernier rendez-vous avec la Lady », Éditions Maurice Nadeau, 2023, 190 pages.

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