Le 86e Prix Cazes sera décerné le 20 avril 2022.
Fondé en 1935 par Marcellin Cazes qui avait repris la brasserie Lipp en 1920, il est aujourd’hui un des prix littéraires les plus prestigieux du paysage littéraire français. Depuis 87 ans, il récompense une œuvre littéraire française d’un auteur n’ayant jamais eu d’autre distinction littéraire, comme il était prévu au début, même si ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Nous avons la chance de discuter de ce prix avec Claude Guittard, ancien directeur de la Brasserie Lipp et actuel secrétaire général du jury du Prix Cazes.
Permettez-moi de commencer par vous poser une question personnelle. Qu’est-ce qu’a représenté pour vous la Brasserie Lipp ?
J’ai quitté la Brasserie en novembre 2021. Cet endroit mythique a été pour moi le plus beau moment de ma carrière. La Brasserie Lipp est un endroit magique, avec une clientèle extraordinaire.
Pour aborder le domaine littéraire, permettez-moi de rappeler que vous vous êtes vous-même essayé à l’écriture, en publiant en 2006, avec la journaliste Isabelle Courty-Siré, le livre Lipp : La Brasserie. Que pouvez-vous nous dire de cette expérience ?
J’ai toujours aimé lire. Cette passion pour la lecture vient de ma culture familiale. À la brasserie, j’ai eu la chance de rencontrer un nombre incalculable d’écrivains, d’académiciens, d’écrivains étrangers. Quand vous côtoyez personnellement les gens que vous avez lus pendant des années, cela vous donne un sentiment incroyable. Et, si au début je m’occupais du prix en qualité de patron, un jour on m’a demandé d’entrer au jury car les gens connaissaient mon amour de la littérature. Cela a été le début d’une aventure formidable pour quelqu’un comme moi qui n’ai que mon BEPC.
Quant au livre que j’ai coécrit avec Isabelle Courty-Siré, il n’y avait pas d’autres ouvrages dédiés à la brasserie, qui racontent l’histoire de manière aussi précise et avec un contenu relativement actuel, avec des photos et des détails sur ce qui est cet établissement au XXIe siècle, un endroit qui a ouvert en 1880, qui est toujours présent et qui continue d’être un des phares de la Capitale.
Le prix Cazes, fondé en 1935 par Marcellin Cazes, est un des plus anciens prix littéraires français. Quel est selon vous son ADN ?
Tout au début, en 1935, ce prix était désigné par un jury anonyme, ce qui est assez marrant dans l’histoire, car cela ne se fait pas beaucoup. Ce jury anonyme se réunissait à la brasserie le premier jour du printemps – c’est à cette date que le prix était décerné les premières années – et passait toute une nuit avec forces nourriture et boisson et il nommait le lauréat. C’est n’est que par la suite que les noms des jurés ont été rendus publics. Marcellin Cazes a toujours eu à l’esprit l’idée d’aider les gens. À l’époque il y avait beaucoup d’écrivains fauchés et il voulait ainsi les aider à continuer leur art.
Il faut rappeler que Lipp a été consacré comme « lieu de mémoire » par la Ministère de la Culture. L’aide apporté aux écrivains par Marcellin Cazes est non seulement un soutien, mais une vraie reconnaissance.
Oui, complétement, je pense que Marcellin Cazes était très valorisé d’avoir comme clients ces écrivains et pour lui était très important de faire reconnaître leur travail, encore une fois des écrivains qui n’étaient pas très connus. Si on prend par exemple Romain Gary qui venait entre les deux guerres et qui n’était pas à l’époque extrêmement connu et pas très riche non plus, il le nourrissait. Il avait créé des complicités avec des gens comme ça qui sont devenus par la suite immensément célèbres. Il a toujours été là pour les écrivains qu’il aimait.
À quel moment ce jury est sorti de l’anonymat ?
Quelques années après. Avant la guerre, dans les années ’38, ’39, le jury était constitué. Il y avait Thierry Maulnier, Georges Blond, il y avait même Robert Brasillach à l’époque, mais c’était pendant la guerre. Comme le prix a eu un certain retentissement, le jury a été nommé et il est devenu assez pérenne.
À quel moment avez-vous intégré vous-même ce jury ?
C’est en 2010 qu’on m’a demandé d’entrer dans ce jury. En fait, à cette époque le secrétaire général du jury était Joël Schmit qui avait une activité d’écrivain assez prenante. J’étais en quelque sorte le sous-secrétaire chargé de contacter les maisons d’édition pour avoir les ouvrages, ainsi de suite. Je m’étais bien impliqué dans ce travail et j’ai fraternisé avec les membres du jury de l’époque. La présidente du jury était Solange Fasquelle, une femme extraordinaire. Il y avait aussi Dominique Bona qui est entrée ensuite à l’Académie française. Petit à petit, je me suis impliqué en les aidant dans tout ce qui appartient au côté administratif du prix et, comme mon travail était apprécié, on m’a demandé d’entrer dans le jury.
Comment est constitué ce jury ?
Le jury est totalement indépendant de la brasserie. C’est nous qui décidons qui nous voulons faire entrer et remplacer des gens qui partent pour des raisons qui leur appartiennent. Par exemple, Georges-Emmanuel Clancier qui a été un écrivain et poète incroyable, a été membre du jury jusqu’à ses 101 ans. Nous l’avons remplacé après son décès, comme ce fut aussi le cas de Solange Fasquelle. Pour choisir les nouveaux membres, chacun fait des propositions. Ce fut le cas pour remplacer Georges-Emmanuel Clancier nous avons décidé de faire entrer une libraire, Léa Santamaria. Je trouvais qu’une libraire pouvait avoir un avis intéressant sur les livres, car c’est elle qui les vend, qui sait en parler et, puis, elle a en face d’elle des lecteurs qui lui donnent leur avis. Faire entrer dans le jury Léa Santamaria qui est la patronne de la Librairie Les Libres Champs à Paris a été notre petite révolution.
Quels sont les critères de sélection des œuvres littéraires ?
On essaie d’avoir des gens qui n’ont jamais eu de prix, même si certaines fois il en ont déjà eus, mais les critères essentiels sont d’avoir des romanciers, essayistes ou biographes français. Ce qui guide le jury dans ses choix c’est le plaisir de lire un livre. Par exemple, dans la dernière sélection de cette année, je prendrai les deux romans qui sont sortis du lot, celui d’Hélène Gestern et celui de Gauthier Battistella. J’insiste sur le plaisir que nous avons tous eu à lire ces livres qui défendent tous la littérature française. Il s’agit de livres extrêmement bien écrits, les histoires sont haletantes. Ce que nous cherchons, c’est justement avoir du plaisir à lire un livre et pourvoir dire aux lecteurs qu’il faut absolument les lire. Ce qui compte, c’est vraiment la belle écriture française. Nous sommes peut-être assez classiques dans nos sélections, mais, encore une fois, nous aimons la belle littérature française.
On retrouve cette continuité dans le credo de la brasserie dont la devise est de ne rien changer.
Oui, complétement. Vous voyez, parce que les jurés restent les mêmes, on en change très peu. Le président du jury, par exemple, Joël Schmit, est membre depuis 1981, il a été secrétaire général auprès de Solange Fasquelle. Tous ont toujours eu une certaine éthique du prix, il sont très fiers d’en faire partie et sont un peu comme la brasserie, ils n’ont pas envie que ça change. Nous avons des critères assez précis, il faut le redire.
Que pouvez-vous nous dire des lauréats du Prix Cazes ? Pouvez-vous nous donner quelques exemples des plus prestigieux, si je puis dire ?
Il y en a beaucoup. Après, c’est difficile de dire qui sont les plus prestigieux. À nos yeux, ils sont tous prestigieux, bien entendu. La preuve, un Olivier Séchan qui avait eu le prix en 1948 pour un ouvrage remarquable, Marcel Schneider pour Le Chasseur vert en 1970, Joël Schmit pour son ouvrage Lutèce qui est une remarquable histoire de Paris, et même Edgar Faure qui était un homme politique et un grand écrivain.
Aujourd’hui, à cause du nombre très important des prix littéraires, on peut dire que le Prix Cazes s’est un peu dilué dans une masse incroyables de prix littéraires mais nous faisons partie des pionniers quand même.
Que pouvez-vous nous dire des nominés de cette année ?
Chaque année, la sélection pour le Prix Cazes concerne la rentrée littéraire de janvier. Celle de 2022 est assez éclectique, si je puis dire. Si on prend Doan Bui pour La Tour ou Julia Deck pour Monument national, 555 d’Hélène Gestern, Chef de Gauthier Battistella ou Blanc Résine d’Audrée Wilhelmy, les cinq ouvrages qui font partie de la dernière sélection ne se ressemblent pas. Autant ce sont cinq auteurs plus ou moins connus, autant ils ont tous leur originalité. Doan Bui, avec l’histoire remarquable de la Tour, Julia Deck pour Monument national et la gloire perdue d’un producteur de cinéma, 555 d’Hélène Gestern qui est un roman d’amour magnifique, Chef, le roman de Gautier Battistella qui touche un peu plus le monde de la brasserie qui parle d’un chef étoilé mais qui est aussi une histoire un peu policière et aussi amoureuse magnifique. Ce sont de très beaux ouvrages.
L’avantage d’un prix comme le nôtre est que sur toute la production littéraire très riche – cette année la rentrée de janvier a compté plus de 450 romans – nous attirons l’attention sur une cinquantaine d’ouvrages et ferons connaître des auteurs qui n’auraient pas été autrement dans l’attention de la presse. Nous espérons ainsi que l’ouvrage qui sera primé aura devant lui un bel avenir littéraire.
Comment entendez-vous continuer cette tradition qui dure depuis 87 ans maintenant ?
En ce qui me concerne personnellement, mais aussi pour tous les membres du jury, Mohammed Aïssaoui, Gérard de Cortanze, Nicolas d’Estienne d’Orves, Christine Jordis, François-Guillaume Lorrain, Carole Martinez, Éric Roussel, Léa Santamaria, nous allons continuer faire perdurer ce prix. J’espère que dans 30 ans il y aura un nouveau secrétaire général qui parlera de ce prix comme je le fais aujourd’hui, avec autant de passion et d’envie de défendre encore cette belle littérature française qui nous nourrit.
Le mot de la fin ?
J’insiste sur le fait que les Prix Cazes est une manifestation littéraire que j’aime beaucoup où tout le monde est très impliqué, où tout le monde aime se retrouver et où chaque fois le jury est au complet pour échanger et travailler ensemble. C’est un vrai beau travail de collaboration.
Propos recueillis par Dan Burcea©